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Editorial

Sortie de crise

L’hypothèse d’un « Ni Ravalomanana, ni Rajoelina »... unilatéral !

vendredi 14 septembre 2012 | Anthony Ramarolahihaingonirainy

Certains rappels seraient utiles avant d’aller plus loin. D’une part, les théories de sciences po prescrivent le partage des pouvoirs (power sharing) dans une situation de crise inextricable telle que celle traversée par le pays actuellement. A défaut de mieux, le partage (du gâteau) permet un tant soit peu d’éviter le chaos lorsque le rapport de force existant ou revendiqué par chacune des parties prenantes demeure flou ou artificiel et ne reflète pas celui qui est véridique mais que personne ne peut toutefois établir avec certitude faute de consultations démocratiques antérieures, seul paramètre fiable permettant d’établir avec le minimum de certitude la consistance réelle et actuelle de la puissance de chacun. Il en est de même quand le rapport existant se révèle fragile et pouvant conduire à une instabilité certaine à court ou moyen terme qu’il y ait eu consultations antérieures ou non. La situation actuelle de la Grande Ile relève ainsi ni plus ni moins d’un banal cas d’école : l’équilibre est fragile voire précaire car ceux qui sont actuellement au pouvoir ne l’ont pas tenu d’une quelconque élection et leur ascendance vis-à-vis des autres acteurs vient seulement du basculement de l’armée dans leur camp. Sans ce soutient affirmé de l’armée, aucun camp ne peut revendiquer une quelconque ascendance sur l’autre.

D’autre part, artificiel ou pas, le réalisme et le pragmatisme recommandent à toutes les parties prenantes de prendre en considération ce rapport de force « militarisé » dans toutes réflexions, projets et agissements car qu’on le veuille ou non tout serait vain si celui qui est au pouvoir et qui dispose encore du soutien de l’armée n’accepte pas un quelconque schéma, peu importe comment il y est parvenu, quoi qu’on dise, quoi qu’on pense juste, quoi qu’on pense démocratique etc. Il serait ainsi plus intelligent pour tout le monde d’essayer de trouver ses intérêts et de maximiser ses profits en fonction. A l’inverse, le nier et essayer de le contourner pour d’autres situations idylliques ou idéales insaisissables et aux intérêts diamétralement opposés à ceux des tenants du pouvoir seraient une perte de temps inutile car de toute évidence de telle entreprise ne récolterait qu’un refus. Un plan B ne serait pas envisageable non plus pour le camp qui ne dispose pas des moyens pour le mettre en œuvre, c’est-à-dire, le pouvoir et le soutien de l’armée dans ce cas-ci.

Parlant de plan B, et si le camp du pouvoir choisirait de recourir à un « Ni…ni » …unilatéral devant le refus opposé actuellement à cette proposition par le clan Ravalomanana (l’Ex-) ? L’hypothèse risquerait de faire encore plus mal au camp de l’Ex- qui perdrait beaucoup tout en offrant à l’inverse une possibilité de longévité politique inespérée à celui de Rajoelina (Futur Ex-). Étudions par anticipation cette hypothèse.

C’est quoi grosso modo le « Ni…ni » unilatéral ?

Le Futur-Ex ne négocierait rien et n’attendrait plus l’avis de l’Ex-, maintiendrait sa décision de ne pas se présenter et déciderait dans la foulée d’écarter son rival et les deux autres Ex-. Il se tiendrait éloigné de la politique ou ferait semblant de l’être. Il continuerait toutefois de soigner son image à tout instant pour mériter un titre de Ray aman-dreny que tout le monde lui accorderait probablement s’il optait pour ce schéma.

Qui perd et qui gagne quoi ?

Autant dire avant de détailler le tout que le camp Ravalomanana perdrait tout tandis que l’autre camp gagnerait tout. Le peuple n’en serait pas grand vainqueur non plus. Renouvellement de la classe politique et alternance démocratique seraient à remettre aux calendres Grecs. Les Malgaches verraient les même têtes jusqu’en 2023 voire plus eventuellement.

Pour le camp Rajoelina, trois principaux avantages pourraient découler d’un tel choix. D’abord, avec cette astuce le Président de la Transition s’offrirait une grande porte de sortie. Il récolterait tous les honneurs de ce « beau geste ». Il deviendrait celui qui aurait su prendre la « courageuse décision » qu’il faudrait au moment opportun, celui qui ne s’accrocherait pas sur son siège pour ses intérêts personnels etc. et voilà que le Président en perte de vitesse, avec un bilan mitigé, proche de la disgrâce meme selon les mauvaises langues mais en tout cas fortement touché par l’usure du pouvoir après 4 ans passés à la tête de la Transition sans avoir pu la terminer deviendrait un héros, un Olon-kendry (sage), un Ray aman-dreny ! Ensuite, la même astuce lui permettrait de faire une sortie en vedette tout en plaçant un de ses Lieutenants pour garder au chaud son fauteuil avec possibilité de récupération « unilatérale » elle aussi au cas où. Le Lieutenant serait celui qui ferait les sales boulots à sa place et lui servirait de paravent jusqu’à ce que la tempête passe, c’est-à-dire, celui qui récolterait la colère et la frustration du camp Ravalomanana et la disgrâce d’un peuple qui ne tarderait pas à réagir dans quelques temps quand la coupe serait de nouveau pleine comme en 1972, 91, 2002, 2009. Les Malgaches chercheront alors un homme providentiel comme à l’accoutumée. Sauf qu’à ce moment là le messie risquerait bien d’être Rajoelina, le Olon-kendry, le Ray aman-dreny qui aurait si bien quitté en toute sagesse le pouvoir en 2012 étant donné que Ravalomanana dans son exil et avec les casseroles qu’il trainerait encore ne pourrait même pas revenir. Le troisième avantage pour le camp Rajoelina serait la possibilité d’envisager un schéma à la Medvedev- Poutine si par chance le chemin du Lieutenant en question ne se terminerait pas sur un soulèvement populaire tel que décrit.

Pour le camp Ravalomanana, ce schéma voudrait dire qu’il ne pourrait plus rien négocier ni pour son avenir immédiat, c’est-à-dire, relativement à son retour, à l’arrêt des poursuites en cours ou projetées, à toute mesure d’amnistie. Les faits montrent que l’application de l’art. 20 de la FR tant espérée par le camp Ravalomanana dépend du bon vouloir de ceux qui sont au pouvoir tant que les militaires les soutiennent. L’Ex- perdrait alors à la fois la présidentielle de 2013 et probablement toute illusion de pouvoir participer et de remporter celle de 2018 à cause d’un casier judiciaire surchargé et du schéma Medvedev-Poutine.

Schéma à la Medvedev-Poutine

Le schéma est simple. Avec le « Ni…ni » unilatéral le camp Rajoelina aurait toute latitude pour établir tout un partage de tâches en son sein pour le court et le moyen terme. À court terme, un fidèle parmi les fidèles du Président se verrait offrir la conduite de la transition, à charge d’assurer l’élection d’un autre Lieutenant à la présidentielle de 2013. La mission du Président élu consisterait à tenir la clé de la maison jusqu’en 2018, à charge à son tour de passer à moyen terme le flambeau à Rajoelina en orchestrant son retour exactement comme Medvedev et Poutine faisaient l’année dernière en Russie. L’hypothèse est tout à fait plausible car Rajoelina, fort de sa popularité de Ray aman-dreny acquise en 2012, de l’appui de son « pote » Président et l’habituel penchant des Malgaches pour les Ex- en tout genre lors des élections présidentielles affranchirait sa candidature comme une lettre à la poste. Ravalomanana resterait quasi définitivement à quai dans ce schéma. Le refus du « Ni…ni » signifie ni plus ni moins suicide politique pour lui (voir « Échec de Maputo ou l’incroyable hara kiri politique de l’Ex- »). Sa position demeure inflexible et voilà que ses problèmes se compliquent davantage (Voir sur ce site la confiscation de son passeport par les autorités sud-africaines.). Ce camp n’a -t-il pas intérêt si telle est la situation à adhérer au « Ni...ni » (consensuel) et bien négocier ne serait-ce que pour sauver ce qui peut encore l’être et pour éviter les désastres prévisibles du « Ni...ni » unilatéral à défaut de plan B plausible et concrétisable ? De toute évidence, le recours incessant à la SADC n’en est pas un compte tenu de l’impuissance de cet organisme régional.

Réélection à la Vice-Présidence du FJKM à interpréter avec prudence

Il est indéniable que la réélection de Ravalomanana à la Vice-Présidence du FJKM a une signification certaine quant à sa popularité. Il ne faut pourtant pas céder à la tentation de s’en servir comme d’un ballon sonde pour mesurer la popularité de l’ancien Président pour conclure hâtivement que son aura n’a pris aucune ride. Peut-on apprécier la popularité au niveau nationale de quelqu’un et pour les fins d’une élection présidentielle à travers une consultation au sein d’une association religieuse représentant seulement un des 4 principales églises membres du FFKM ? Peut-on mesurer les chances de succès à la présidentielle du plus grand mécène de la FJKM à l’aide de son triomphe au sein de cette église ? Toute personne raisonnable mise à la place d’un électeur au sein de la FJKM n’aurait-elle pas logiquement voté pour le plus grand sponsor de l’église au lieu de donner sa voix à un candidat quelconque qui se servirait au contraire de l’église pour s’enrichir ? Il en est de même pour son rival. La victoire lors d’une élection de proximité (communale) ne constitue en aucun cas de baromètre fiable pour apprécier un rapport de force favorable en cas d’élection présidentielle.

Le présent article n’est pas à interpréter en faveur ou contre tel ou tel camp. L’éditorialiste ne retire aucun intérêt personnel à ce que tel ou tel camp arrive à bout de l’autre. Le rôle d’un universitaire est aussi celui d’anticiper, d’apporter des analyses, d’avancer des hypothèses et d’éclaircir certains points qui pourraient échapper aux politiciens, aux membres de la société civile, aux citoyens lambda etc. pour qu’ils puissent avoir une réflexion et une analyse plus informée de la situation afin de pouvoir prendre des décisions avisées le moment venu et les cas échéants. Ce ne sont que des hypothèses. Elles déchaineront probablement les passions mais elles ont le mérite d’être étalées pour une meilleure réflexion de chacune des parties prenantes. Un homme averti en vaut deux.

Un minimum de bon sens et un brin de patriotisme de la part des deux principaux protagonistes devraient leur suffire pour comprendre le danger que représenterait pour eux mêmes et pour l’ensemble des Malgaches leur participation conjointe à la prochaine présidentielle (le chaos, voir « Présidentielle contestée, vengeance à redouter … » ou l’hypothèse du « Ni…ni » unilatéral ainsi avancée si le camp Rajoelina se laisserait tenter d’y recourir pour contrer un refus obstiné du « Ni…ni » (consensuel) par le camp Ravalomanana. Invitation cordiale est par ailleurs adressée aux deux autres anciens Présidents (Ratsiraka et Zafy) s’ils se considèrent patriotes et Olon-kendry ou Ray aman-dreny de ne plus se présenter eux aussi, non seulement car leur chance d’être élue serait déjà infime mais surtout parce que le renouvellement de la classe politique est à ce prix. Le seul triomphe escompté et attendu par tout Malgache serait la fin de l’actuelle crise et surtout le cheminement vers un futur sans le spectre des crises cycliques. La refondation de la République est plus qu’impérieuse [1]

P.-S.

Le “Ni...ni” n’est pas “La” solution. Il s’agit juste d’une prémice pouvant amener à de réelles négociations en vue d’une transition inclusive et consensuelle pour une vraie refondation de la République en enlevant le principal blocage ayant entrainé l’échec de toutes démarches et propositions antérieures pour la résolution de la crise : l’égo des deux principaux protagonistes.

Notes

[1Voir la « feuille de route » des élections proposées pour les besoins de cette refondation dans un éditorial antérieur intitulé « Repartir dans le bon ordre : Législative-Assemblée Constituante, Référendum, Présidentielle » .

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