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Editorial

Maputo n’est pas un édifice mais un mouvement

mercredi 12 août 2009 | Patrick A.

Les accords de Maputo ont subi leur premier test hier, lorsque des représentants des 4 mouvances ont été invités par la télévision et la radio nationale (TVM et RNM) pour expliquer ces fameux textes à la population.

Juristes et politiciens de tous camps étaient donc attendus au tournant, afin que l’on puisse juger s’ils avaient bien lu de la même manière ces épîtres aux Malgaches co-écrits par les quatre chefs de file et les quatre évangélistes [1] de la nouvelle Transition.

Les douze apôtres réunis ce mardi par la RNM et la TVM sont assurément des gens fort polis. Ils ont évité de dire tout haut ce que beaucoup de lecteurs attentifs auront remarqué assez vite. Pour notre part, disons tout simplement que ces textes ne sont pas formidablement bien écrits.

Passons sur les redondances entre différents textes, qui ne seraient pas un défaut si l’on avait pris le soin d’utiliser partout le même vocabulaire. N’accordons qu’une importance relative aux renvois à des articles qui n’existent pas ou à des annexes non fournies. Amusons nous de ce qu’un important responsable soit supposé provenir d’une certaine mouvance, sans que l’on sache précisément laquelle. De toute façon, pour un juriste, quelle existence peut bien avoir une mouvance, sinon très mouvante ?

Plutôt que de se formaliser, saluons donc à sa juste valeur le fait que ces textes aient tous été finalisés entre une heure et quatre heures du matin. On avait bien pressenti qu’il ne pourrait en être autrement, que nos protagonistes ne reviendraient complètement à la raison qu’en ressentant dans leur chair un peu de la lassitude de la population, la vraie, celle qui ne se couche pas tard car elle se lève tôt [2]. Et que la présence personnelle d’un Joaquim Chissano, acteur et témoin direct d’une guerre civile ayant fait un million de morts [3] ne serait pas de trop pour modérer et relativiser les petites rancoeurs personnelles des uns et des autres.

Alors oui, aux petites heures de la nuit, les Control-C Control-V [4] pouvaient être un peu imprécis, et l’on pouvait ne plus se souvenir très précisément de ce qui avait été discuté à l’ambassade du Sénégal ou au Carlton. On croit volontiers ceux qui avouent n’avoir pas vraiment relu au moment des signatures, et l’on n’accordera donc qu’une importance relative aux débats portant sur le caractère fortuit ou fondamental des nuances de rédaction entre les accords n°1, n°2 et n°3 ou sur la date exacte de fin du régime Ravalomanana : Mars ou Août ?

Des ambiguïtés des textes, on peut selon les heures s’inquiéter ou se féliciter. Pour ma part, le premier réflexe a été de prendre le parti de faire avec, parce que ces ambiguïtés sont le prix à payer pour que personne n’ait l’impression d’avoir tout perdu, parce que cette crise est aussi devenue crise à cause d’hommes politiques souvent devenus otages de leurs bases. Qui n’a jamais vécu de l’intérieur des négociations difficiles ne peut vraiment comprendre combien sont curieux les moteurs de la réussite ou de l’échec, et les difficultés que peuvent ressentir ensuite les négociateurs à expliquer à leurs mandants que oui, vraiment, c’était le meilleur accord possible qui a été obtenu. Les accords gagnants-gagnants ne le deviennent qu’au fil du temps.

Intellectuellement, il peut être inconfortable de s’entendre dire, comme cela a été souvent dit hier, que faire du juridisme sur Maputo est intenable, que ce qui prime est la volonté politique que l’on a tenté de traduire en mots. Techniquement, c’est un coup d’État inscrit dans une longue tradition malgache qui a été commis à Maputo, et la légitimité des signataires à engager ainsi la population ne peut être démontrée de manière irréfutable. La légitimité de Maputo n’existera véritablement que grâce au spectacle d’une opinion publique apaisée, qui apprenne à faire petit à petit la part des choses et ne se contente pas de jouer les perroquets de quelques leaders plus bruyants que les autres. Maputo est un viol, Monsieur le Juge, mais nous voudrions bien que nous soyons à peu près tous consentants.

Viol ne veut pas dire partie de plaisir. Dans la charte de la Transition, les hommes politiques auront relevé avec gourmandise 11 postes qui compteront vraiment. Les contribuables auront eux relevé avec effroi 457 fauteuils à pourvoir, sans compter la CENI [5]. Les constitutionnalistes auront relevé avec appréhension un régime présidentiel très fort pendant la Transition, et un débat sur la future constitution un rien court-circuité par l’annonce d’un Président de la République à élire au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.

Pour sûr, la construction est loin d’être parfaite. Cependant, la rédactrice en chef de TV Plus, Onitiana Realy a décrit le climat de Maputo, passant petit à petit d’une ambiance frigorifique où les regards étaient fuyants à une certaine forme de cordialité. Les douze réunis par TVM et RNM hier ont essayé de démontrer que c’était ce mouvement qui importait, et l’on surveillera d’abord leur capacité à tenir parole et à maintenir le souffle dans ce premier délai de trente jours, plutôt que le placement des virgules et des points (pas barre).

Notes

[1Union Africaine, SADC, Nations Unies et Organisation Internationale de la Francophonie.

[2Référence à un slogan politique français totalement involontaire et mal assumée.

[3Regarder sur Wikipedia la courbe d’évolution de la démographie du Mozambique est assez impressionnant.

[4Aux lecteurs qui utilisent encore exclusivement le Bic ou le Mont-Blanc pour écrire, signalons que ces combinaisons de touches sont utilisées dans la plupart des logiciels de traitement de texte pour copier et pour coller une partie de texte.

[5Commission Électorale Nationale Indépendante.

8 commentaires

Vos commentaires

  • 12 août 2009 à 08:41 | Citoyenne Malgache (#599)

    Moi j’attends de connaître, avec curiosité et beaucoup d’appréhension, les personnes qui vont occuper tous ces fauteuils. Car d’eux vont dépendre si Maputo a abouti à une tour de Babel ou un véhicule qui nous emmènera quelque part...

  • 12 août 2009 à 09:13 | meloky (#637)

    Maputo ! Quoiqu’ on le qualifie, C’est le soulagement pour tous !

    En un seul mot : C’est le fihavanana à son propre instar ! Donc, c’est tôt pour ceux qui veulent decorer la victoire et c’est tard pour ceux qui veulent être en couleur pour sa defaite !

    Mais pour ceux qui aime son pays, C’est le moyen de re-dorer l’avenir !!!!

  • 12 août 2009 à 09:59 | Parole (#2602)

    Excellent article. Maputo marque un tournant historique car tous (politiques comme citoyens) devront apprendre à vivre avec de véritables contre-pouvoirs. C’est une grande première à Madagascar ! Les trois républiques passées (eh oui !) ont échoué à mettre en oeuvre des mécanismes de régulation qui font qu’aucune institution (a fortiori aucun individu, aussi charismatique soit-il) ne peut écraser les autres. Nous avons 15 mois pour roder cette mécanique, ne perdons pas de temps en vaines querelles sur le sexe des anges...

  • 12 août 2009 à 10:20 | Basile RAMAHEFARISOA (#417)

    Je me contente de relever ceci :« MAPUTO est un viol, Monsieur le Juge,mais nous voudrions bien que nous soyons »à peu près,tous consentants" ;

    NON et NON aux accords de MAPUTO.Je ne représente que moi-même mais je dis que je ne suis pas consentant.
    Basile R.(2)22ramahefarisoa

    b.ramahefarisoa@gmail.com

  • 12 août 2009 à 10:32 | Albatros (#234)

    Bonjour et merci Patrick.

    Encore un éditorial que je vais accrocher au mur afin de suivre point par point vos prévisions.

    Permettez moi une petite question à transmettre à la rédaction de Madagascar Tribune :

    Pourriez vous nous donner une petite notion chiffrée du budget nécessaire à cette « transition » de 15 mois ?.

    Merci d’avance.

  • 12 août 2009 à 11:53 | mpitazana (#2017)

    L’Accord de Maputo est comme un sujet d’épreuve,chaque candidat compose à sa façon de comprendre le dit-sujet .Seul le jury est le maître de la situation.
    Mr Edem KODJO , membre de U.A :contrôleur de l’Accord de Moputo a bien mis le point sur le « i » .« TOUTES INTERPRETATIONS EXOGENES de MOPUTO SONT EXCLUES ».

  • 12 août 2009 à 13:32 | observatrice (#2065)

    merci pour cette analyse,

    la qualité d’un négociateur se juge sur sa manière de faire le pont entre sa base et les adversaires potentiels ; Rajoelina a fait à Maputo sa première grande expérience de négociations.

    Le peuple malgache aussi doit se rendre compte petit à petit que les présences et les décisions de la place du 13 mai ne sont que le début d’un processus qui risque à la longue de leur échapper ;

    car pour le moment, qu’y ont-ils gagné, 1 kg de riz tombé du camion ? 1 kg de boeuf à Antsonjombe ? .

    Si l’élection présidentielle précédera les élections législatives , si on a toujours affaire avec des zatra nihinana , cela sera re-belote dans quelques années.

    Le peuple souffre mais eux, arriveront toujours à s’entendre et à s’en sortir ;

    dommage pour ceux qui se sont laissés entraîner et manipuler dans cette galère

  • 12 août 2009 à 16:53 | demokrasia fostsiny (#160)

    Face à une tentative de mise en place d’une dictature militaire par un président élu démocratiquement, j ‘ai été pro HAT par défaut en considérant que c’est le moindre mal pour le retour de la démocratie.

    Les accords de Maputo qui a réussi à mettre en place l’idée d’une transition élargie à plus d’acteurs politiques est un progrès démocratique par rapport à la HAT.

    Pourtant pendant ces 15 mois les démocrates devront être vigilants car cette charte de la transition en donnant autant de pouvoir à son président porte toujours en soi les germes empoisonnées de pratiques antidémocratiques.

    C’est d’ailleurs significatif et inquiétant pour la future réforme constitutionnelle, certes un régime présidentiel est plus efficace qu’un régime parlementaire.
    Mais à Madagascar un pouvoir présidentiel fort a toujours débouché sur une dictature ou une quasi dictature

    C’est la plus grande leçon à retenir de 49 ans d’indépendance.

    Désolé de le dire mais actuellement il n’y a pas un seul homme politique malagasy capable de gérer démocratiquement une présidence aussi puissante.

    Peut- être un non politique mais un éminent juriste comme Raymond Ranjeva avec l’expérience qu’il a sera capable de maitriser et de tempérer tout excès de pouvoir de ce poste et aider pendant ces 15 mois de tous les dangers l’émergence de nouveaux hommes politiques, avec de réelles pratiques démocratiques.

    Fely Robert Rakotomalala

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