Oui, je le reconnais volontiers : je suis de la génération des has been.
De ceux qui ont vécu 2009. De ceux qui ont cru qu’un meeting, une pétition, une tribune pouvaient faire évoluer les choses et peut-être changer le pays.
Je l’avais d’ailleurs écrit dans mon texte : « Nous avons vécu 2009. Pas eux. »
Eh bien, voilà. Aujourd’hui Eux sont là. Et ils ne nous ressemblent pas.
Et c’est tant mieux.

Une génération qui navigue autrement
Le mouvement Gen Z Madagascar ne s’inscrit dans aucune lignée.
Il ne descend pas de Wake Up, ni des luttes de 1972… Celles que j’ai vécues jeune et auxquelles GEN Z me fait avec un peu de nostalgie penser.
Et il descend encore moins (et c’est heureux) des mouvements de 2009. Il est vrai que le drapeau pirate de Luffy détourné à la Gasy est quand même autrement plus créatif et plus gai que des t-shirts orange.
Il est né ailleurs : dans le monde numérique, dans les réseaux, dans la colère.
Cette jeunesse ne lit pas nos manifestes, elle regarde des mangas.
Elle ne croit plus aux partis, elle croit aux crews.
Elle ne suit pas des leaders, elle suit des principes.
Et c’est là que j’ai découvert le socle symbolique de cette génération : le manga One Piece (oui, je sais … je suis has been).
One Piece , un manifeste politique sans le dire
One Piece, c’est bien plus qu’un manga, ou un dessin animé, ou même aujourd’hui une série (réjouissante) sur NetFlix. C’est une épopée politique déguisée en histoire de jeunes pirates.
On y apprend que :
- la liberté vaut plus que la gloire,
- l’amitié est une force révolutionnaire,
- le pouvoir corrompt toujours,
- la dignité se conquiert par la loyauté,
- et que le rire est une arme contre la peur.
Luffy et ses compagnons incarnent le refus du conformisme, le courage joyeux de ceux qui se battent sans haine, et la foi dans une fraternité horizontale.
Pas besoin de lire Marx ni Fanon.
Ils ont Luffy.
Et dans un monde saturé de mensonges, cela suffit pour rêver juste.
Quand les anciens parlaient, les jeunes écoutaient
Aujourd’hui, les jeunes agissent — et les anciens commentent. Je me souviens ici de Wake Up Madagascar [1] en 2013. C’était magnifique. C’était sincère. Mais ça n’a pas pris comme a pu prendre GEN Z.
Pourquoi ? Peut-être parce que Wake Up était trop raisonnable, trop “citoyen”, trop confiant dans les principes et la vertu de la morale publique. Wake Up croyait peut-être qu’il fallait convaincre. Les GEN Z savent qu’il faut bousculer.
De Wake Up à Gen Z : le passage du verbe à l’acte
Wake Up Madagascar, c’était une jeunesse urbaine, connectée, éduquée. Une élite qui rêvait d’un État meilleur. Mais qui ne parlait peut-être pas assez la langue du peuple. Et qui n’avait pas encore les outils d’aujourd’hui et leur diffusion pour se propager.
Gen Z Madagascar, c’est la rue, le téléphone, la vidéo, le hashtag. C’est la foule qui apprend à dire non, à filmer la violence, à rire de ses oppresseurs. C’est le peuple numérique, sans leader, sans drapeau, sans parti — mais avec une conscience aiguë de l’injustice.
Wake Up voulait “réveiller les consciences”. Gen Z veut “réveiller le pays.”
Une révolution connectée
En 2013, Wake Up imprimait encore des tracts. En 2025, ils font un live TikTok et atteignent 100 000 personnes. En 2013, les caméras appartenaient aux journalistes. En 2025, chaque smartphone est une caméra de vérité. Leur force, c’est la viralité. Leur arme, c’est la sincérité. Leur champ de bataille, c’est la toile. Et quand ils enflamment la toile, ce sont les puissants qui tremblent.
Une colère saine et morale, pas haineuse
Ce qui me frappe dans ce mouvement, c’est que malgré la rage, malgré la violence à laquelle il est confronté, malgré les tentatives de décrédibilisation et les pillages, il reste digne et enthousiaste. Pas de violence gratuite, pas de vengeance. Une colère nette, claire, assumée. Ils ne veulent pas brûler le pays : ils veulent qu’on arrête de le voler.
Leur “non-alignement” n’est pas un slogan. Leur “non-alignement” est une éthique. Et cette éthique-là, le peuple la sent. C’est ce qui explique leur crédibilité spontanée.
Faut-il une théorie pour durer ?
C’est la question qui revient souvent : Peuvent-ils durer sans idéologie ?
En 1972, la jeunesse avait Marx. En 2013, elle avait la morale. En 2025, elle a la rage même si elle paraît joyeuse. Mais la rage, si elle ne s’organise pas, s’épuise. Le défi pour Gen Z Madagascar, c’est donc d’apprendre à penser sans se figer.
Pas besoin de copier les anciens schémas. Ils inventeront leurs mots, leurs symboles, leurs utopies. Et peut-être qu’ils trouveront et adopteront, entre la spontanéité et la stratégie, entre la créativité et les rencontres, une nouvelle grammaire politique plus éthique, plus morale, plus durable, plus respectueuse des Communs. Une grammaire faite d’images, d’émotions, de partages — et d’intelligence collective.
Le rôle des “anciens”
Notre rôle à nous, les has been, n’est pas de les juger. Ni de leur donner des leçons. Et encore moins de les récupérer. Notre rôle, c’est de les accompagner. De leur prêter un peu de notre ’expérience — sans leur voler leur horizon. Nous avons nos cicatrices. Ils ont leur foi. Et c’est leur foi qui fera avancer le pays.
Parler au futur
On ne peut pas parler d’avenir sans parler au futur. Et on ne peut parler au futur qu’avec ceux qui le portent. Ce futur, ce n’est pas dans les programmes, ni dans les institutions, mais dans les yeux de ces jeunes qui filment, dessinent, chantent, dénoncent, codent et rêvent.
Alors, laissons-les naviguer (ce sont des pirates). Même si la mer est agitée. Même si nous ne comprenons pas toujours leur cap. On a rêvé de Libertalia, ils le réinventent peut être.
Car à la fin, c’est eux qui peuvent ramener Madagascar vers la lumière. Et ce jour-là, peut-être, nous pourrons sourire et dire, avec tendresse et humilité :
Nous avons vécu 2009, pas eux. Mais c’est bien eux qui vivront 2030.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 02 octobre 2025
Les Chroniques de Ragidro
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