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Antananarivo | 12h43
 

Editorial

Le viol, méthode de cons sensuels

vendredi 1er février 2013 | Ndimby A.

À quelques mois d’intervalle, et des milliers de kilomètres de distance, trois affaires de viol ont retenu l’attention. À Madagascar, la jeune Michou xxx a été violée puis assassinée par des sauvages dans l’enceinte de l’Université d’Antananarivo. A New Delhi, l’étudiante Jyoti Singh a été violée et violentée, avant de décéder des suites de ses blessures. Et en France, fin Novembre 2012, sous l’impulsion de la femme politique Clémentine Autain, un manifeste signé par 313 femmes qui avouent avoir été violées, parait dans le Nouvel Observateur. L’affaire Nafissatou Diallo aura au moins eu un avantage : le viol commence à devenir un sujet de débat public. Et c’est la première étape pour qu’un jour, « la honte change de camp » comme le souhaitent les signataires du manifeste des 313.

Suivant la théorie journalistique du mort-kilomètre [1], la mort de la jeune Michou atteint les Malgaches plus que toutes les autres femmes violées dans le monde. Cette jeune fille promise à un brillant avenir, après avoir été bachelière à 13 ans, a été retrouvée dans un buisson. Et ce n’est pas la première fois que des affaires de viol ou de meurtre sont révélées dans le campus universitaire d’Antananarivo. Mais pour la première fois, à l’instigation des étudiants de sociologie, une marche blanche de protestation a été organisée (photo, source : Facebook). Cette marche était une excellente initiative, mais il faudrait que la vraie société civile, les médias, la police et la justice appuient ces étudiants et tous ceux qui se sentent concernés par le sujet à donner plus d’ampleur et de percussion pour faire avancer le débat sur ce sujet.

Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, le Dr Mathilde Rabary, alors député, avait eu le courage de soutenir une femme vendeuse de charbon qui avait été victime d’un viol par plusieurs policiers, et que son action a réussi à mettre en prison. Cependant, le combat du Dr Rabary en faveur des victimes du non-droit avait fini par déranger tellement de monde, que des manœuvres politiciennes avaient réussi à faire en sorte qu’elle perde son siège de député aux élections suivantes.

Le viol est un fléau à Madagascar, mais les auteurs bénéficient souvent d’une large impunité du fait du silence des victimes. Selon nos collègues de la Gazette dans leur édition du 28 janvier 2013 (« Cas de viol, personne n’est à l’abri »), en 2012 l’hôpital de Befelatanana accueillait quotidiennement deux personnes mineures victimes de viol. Mais pour deux mineures qui se présentent à l’hôpital, combien de mineures et de majeures qui se taisent ? Et là se pose la première question : pourquoi les victimes se taisent, et que faut-il faire pour les encourager à porter plainte ?

Selon les avocats interrogés, les victimes de viol n’osent pas porter plainte, par honte du qu’en dira-t-on, mais aussi par crainte de se voir accusées pendant l’enquête ou au cours du procès d’avoir été elles-mêmes la cause de leur malheur par leur comportement. En termes clairs, d’avoir « allumé » la libido de leur violeur. Sans oublier la honte de devoir revivre son viol en racontant par le menu les détails sordides devant le voyeurisme d’une assemblée concupiscente. Les alternatives qui se posent aux femmes victimes de violence sont quasi-inexistantes à Madagascar : peu de centres d’écoute ou de soutien, d’aide juridique structurée, ou de structure d’accompagnement psychologique. Le combat sera de longue haleine. Même en France, où une femme sur 10 est victime de viol, et où un viol se déroule toutes les huit minutes, il y a encore beaucoup de réticence des victimes à porter plainte malgré l’existence de structures d’accompagnement.

Face à ce désert, il faut saluer l’initiative d’un groupement d’avocats qui offre de défendre gratuitement les femmes victimes de violence (contact : 03383 60153 et 03427 62143). Des associations regroupées au sein du réseau Tihava se spécialisent dans l’accompagnement des femmes victimes de violence. Toutefois, sans doute faute de moyens et de capacité, ces associations ne sont pas connues du grand public. Est-il envisageable que des accords entre ces associations, ces avocats et les médias permettent d’afficher les contacts nécessaires de façon permanente, afin que les victimes puissent facilement y avoir accès quand nécessaire ? La société civile peut-elle mettre en place un numéro vert avec l’aide des opérateurs de téléphonie, et le faire connaitre à la population ?

L’acte de viol est tout d’abord un problème de mentalité, et donc d’éducation. Penser qu’il est normal de prendre de force ce que l’on convoite relève de la psychologie, si ce n’est de la psychiatrie. Mais cela illustre également une faillite des éducateurs qui n’ont pas su inculquer dans les enfants et les adolescents les normes et valeurs qui devraient les guider dans leur vie d’adultes. Question déjà posée dans le forum en décembre 2009 : quelle différence sur le plan de la mentalité entre un auteur de coup d’État, un mpanendaka à Analakely ou un dahalo : « je veux, je prends, n’iza faly, n’iza tsy faly ». Par conséquent, celui qui prend le pouvoir sans être élu, celui qui vole un zébu sans l’acheter, ou celui qui utilise le corps d’autrui pour son orgasme sans y avoir été invité ne procèdent-ils pas de la même mentalité, celle de voyou mal élevé ?

Quand l’éducation a priori se révèle être un échec, il faut renforcer l’éducation a posteriori, par la sanction. De 1994 à 2001, lorsque Rudy Giuliani était maire de New York, il avait réussi à faire baisser la criminalité de sa ville en appliquant la théorie de la vitre cassée : il faut réprimer sévèrement les auteurs de petits délits, pour briser dans l’œuf leur potentiel à faire de grands délits. Il ne faut pas être un devin pour imaginer ce qu’un bougre qui ose mettre la main au postérieur d’une femme dans la rue, ou qui la colle d’un peu trop près dans un bus bondé, serait capable de faire s’il la rencontre la nuit dans un endroit désert. À ceci s’ajoute le phénomène de groupe, où quand ces bougres se retrouvent ensemble, ils se muent en association de malfaiteurs ayant leur cerveau dans leurs testicules. C’est donc la malsaine émulation pour voir qui osera aller le plus loin, jusqu’à commettre l’irréparable.

Si les banlieues françaises sont connues pour leurs tournantes, les banlieues et les bas-quartiers d’Antananarivo connaissent aussi un phénomène plus ou moins similaire sous le nom de « kapo-dahy ». Mais le pire, que ce soit chez les banlieusards de Paris ou d’Antananarivo, c’est que souvent les auteurs n’ont même pas conscience que ce qu’ils font est mal, car ils considèrent que c’est un amusement comme un autre. Un paysan des environs d’Ambohimahasoa m’avait dit que les premiers rapports sexuels en milieu rural relèvent souvent d’un viol, que ce soit pour l’auteur ou la victime. C’est un acte qui finit donc par passer dans les habitudes des jeunes, dans les champs ou les bois.

Mais il serait faux de croire que le viol est une question qui concerne uniquement les milieux défavorisés ou les milieux ruraux, et les classes sociales ayant un déficit d’éducation. Le cas de Dominique Strauss-Kahn montre que l’on peut être instruit, éduqué, riche, et ne pas être capable de gérer ses pulsions primaires. En fait, pour l’auteur, le viol est également une question de manifestation de son pouvoir et de sa puissance, définie comme la capacité à imposer sa volonté. Et si la contrainte par la force est un aspect, la contrainte morale en est un autre, en particulier dans le milieu du travail. Combien d’embauches, de promotion, d’avantages, ou même du maintien d’un emploi, ont été obtenus en échange de faveurs sexuelles ?

La sortie d’un livre en France fut l’occasion pour un écrivain d’insinuer que Nicolas Sarkozy lui-même aurait obtenu une fellation de la part d’une élue, en échange d’un financement public de son projet de musée. Il y a quelques années, la Ministre du Travail de l’époque Alice Razafinakanga avait révélé publiquement qu’elle avait dû autrefois renoncer à un stage à l’extérieur car le Directeur qui devait prendre la décision exigeait en contrepartie un cadeau à payer en nature. Et enfin, de nombreuses étudiantes de l’Université révèlent en cercle privé que des Professeurs ne se privent pas d’exiger des faveurs sexuelles en échange de la validation d’un mémoire, d’une thèse, ou même dans le cas des étudiantes en médecine, de la validation d’un stage en milieu hospitalier.

Ces phénomènes de viols et de harcèlement se déroulent donc en toute impunité, du fait du silence. Face à cela, et après la faillite du système éducatif, le système répressif devrait aider à recadrer les personnes dont la virilité n’est pas accompagnée d’une moralité adéquate. Mais une question se pose dans le contexte actuel : les forces de sécurité et la justice sont-elles suffisamment dignes de confiance pour qu’une victime aille porter plainte dans l’espoir rationnel d’être entendue ? Quand on voit l’accroissement du niveau de corruption à travers les chiffres de Transparency international, on se dit que les cons sensuels ont encore de beaux jours devant eux. Sauf si une alliance nationale de toutes les personnes de bonne volonté réussissait à faire changer la honte de camp.

Notes

[1Un mort dans votre voisinage a pour vous plus d’intérêt que 1.000 morts à mille kilomètres de là où vous vous trouvez.

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