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vendredi 28 novembre 2025
Antananarivo | 08h42
 

Editorial

Madagascar, le PGE de la Refondation : chronique d’une course contre la montre

vendredi 28 novembre | Lalatiana Pitchboule |  159 visites 

Il est des silences qui, en politique, valent tous les discours.

Et il est des changements de ton qui, à eux seuls, constituent un programme. La présentation du Programme Général de l’État (PGE) par le Premier ministre la semaine dernière a provoqué chez l’observateur prétendument avisé que je suis un étrange mélange de sentiments contradictoires.

D’un côté, une satisfaction presque physique… Celle de voir enfin émerger une sobriété et une rationalité rassurante. Enfin quelque chose qui nous change des chimères d’hier, de ces « Miami sur Pangalanes », de ces téléphériques suspendus au-dessus de la misère, de ces colisées incongrus… ou de l’importation baroque de girafes pour des touristes imaginaires…

Il était urgent, vital même, de renouer avec un minimum de sobriété. On en avait assez de cet ostentatoire, de ce « bling-bling » d’État qui ne faisait, en réalité, que masquer l’incompétence et la corruption endémique.

La rupture de ton de ce programme est donc en elle-même un soulagement. D’aucuns ont jugé la prestation du Ministre trop prudente. Mais pouvait-on en attendre plus ? Sans doute pas. Car là où les MAP, PEM et autres Fisandratana 2030 voulaient dresser une vision sur le temps long, ce PGE se devait de tracer une échéance courte, brutale : la promesse de restituer le pouvoir au Civil dans 24 mois. Et 24 mois… c’est bref.

La célérité et le paradoxe de l’urgence

On ne peut qu’être surpris de la célérité avec laquelle ce programme a pu éclore. Globalement, un mois a suffi. La comparaison est cruelle pour le passé récent : on se souvient de Rajoelina revenant triomphalement en 2017, en pré-campagne, pour annoncer qu’il s’était retiré cinq ans (!) pour réfléchir avec les « meilleurs spécialistes mondiaux » sur son projet d’Émergence… Pour en fait accoucher d’une souris, d’un texte qui semblait échappé des notes de cours d’un élève médiocre de deuxième année d’économie.

Mais attention, danger : chicane en vue.

Ce PGE souffre d’une contradiction première, presque ontologique. Il veut établir un contrat avec la nation… Mais il doit l’établir sur une durée pour le moins brève. Deux ans pour rassurer. Deux ans pour remettre en marche une machine sociale délabrée. Deux ans pour relancer une machine économique grippée… C’est un semi-marathon qu’il va falloir courir au rythme d’un 400 mètres.

Il s’agit bien d’incarner un nouveau contrat social… mais un Contrat Social d’urgence et de rupture. Ce n’est pas une simple feuille de route administrative ; le PGE se présente comme une réponse morale et politique à la crise multidimensionnelle que vient de vivre le pays.

Le texte repose ainsi sur une tension permanente entre deux impératifs : l’urgence et la profondeur. D’une part, stabiliser la nation immédiatement — rétablissement de l’eau, de l’électricité, de la sécurité — pour soulager une population à bout de souffle… D’autre part, poser les fondements d’une « Refondation » structurelle pour empêcher le retour des crises cycliques, en s’attaquant enfin aux racines du mal : la corruption, l’impunité et la faiblesse institutionnelle.

La lucidité du constat : « Le pays est cassé »

Il faut le dire, l’énoncé même du constat — « le pays est cassé » — est en soi une nouveauté. Personne, dans les programmes précédents cités plus haut, n’avait osé formuler un tel diagnostic… Eux ne parlaient, légitimement ou naïvement, que de progrès et d’enrichissement. Évidemment, comme dans tout texte programmatique, il a été nécessaire, dans le PGE d’énumérer les incontournables éléments de langage : « lutter contre la pauvreté », « protéger les plus vulnérables »… Cela peut sonner un peu tarte à la crème, c’est vrai… Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur.

Ce qui retient l’attention, c’est la manière dont ce projet énonce les valeurs culturelles malgaches : Fifanajana, Fihavanana, Fiaraha-mientana. Non pas comme des cosmétiques culturels ou un folklore désuet, mais comme le ciment moral de l’autorité publique.

C’est, me semble-t-il, la première fois que l’on voit dans un document programmatique le terme de « Fifanajana » porté au premier chef. Le respect de l’autre… qui ne peut aller sans le respect de soi. C’est un propos éminemment directeur si on l’érige véritablement en principe de gouvernance.

Là où les programmes habituels se concentraient sur la croissance, le développement sectoriel et les infrastructures — et la volonté de faire plaisir aux bailleurs — le PGE met ainsi l’accent sur la légitimité, la moralité et la transition démocratique. Quant à l’évocation littérale dans le texte des « magouilles » ou des « monopoles », ce ne sont peut-être que des mots… mais le changement sémantique est là, et on a envie d’y croire.

L’inadéquation Temps / Ambition : L’impossible équation ?

Pourtant, une nécessaire prudence s’impose. Si l’on peut accorder au pouvoir de la Refondation le bénéfice de l’urgence, et les féliciter d’avoir répondu rapidement aux inquiétudes, on doit faire état de « trous dans la raquette ». Tout n’est pas bleu… Ou rose… Mais réjouissons-nous, ce n’est déjà plus orange.

Le projet se confronte à un premier écueil majeur : l’inadéquation Temps/Ambition. Il vit un risque d’embouteillage maximum. Et il n’y aura visiblement pas de solution téléphérique pour accélérer le trajet cette fois-ci. Le programme promet des réformes colossales : refonte de la Constitution, Code de la nationalité, digitalisation de l’État, décentralisation poussée…

Tout cela en devant gérer des urgences vitales, répondre aux attentes légitimes de la GEN’Z malagasy, de celles de la sociéte civile et des citoyens en général … et organiser des élections… Le tout en 24 mois. Le risque est immense : celui de survoler les réformes structurelles ou de retarder le calendrier électoral… Et de créer, in fine, une nouvelle crise de légitimité.

Le cadrage budgétaire : La souveraineté en trompe-l’œil

Et le cadrage budgétaire dans tout cela ? Il ne s’agit pas de faire l’impasse sur ses apparentes carences. Le texte mentionne la nécessaire « mobilisation des ressources » et la rationalisation des dépenses…

Mais il n’explique pas comment financer simultanément des mesures sociales d’urgence, des infrastructures lourdes (routes, énergie) et un processus électoral coûteux dans une économie en crise.

La dépendance aux bailleurs internationaux est implicite mais constitue une vulnérabilité souveraine. Il faudra donc le dire clairement à tous ceux qui veulent bouter dehors FMI, Banque Mondiale et autres partenaires sous prétexte d’autonomie immédiate : sans leur aide, point d’investissements aujourd’hui.

C’est bien beau de dire que si la concertation nationale décide de les pousser dehors, on s’y pliera… Mais de là à la réalisation des chantiers, celui-là ne sera pas le moins critique. Bien que le gouvernement affiche une ambition de souveraineté par l’austérité et la pression fiscale, le PLF reste structurellement dépendant des bailleurs internationaux, qui financent l’essentiel des investissements structurants et près de 20% des ressources totales de trésorerie. Il faut le savoir.

On ne détaillera pas ici au-delà des principes généraux l’adéquation de la loi de Finances (PLF 2026). Elle paraît à peu près en cohérence avec le PGE quand elle aligne massivement les ressources sur l’Éducation et l’Énergie, validant ces deux piliers. Mais elle présente encore des écarts majeurs sur le volet social (Eau, Solidarité) qui paraissent sous-financés par rapport aux discours.

La gestion des Résistances : Le danger des « magouilles » systémiques

Mais le véritable défi est ailleurs. En fait d’engagement de chantier lourd, le texte promet de mettre fin aux « magouilles », de « casser les monopoles » et les « privilèges »… Mais comment ? Le pouvoir ne pourra pas faire longtemps l’impasse d’une présentation de la stratégie pour contrer les monstrueux réseaux d’intérêts qui seront menacés. Ces réseaux ont eu tout le temps de bétonner leur défense… et leur sauvegarde.

Il ne pourra pas non plus ignorer les modalités de compensation des chaînes de valeur — et des revenus des classes moyennes induits — qui vont s’effondrer si on réduit drastiquement les vecteurs de corruption… Les 4 000 salariés de Sodiat en savent quelque chose.

L’approche frontale déclarée (« Tolérance Zéro ») sans stratégie politique fine risque de provoquer des blocages institutionnels… ou pire, des sabotages économiques. La stratégie semble sous-estimer — ou mettre sous le tapis ? — les rapports de force réels. Neutraliser les coalitions d’intérêts, les oligarchies économiques, les clans politico-administratifs et les appareils sécuritaires qui opposeront la résistance la plus farouche s’avérera être une tâche titanesque.

Enfin, la clarté sur les ressources financières reste limitée. On parle de bonne gestion, mais sans aborder la renégociation de la dette, la revue des grands contrats extractifs… Ou la nationalisation de l’or — celle-là, j’y tiens ! — ou encore la révision des niches fiscales. Ce sont tous des éléments auxquels nous devrons prêter attention.

Au final, quelles sont les priorités de l’Agenda ? Le Plan de Refondation, bien qu’animé par une forte volonté politique et morale, présente un défaut majeur : ses carences doctrinales, qui mettent à mal la hiérarchisation des priorités. En rendant tout « important » — eau, énergie, santé, éducation, routes — le plan ne dégage pas clairement les trois ou quatre batailles clés des 24 mois qui pourraient compromettre son succès.

Conclusion

Il nous faut donc conclure sur une note de gravité lucide. Ce PGE est un pari… Un pari noble, certes, mais un pari dangereux. Il tente de réconcilier l’éthique et la technique, l’urgence du quotidien et le temps long de la structure. Mais l’histoire politique ne s’écrit pas – malheureusement – avec des bons sentiments, ni même avec des constats justes. Elle s’écrit dans la capacité à choisir ses batailles.

En refusant de trancher, en voulant tout mener de front dans un délai aussi contraint, le gouvernement prend le risque de se noyer. Sans une hiérarchisation impitoyable des priorités, sans une stratégie chirurgicale pour démanteler les oligarchies sans casser l’économie, ce plan ambitieux risque de se fracasser sur le mur du réel.

Les 24 mois qui s’ouvrent ne seront pas une promenade de santé… Ce sera un combat de chaque instant contre le temps, contre les habitudes, et surtout, contre les saboteurs de l’intérieur qui attendent, dans l’ombre, que l’élan de la refondation s’essouffle. La course a commencé… Espérons que le souffle ne manquera pas. Et on devra les aider à respirer…

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 27/11/2025
Les Chroniques de Ragidro

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