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samedi 27 septembre 2025
Antananarivo | 12h22
 

Politique

La Gen Z Madagascar présente au pouvoir la facture de son arrogance

samedi 27 septembre | Ndimby A., Patrick A. |  529 visites  | 4 commentaires 

Inspirés par les jeunes népalais qui ont fait tomber il y a quelques semaines un gouvernement autoritaire, corrompu et arrogant, la Gen Z malgache est descendue dans les rues de la Capitale le jeudi 25 septembre 2025 pour manifester contre les délestages d’eau et d’électricité. La montée en puissance du mouvement sur les réseaux sociaux a été symbolisée par la viralité de la version malgachisée du drapeau des pirates du manga One Piece.

La journée de jeudi a malheureusement été marquée par la violence dès les débuts. Dans le but de disperser les manifestants, les forces de l’ordre ont usé de leur brutalité habituelle, mais la Gen Z a résisté. Hélas, en l’espace de quelques heures, la manifestation de protestation contre les délestages de la Jirama est passée de l’exploit au cauchemar. Exploit, car la Gen Z malgache a réussi à mobiliser une masse critique de la population, là où les politiciens ont échoué depuis des années. Cauchemar parce que des casseurs et des pilleurs se sont invités à la manifestation et ont dénaturé son caractère pacifique.

Dérapages incontrôlés ou téléguidés ?

Ces pillages soulignent une accumulation d’erreurs et d’échecs du préfet de police d’Antananarivo, le général Angelo Ravelonarivo, avec sa propension systématique à refuser d’autoriser les manifestations qui ne célèbrent pas le pouvoir en place. Il a donc interdit celle de jeudi dernier, ce qui a jeté de l’huile sur le feu. On note d’ailleurs qu’une décision du tribunal administratif lui a donné tort par rapport à son arrêté d’interdiction. S’il avait été un peu plus fin avant de le prendre, les choses auraient certainement pris une autre tournure. Ses réquisitions ont été inefficaces à protéger les biens et les personnes. Le préfet de police a failli au maintien de l’ordre qui est sa mission principale.

Pendant toute la journée de jeudi, l’étrange comportement des forces de l’ordre a rendu la population perplexe : féroces contre les manifestants, mais permissives contre les casseurs. Ce n’est que le vendredi qu’elles ont commencé à prendre des actions, mais ont été débordées par l’ampleur des pillages diurnes et nocturnes contre les commerces et les domiciles de particuliers. Les mouvements de protestation, la répression et les pillages se sont également étendus à de nombreuses villes comme Antsirabe, Mahajanga, Antsiranana, Toamasina et Toliara. De nombreux blessés ainsi qu’une demi-douzaine de morts seraient à déplorer. Il faudra toutefois faire la distinction entre les décès de manifestants, comme l’étudiant Rivaldo à Antsiranana, et les pilleurs qui sont tombés sous les balles des forces de l’ordre ou ont grillé dans les incendies qu’ils avaient provoqué.

À qui profitent tous ces dérapages ? On sait depuis la deuxième République de Ratsiraka que l’utilisation de casseurs et de voyous pour discréditer les mouvements de protestation est une pratique des dirigeants malgaches. Le mode opératoire est hérité des sinistres OPK (opérations Karana) des années 1980 et du lundi noir de 2009. Des petits groupes attendent dans un quartier avec des outils préparés à l’avance, reçoivent un mystérieux top pour forcer les issues d’un commerce ciblé, mais ne prennent rien pour eux-mêmes tout en invitant les populations les plus démunies à venir en masse se servir pour finir le “travail”.

Outre le fait de satisfaire ceux qui ont une mentalité suffisamment basse pour profiter de telles situations, cela crée une psychose qui va pousser la population à se terrer chez elle et ne pas grossir les rangs des manifestants, ce qui, dans l’esprit de certaines autorités, pourrait contribuer à ramener le calme et le silence. On ne sait donc pas si les dérapages qui ont commencé jeudi sont incontrôlés ou, au contraire, font partie d’un plan au bénéfice de "stratèges”, qui pourraient être situés au niveau de certains pouvoirs politiques ou économiques. L’expérience vaut science : 2009 nous a appris que le clan politique Rajoelina n’avait pas beaucoup de scrupules à user de violence pour aller vers le pouvoir, et s’y maintenir.

Le lien entre le régime Rajoelina et les gros bras prêts à participer à des coups de force est une donnée connue depuis 2009. Issus des bas-quartiers et principalement des milieux du rugby, ils avaient pesé lourd dans son arrivée au pouvoir, plus particulièrement à travers les événements du lundi noir (26 janvier 2009) et de la marche sanglante vers le palais d’Ambohitsorohitra (7 février 2009). On les a également vus dans les rues de la Capitale en 2023, s’illustrant notamment par des actes de violence contre les manifestations organisées par le Collectif des candidats du côté des 67 hectares. La méthode du pouvoir est donc connue : opposer des contre-manifestants aux manifestants, jouant ainsi un jeu dangereux qui peut à la longue être une porte vers la guerre civile. Le préfet de police avait révélé au début de cette semaine que les partisans du pouvoir s’étaient apprêtés à tenir jeudi un rassemblement au Roxy, à deux pas d’Ambohijatovo. Rassemblement de qui, et dans quel but ? On peut aussi s’étonner que certains commerces soient systématiquement épargnés par les pillages : y a-t-il eu collusion de leurs propriétaires avec les meneurs ?

Conséquences de l’arrogance

En se comportant avec arrogance depuis des décennies, les dirigeants actuels portent une grande responsabilité dans la colère de la population, en accumulant fraudes électorales, gaspillant les deniers publics dans des projets inutiles, affichant une totale impunité dans la corruption, et n’hésitant jamais à des mensonges cousus de fil blanc et vite rattrapés par la réalité. Face à la grogne, les dirigeants actuels ont adopté une démarche systématique : répondre par le mépris (“6% d’imbéciles sur Facebook”), pointer du doigt toute critique comme un acte de déstabilisation (y compris en manipulant le système judiciaire contre opposants et lanceurs d’alerte), et assimiler tout ce qui est société civile à opposition politique et auteurs de coups d’État (“tous ceux qui ne sont pas pour nous sont contre nous”).

Devant toutes les ficelles utilisées pour la démocratie de façade, les repères censés être solides et rassurants ont perdu de leurs valeurs à cause de la politisation. L’exemple le plus caricatural est le général Richard Ravalomanana, dont l’accoutrement et le comportement ont discrédité l’image de la gendarmerie auprès de la population. De telles pratiques accentuent la division du pays, ainsi que la montée de l’extrémisme. Une large portion des citoyens en arrive à penser que la violence, voire un nouveau coup d’État, est désormais pour le pays la seule manière de s’en sortir car les gardiens de l’État de Droit ne sont plus crédibles, les raiamandreny ont baissé les bras, et la classe politique a perdu toute légitimité. La montée de la frustration citoyenne était donc prévisible et aggravée par l’arrogance systématique du pouvoir.

C’est dans ce contexte, qu’à l’inspiration de l’exemple népalais, la Gen Z malgache est apparue. Elle se caractérise par une maitrise des réseaux sociaux pour l’efficacité de la communication et de la mobilisation, et par une absence de véritables leaders pour personnaliser le mouvement et le politiser. Cela lui donne une crédibilité et une légitimité que la classe politique n’a pas. Toutefois, ces forces sont aussi ses faiblesses. La nature du mouvement pèche par sa nature : spontané, sans vision et sans expérience. Cela ouvre un boulevard à la récupération politique, mais également aux pillages que nous constatons actuellement.

Le mouvement Gen Z Madagascar se trouve donc à la croisée des chemins et devant un dilemme. Faut-il continuer dans l’approche pure “Gen Z” pour demander la fin des délestages d’eau et d’électricité, afin que le mouvement garde sa crédibilité et sa légitimité, ou faut-il prendre le risque de perdre celles-ci en créant des alliances avec les milieux politiques et syndicaux pour donner plus de poids au mouvement ? Le problème est que les objectifs ne sont pas les mêmes : protester contre les délestages pour la Gen Z, faire tomber le pouvoir et le prendre pour l’opposition. Toute alliance va donc finir par dénaturer le mouvement, qui risque de devenir une autre révolution des choux-fleurs. La Gen Z doit donc se demander ce qu’elle veut vraiment, fixer des objectifs clairs, se donner les moyens de les atteindre, et choisir avec qui veut-elle s’allier si elle désire monter des alliances. Sinon ce ne seront que des manifestations sans queue ni tête, sans direction, et sans impact. En sachant qu’en plus, obtenir du jour au lendemain des solutions aux délestages est un vœu pieu.

Dans leurs derniers messages, Andry Rajoelina et Angelo Ravelonarivo ont pris soin de faire la nuance entre les jeunes qui font des revendications légitimes, et les pilleurs. S’ils avaient eu la sagesse de faire cette distinction avant les évènements, ils auraient pu éviter les drames de ces 48 dernières heures. Malheureusement, dans la propension à l’autocratie pour l’un et à la protection du régime envers et contre tout pour l’autre, ils ont oublié que les tensions politiques sont comme les cocottes-minutes, et ont besoin d’une soupape de sécurité pour faire retomber la pression. La Gen Z aurait pu être celle-là. Dans sa déclaration se voulant apaisante hier dans la soirée, le chef de l’État a donné un message insipide et sans aucune innovation, répétant les mêmes éléments de langage. Si ces éléments avaient convaincu depuis tout ce temps, la Gen Z ne serait pas descendue dans la rue. Il a également offert de les rencontrer : il est à espérer que les influenceurs derrière le mouvement ne vont pas se déshonorer à accepter certaines pratiques de corruption que le pouvoir ne manquera pas de mettre sur la table.

Le limogeage du ministre de l’Énergie et les annonces présidentielles que les travaux d’amélioration électrique annoncés seront achevés d’ici peu ne suffiront nullement à satisfaire les revendications initiales. Les jeunes de la Génération Z appellent à nouveau ce samedi à une marche pacifique aux côtés des étudiants de l’université d’Ankatso. Les organisateurs invitent les participants à se retirer immédiatement si la situation venait à dégénérer, afin d’éviter tout amalgame avec d’éventuels fauteurs de trouble. Y aura-t-il là une occasion pour la vie socio-politique de prendre un tant soit peu un tournant vers une apparence plus normale ? La Gen Z conservera-t-elle l’appui d’une large portion de la population, des zoomers aux baby boomers ? Pour les forces de l’ordre et ceux qui ont la charge de les commander, l’espace pour saisir l’occasion et sortir de la hubris est étroit, mais semble être l’une des dernières opportunités pour ne pas finir comme les dinosaures.

4 commentaires

Vos commentaires

  • 27 septembre à 10:20 | Maestro (#7313)

    @ MT Tribune

    Faut-il continuer dans l’approche pure “Gen Z” pour demander la fin des délestages d’eau et d’électricité, afin que le mouvement garde sa crédibilité et sa légitimité, ou faut-il prendre le risque de perdre celles-ci en créant des alliances avec les milieux politiques et syndicaux pour donner plus de poids au mouvement ?

    Si vous vous posez cette question c’est que vous êtes un Has Been qui n’a rien compris de la Philosophie GEN Z. Je répète ! Pas de vieux ! Pas de gens qui étaient déjà là et qui ont failli. Objectif prioritaire : Santé , à manger , Education ( eau et jiro ) , je pense que c’est compréhensible par un être normalement constitué. Place aux Jeunes maintenant de gré ou de force.

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    • 27 septembre à 11:55 | Jipo (#4988) répond à Maestro

      Salama djaiby .
      « Jeunes de gré ou de force » ...
      le rat 6e dan des bals poussières n’ incarne-t-il pas ces djeunes ???
      On a vu le résultat !
      Il me parait important de se concerter avec les représentants politiques (pour ne pas dire l’ opposition) pour établir un plan permettant aux futurs prétendants de les réaliser ?
      Ces jeunes ne veulent pas ni la place de l’ actuel dirigeant ni faire de politique, leurs revendications sont claires et celui de l’ opposition capable de l’ entendre et pret à se battre pour les mettre en place aura automatiquement l’ aval de ces jeunes .
      Ils ne demandent pas non plus un jeune pas plus qu’ un vieux , là n’ est pas le problème, ils veulent (comme toute la société Malgache) la fin de cette incompétence, tolérance de corruption, pour ne pas dire complicité .
      Comme à son habitude, ( il ne peut en être autrement puisque incapable de quoi que ce soit d’ autre) il limoge le ministre comme il l’ a fait en remplaçant l’ ancien dirigeant de la zirama par r Weiss ou d’ Air mad !
      Comme si le ministre était responsable de pillages systémiques de la zirama ?
      Et pourquoi pas ce r Weiss qui est sensé avec le salaire qu’ il a & son « expérience » redresser et faire tourner la boite ???
      Donc toujours les memes méthodes pour gagner du temps et ne rien résoudre, du moins que les choses changent et la corruption continue !
      La prochaine initiative : changer le nom de la zirama par Marazi ou Ra-t-zima ? (et hop le tour est de nouveau joué ...)
      C ’est bien la gestion ( je ne dis pas incompétence) qui doit être « ré-initialisée » un reset en noble et due forme ils n’ ont TOUJOURS PAS ENCORE DEJA compris !!!
      Air Mad, Zirama (liste non exhaustive) persiste et signe : vous pourrez changer autant de X que vous voulez de dirigeant ( ou de noms ?), tant que vous ne changez pas les méthodes, vous attendre à des résultats différents relève de la « Konnerie la plus avérée !!! » à moins qu’ ils fassent exprès (ce dont je doute)
      L’ avidité et solution de facilité semblent plus fortes que le moindre soupçon de raison mahagaga ve ... (avec la mimique conventionnellement admise de : se gratter la tète pour feindre ne pas comprendre et pourtant réfléchir !)
      Il serait temps de mettre fin à ces méthodes (népotisme en priorité, je pense à Ravalomanana , incapable de penser à quelqu’ un d’ autre que sa femme ou son fils ! sic ...)
      A croire que c’est génétique ? & désespérant ( je ne dis pas Hopeless) mais depuis l’ indépendance vous n’ avez Toujours pas Encore DEJA compris : il vous faut quoi ???
      En hommage aux morts (jeunes bien sur) qu’ ils ne soient pas morts pour rien MDR !!!

  • 27 septembre à 10:22 | le kiki de tout les kiki (#11351)

    il faut voir cela comme comme une strategie de monter la population contre les Z par l utilisation des casseurs.
    Si les casseurs sont nombreux samedi matin, les Z ne doivent pas se retirer car cela diluera la tension et le gouvernement remportera la victoire.
    D ailleurs ou est le beau Prezida ?
    Est ce son role d etre je ne sais ou ?

    Si la generation Z s essouffle il reviendra en vainqueur..

    Autre hypothese possible
    le GVT et son cabinet noir ne veulent plus du rajzoel et ainsi le Bomba devient par interim avec les memes resultats que dernierement...

    Répondre

  • 27 septembre à 10:54 | luczanatan (#321)

    Tout est clarifié dans cet article. Merci.
    Je n’ai même plus envie de préconiser telle ou telle solution qui devrait être consensuelle tant la situation globale est grave.
    Au fond on peut faire certaines parallèles avec la France :
    - arrogance des élites
    - système de caste (limite mafieux à Madagascar )
    - fuite des cerveaux quand ils le peuvent
    - desinhibition des « sans foi ni loi »
    Bien entendu sans filet de sécurité matérielle à Madagascar.
    Ça fait 40 ans que j’entends parler de la Jirama.
    Finir comme les dinosaures ?
    Je ne comprends pas : par extinction naturelle, par éruption volcanique par chute d’une comète ou autre ?
    La jeunesse ?
    Le pouvoir le vrai pouvoir est il encore entre les mains des malgaches ?
    C’est dur d’avancer dans l’obscurité.
    La lumière est l’ennemi des pouvoirs...

    Répondre

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