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Société

Réflexion

Sur le fihavanana

samedi 2 octobre 2010 | Lucius

Le Malgache contemporain croit foncièrement que la singularité qui le différencie des autres nations est le fihavanana. Mais lorsqu’on lui demande de le définir, il est à court d’arguments. Il tombe dans les propos selon lesquels le mot n’a pas d’équivalent en langue étrangère et il préfére avancer des valeurs qui s’y rapprochent telles que « solidarité, concorde, pacifisme, amitié, ... ». Oui ! il y a des banalités comme telle présentes dans l’île que l’on voudrait tout simplement magnifier.

L’intelligence, faculté d’adaptation à une situation donnée, est la plus poussée chez l’être humain. De par cet avantage, l’homme a pris l’ascendant sur le reste des créatures de la nature. L’intelligence est en fait au nombre de trois : conceptuelle, pratique et sociale. La première est la capacité de l’esprit d’évoluer en abstraction, l’intelligence pratique la droiture à la réalisation des tâches, et la dernière la faculté de retourner en avantage la cohabitation en société.

L’exacerbation du fihavanana comme idiosyncrasie des habitants de Madagascar paraît toute récente. On ne l’a jamais entendu être instrumentalisé de la sorte lors de la période coloniale, ni pendant le XIXe siècle malgache, pas plus qu’auparavant. Bien que terme proprement malgache, jamais on n’y a tellement recouru qu’à l’époque actuelle. Il semble que sa fréquence d’utilisation relève de la nouvelle cohabitation nationale qui s’impose depuis le retour de l’indépendance. En effet, la période post-indépendance est un défi à la cohabitation des soi-disant « dix-huit ethnies » en raison de la « politique des races » cultivée par l’administration coloniale et le traumatisme des conquêtes merina, brutales durant ses dernières phases. Le vivre ensemble à Madagascar après les péripéties de l’histoire requiert un génie particulier.

Le fihavanana est l’expression malgache de l’intelligence sociale, par défi de l’évolution de son histoire. Il est une culture du consensus qui est loin cependant d’être un patrimoine typiquement malgache. En effet, alors que Madagascar n’était pas encore peuplé, le Grec Aristote enseignait déjà que « la vertu est le juste milieu entre les extrêmes », maxime qui résume ce qu’est la culture du consensus. Et certainement qu’elle a été présente chez les autres grandes civilisations nous ayant précédées, le plus ancien site archéologique du pays remonte à peine à 406 ap. JC (Andavakoera, dans la partie septentrionale). Les Malgaches ne sont donc pas si exceptionnels tels qu’ils se croient ; cette erreur d’auto-jugement est à mettre sur le compte de l’insularité. Le fihavanana, que l’opinion publique de la Grande île s’évertue à qualifier comme tempérament qui singularise les habitants de Madagascar, n’est que de l’intelligence sociale, soit une forme de prédisposition biologique. Il est ainsi naturel, au même titre que boire, manger ou se vêtir.

Des peuples en sont venus à l’extase en ayant cru qu’ils constituaient des nations élues de par la croyance en des exceptionnalités dont ils seraient les détenteurs. Le IIIe Reich qui croyait que la race germanique avait été conçue pour être le maître du monde, le Japon militariste qui prétendait simultanément être le « peuple du soleil » et donc devait dominer le reste du monde. Lorsqu’on exacerbe à l’extrême ce à quoi on est convaincu d’être unique, on tombe dans les dérives du fanatisme dont le lot qui l’accompagne est l’intolérance et le mépris de l’autre. À force de se replier sur soi-même en se référant sans cesse au fihavanana nous prenons le risque de nous considérer comme le nombril du monde. Un challenge d’ordre économique et social s’impose avant de courir le monde.

6 commentaires

Vos commentaires

  • 2 octobre 2010 à 09:24 | da fily (#2745)

    Merci Lucius, une approche logique et concrète, mais qu’en est-il vraiment dans l’ensemble du pays quand on demande « fihavanana » ?

    J’ose espérer que les posts vont fuser et fumer ici, un bien beau sujet, une bonne tranche à se mettre sous la dent en quelque sorte ! allons, allons...il y a tellement à dire.

    • 4 octobre 2010 à 17:45 | rabri (#2507) répond à da fily

      « Les Malgaches ne sont donc pas si exceptionnels tels qu’ils se croient ; cette erreur d’auto-jugement est à mettre sur le compte de l’insularité. Le fihavanana, que l’opinion publique de la Grande île s’évertue à qualifier comme tempérament qui singularise les habitants de Madagascar, n’est que de l’intelligence sociale, soit une forme de prédisposition biologique. Il est ainsi naturel, au même titre que boire, manger ou se vêtir. »

      Réponse à l’auteur(e), juste en prenant 2 exemples à finalités sociale et économique

      * à finalité sociale : quand vous avez un défunt dans la famille, le respect du fihavanana traditionnel depuis la veillée mortuaire jusqu’à l’enterrement montre la singularité des malgaches car quelque soit le niveau social du défunt, et par conséquent son état financier, c’est la communauté familiale et élargie qui soutient les frais liés à son enterrement et tous les rites autour. Demandez aux européens ce que c’est qu’être pauvre et faire supporter son enterrement par sa famille ( le nombre de personnes qui assistent à l’enterrement est aussi un indicateur de la pauvreté en FIHAVANANA de la société européeenne)

      * à finalité économique : le valin-tànana ( = entraide pour des activités comme les travaux des champs ou construire une maison, ...) qui se pratique encore dans la société rurale malgache est aussi une expression pratique du fihavanana. COntrairement à ce qu’avance l’auteur(e) de façon simpliste et non approfondie, le fihavanana est donc ici UNE INTELLIGENCE SOCIALE PROVOQUEE PAR UNE NECESSITE ECONOMIQUE et NON PAS UNE SIMPLE PREDISPOSITION BIOLOGIQUE

  • 2 octobre 2010 à 11:34 | betoko (#413)

    Pour moi , le « FIAVANANA » est la pire des hypocrisie à la malgache ,
    Souvent j’ai entendu ce ci , « attention ne porte pas plainte contre un tel , car nos fiavanana ne sera plus le même , » et l’autre en profite
    Idém en politique , et vous vous faites avoir aussi , alors si vous ne voulez pas se faire avoir, mettez dehors de « fiavanana à la con »
    On peut interpréter le « fiavanana » comme la tolérance à la française , mais contrairement à celle ci , il n’y pas de limite

  • 2 octobre 2010 à 13:10 | Be Naivo (#712)

    Le fihavanana peut être interprété comme un « bien vivre ensemble ». Cette sorte d’harmonie sociale n’a de sens que dans une société sans grand déséquilibre. C’était globalement le cas dans les années 60-70. Le fihavanana y avait donc sa place.

    Aujourd’hui, lorsque 10% de la population possède 90% des richesses, quand le 10 du mois les caisses de 90% des ménages sont vides, le malgache normalement constitué et au ventre vide n’ira pas philosopher sur le fameux adage : « aleo very tsikalakalam-bola toy izay very tsikalakalam-pihavanana ».

    Quelque part il a raison, le fihavanana n’est plus qu’un souvenir.

  • 2 octobre 2010 à 22:32 | che taranaka (#99)

    FIHAVANANA , étymologiquement ce mot a comme racine « havana » (famille).

    Le fihavanana est surtout évoqué dans son sens absolu lors des décès .En effet c’est à cet ultime moment qu’on reconnait les havana qui sont un peu plus que des amis . Des havanas à qui on peut compter alors que soi-même n’est plus capable de rien , alors que peut-être on leur a rien laissé !..

    C’est un concept de philosophie malgache qui a toujours existé et auquel les différentes générations avaient toujours respecté la vertu.

    Le fihavanana est l’ « AMOUR DESINTERSSE »(amour désintéressé) qui unit ceux qui sont sortis du même VENTRE(descendance) ,par opposition à ceux qui sont unis dans la même église ou même parti...etc, dans la joie et la détresse et surtout dans la détresse !.

    A partir de ce mot havana la philosophie malgache a développé beaucoup de concepts philosophiques (entraide..).Ce que vous appelez des banalités.

    Mais ce fihavanana a des limites à plusieurs moments .Et beaucoup de proverbes malgaches expriment ces limites.« Na zaza tiana aza rehefa manaikitra nono akifika » ou « Raha razana tsy hitaha mifohaza hiady vomanga »...

    Mais le fihavanana a une notion de qualité « ataovy fihavanan’andriana »

    Mais le fihavanana, on peut l’avoir aussi par dépit « fanambadiana tsy raikitra ka tsy atao maharatsy fihavanana »

    Mais le fihavanana est aussi un bien qu’on lègue « tazomy ny fihavanana »

    .....

    Ainsi le fihavanana ,expression de l’amour qui unit les familles donc , a des limites à droite,le zanaka ;à gauche,le razana et même au milieu car ce fihavanana il faut l’entretenir « hatero kalao ny fihavanana » « imbikena mitam-pihavanana ».Le fihavanana a beaucoup d’aspects qui régissent le malgache et sa société.

    Je ne pense pas que les malgaches sont les seuls à magnifier les liens qui les unissent.

    Les malgaches ne sont pas les seuls à avoir des codes de conduite par rapport à leurs proches.

    Je ne pense pas que les humains sont les seuls à être capable d’entretenir des liens entre individus et entre individu et son environnement.

    Mais c’est merveilleux de pouvoir ,de vouloir sublimer des valeurs qui nous font du bien !.Des valeurs qui nous civilisent !

    Quand beaucoup de choses disparaissent ce qui reste est la CULTURE . Et le fihavanana est une culture malgache et espérons qu’il le reste.

    Si , en plus , le fihavanana nous permet d’avoir des relations pacifiées et enrichissantes pour les uns et pour les autres et pour nos environnements sublimons le !!!.

    Restons optimistes malgré le matérialisme et l’individualisme ambiants et le machiavelisme de certains.

    Le fihavanana dans l’entendement du malgache est ce garde fou de sa conscience..« sao maha ratsy fihavanana.. » ...le fihavanana est aussi un don de soi et aussi un sacrifice « aleo very tsikalakalam-bola toy izay very tsikalakalam-pihavanana » ....en plus du « aza ny lohasaha mangina no jerena fa Andriamanitra antampon’ny loha »..

    Tout çà réuni et respecté , le malagache est au nirvana de sa sagesse individuelle et sociale...

    Le malgache ne s’enferme pas ,ne se rabaisse pas et ne se montre pas supérieur vis à vis de personne.

    Le fihavanana est l’expression de son être,de ce qu’il est..

    Tout ça bien avant le christianisme ,« frères chrétiens » qui a un peu compromis le « mpirahalahy mian’ala ka ianao tokiko ary izaho tokinao »..vu la situation actuelle du pays c’est plutôt « judas qui a trahi son maître ,son frère pour 30 piastres ».

    Oui le vivre ensemble malgache n’est pas tout en fait le vivre ensemble chrétien ou autres.La hiérarchie,le respect ..le savoir n’ont peut-être pas les même graduations dans toutes les civilisations et dans toutes les communautés..
    La vertu aristotélicienne n’est pas forcément paramétrée de la même manière que le « marimaritra iraisana mitam-pihavanana ny resy tsy akoraina ,ny mpandresy tsy hobina » malgache...

    ....Notre société a rencontré d’autres valeurs qu’elle n’a pas sues (ou pues ) digérer. Elle a ,peut-être, évolué en fonction de cette mauvaise digestion..ce qui n’est pas souvent une bonne chose..car les conséquences sont néfastes à court ou long terme..

    Mais le fihavanana est une marque de la civilisation malgache..loin de la loi de talion,loin de l’égoïsme,du matérialisme ...

    Et je ne veux pas le conjuguer au PASSE !

    • 4 octobre 2010 à 14:59 | Triton (#4759) répond à che taranaka

      A mon avis, ce dont l’auteur de l’article a voulu souligné le plus est que, le fihavanana est une invention toute récente. Or, un élément d’une culture suppose un enracinement dans le temps. La notion de fihavanana, tel qu’on le véhicule de nos jours, ne date que de l’indépendance (la Première République) : « pour faire face au défi de la cohabitation forcée des soi-disant dix-huit ethnies » dit l’auteur.

      « Philosophie malgache » dites-vous ? Je n’en doute pas… Mais donner de l’excès de prétention à cette philosophie !? j’ai de la retenue, tout comme je n’encense ni ne sous-estime aucuns de mes contemporaines. Je suis de ceux qui pensent que ce qui est meilleur pour Madagascar reste à définir. Si vraiment le fihavanana est si vertueux qu’on le dise, ce pays ne serait pas dans le peloton de la queue (dans le tableau de l’économie et du social par exemple). Tant qu’on y est, où es-tu si cher fihavanana dans cette crise de 2009-2010 ; pourquoi ne claques-tu pas ta baguette magique pour mettre d’accord ces gens des sociétés politique et civile !?

      En fait, le fihavanana est pour moi de l’illusion parce que la nature foncière de l’homme est transcrite dans la formule homo homini lupus (l’homme est un loup pour l’homme).

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