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vendredi 12 décembre 2025
Antananarivo | 09h28
 

Editorial

Refondation Madagascar : Asa fa tsy kabary (des actes et non des discours)

vendredi 12 décembre | Lalatiana Pitchboule |  113 visites 

Le Piège des Grands Mots

On les adore, ces grands mots : Révolution, Refondation, Transition. Ils font sérieux dans les communiqués, rassurent les bailleurs et donnent à certains le plaisir inavoué de sentir le parfum de l’Histoire. On nous promet de changer les choses en profondeur, de retrouver une identité, de rédiger une Constitution enfin adaptée à nos réalités. Et l’on pense que, une fois ce texte refondateur pondu, tous nos problèmes seront résolus.

Mais quand grandirons-nous ? Quand sortirons-nous de ce délire structuraliste qui énonce que de bonnes institutions engendrent mécaniquement la démocratie et le développement ? Quand réaliserons-nous que la mise en place de ces « bonnes » institutions, si tant est qu’elles le soient, prendrait au bas mot quinze ans ?

Le Formalisme, Opium des Élites

Je me veux profondément démocrate, mais je le vois : notre démocratie s’enferme une fois de plus dans un formalisme stérile. Le débat FFKM ou pas FFKM importe peu … Avec ou sans, nous avons déjà vu par le passé que ces processus de dialogue national n’ont produit que très peu de résultats tangibles… Le seul qui ait vraiment été mené au bout (on oublie les annonces de concertation de 2002 et 2013), à savoir la convention de Panorama de 1991 qui préparait la 3e république, n’a pas permis à cette dernière de durer plus de 18 ans.

Allons-nous attendre vingt ans de plus pour accepter que ce fétichisme institutionnel ne résout rien du quotidien des citoyens ?… Un peu de pragmatisme que diable !

Quand le peuple veut en priorité de la sécurité, de l’emploi, de l’eau et de l’électricité, un accès aux soins et à une école de qualité pour les enfants, des infrastructures qui lui permettront de se déplace, de communiquer et de distribuer ses produits… Et une justice juste équilibrée et ferme … Est-ce trop demander … Pourquoi préfère-t-on se battre pour organiser au plus vite soit le rétablissement des anciennes élites pourries, soit leur remplacement par de nouvelles élites … moins pourries ?

Mais il s’agit aujourd’hui de reconstruire un pays brisé par 60 années de gabegies, de corruptions et de renonciations. Qui peut VRAIMENT croire que cette reconstruction se fera en 2 ans ? … En 4 ans ???… En 10 ans ??? Qui peut VRAIMENT croire qu’il suffira d’une concertation nationale, d’une nouvelle élection et d’un vote pour que le pays, d’un claquement de doigts, refasse connaissance avec le progrès et une croissance inclusive…

Et qu’on puisse enfin permettre aux plus démunis de sortir de la misère… On a encore en tête les années 70s et les conventions militantes qu’étaient les Zaikabe … Le livre rouge de Ratsiraka s’est appuyé sur cette séquence de mobilisation et de « rénovation nationale » … pour légitimer la Deuxième République et sa ligne révolutionnaire … On en connait les dramatiques résultats … C’était pourtant formalisé…

Que Dieu nous garde qu’une configuration curieusement symétrique (révolte des jeunes, renversement du pouvoir, montée au pouvoir de militaires …) produise les mêmes tares.

De la pensée magique

C’est tout le paradoxe malgache. Nous venons de vivre l’un des épisodes les plus brutaux de notre histoire politique récente… Et l’un des plus riches … Et pourtant, le logiciel mental reste le même. On change le décor, on repeint la façade, on renomme le régime, mais on conserve cette croyance magique : la démocratie – ou ce que nous en faisons – finira bien par produire le développement… Un jour… Plus tard… Quand on aura fini de discuter.

On est dans la pensée magique, là… Le « Asa fa tsy kabary » (des actes, pas des discours) de Tsiranana commence à me manquer.

Le Divorce entre le Pays Légal et le Pays Réel

On nous rejoue le même scénario : proclamer une refondation, promettre une grande concertation inclusive, réécrire la Constitution, puis organiser des élections « libres et transparentes ». Comme si le développement allait couler mécaniquement d’un bon texte fondamental et de bulletins bien comptés. On instillera bien au milieu quelques promesses sur l’électricité, l’eau ou les routes, alors que cela devrait être LA priorité absolue.

Mais le peuple, lui, ne vit pas dans un préambule constitutionnel. Pour lui, la question n’est pas : « Quel régime est le plus conforme aux standards internationaux ? », mais bien : « Demain, aurai-je de quoi nourrir ma famille ? »

Le plus ironique, c’est que ce moment de « refondation » offre en réalité la possibilité d’un pouvoir fort. Non pas un pouvoir fort contre la population, mais un pouvoir fort contre les inerties : contre les mafias de l’électricité, les monopoles de l’importation, les réseaux qui confisquent l’État depuis des décennies. Un pouvoir qui oserait dire : « Pendant deux ans, on arrête de disperser l’énergie politique. On se concentre sur dix priorités de survie. Et on vous en rend compte. »

Au lieu de cela, on tergiverse. On discute d’organigrammes, on chipote sur la couleur des feux rouges alors qu’on n’a toujours pas dessiné le plan du quartier. On annonce une transition calibrée en mois, sans savoir en quoi la vie d’une paysanne d’Itasy ou d’un jeune chômeur de Toliara sera différente au bout du compte.

L’Alternative : Un Agenda d’Urgence Nationale

Sortir de cette illusion, ce n’est pas mépriser la démocratie. C’est arrêter de la réduire à un calendrier et à une grammaire institutionnelle. C’est accepter cette vérité brutale : une élection propre n’a jamais, à elle seule, rempli un bidon d’eau ni créé un emploi durable. Elle peut empêcher le pire ; elle ne produit pas le mieux. Il faut qu’on accepte que cette reconstruction du cadre DEVRA PRENDRE DES ANNEES.

La question devient alors : comment s’attaquer tout de suite aux priorités, sans basculer dans l’autoritarisme ? La piste est de poser noir sur blanc un **Agenda d’Urgence Nationale**, lisible par un collégien, tenu par le gouvernement, mais surveillé par la société. Il ne s’agirait pas de slogans, mais d’engagements d’objectifs vérifiables sur les sujets de l’énergie, de l’eau, des infrastructures, de la sécurité, de la santé, de l’emploi massif…

Et de la justice avec la menée à terme d’au moins cinq dossiers emblématiques de corruption et de crimes d’État pour réduire le sentiment d’impunité…. Et de l’emploi en lançant des programmes massifs tels que des programmes de travaux à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) pour créer des dizaines de milliers d’emplois temporaires dans la réhabilitation d’infrastructures publiques.

Pour mettre en œuvre cet agenda, il faut des équipes d’exécution resserrées. Pas un énième Haut-Conseil pléthorique, mais des **task forces** dotées d’un mandat clair, d’un délai strict et comptables de leurs résultats. Leur performance serait suivie via des **tableaux de bord publics**, affichés en ligne et dans les mairies, commentés et discutés par tous : voici ce qui a été promis, voilà ce qui est fait, et voilà pourquoi le reste ne l’est pas encore. C’est la fin des excuses et le début de la redevabilité.

Réinventer la Démocratie : le Contrôle Citoyen en Action

Et la démocratie, dans tout ça ? Elle ne disparaît pas, elle change de place. Elle cesse d’être seulement la scène des grandes batailles de pouvoir pour devenir une machine de **contrôle citoyen** sur cet agenda minimal. Elle devient aussi le laboratoire où s’expérimente le nouveau contrat social.

On renforcerait les espaces de parole : des médias et des journalistes protégés, des syndicats et collectifs légitimes pour challenger les résultats, les assemblées locales (*fokonolona*) où l’on peut dire ce qui ne va pas. On pourrait même imaginer dissoudre l’Assemblée Nationale actuelle pour la remplacer par une **assemblée citoyenne tournante** composée en partie de citoyens tirés au sort. Son rôle ne serait pas de légiférer sur tout, mais de contrôler l’action de l’exécutif sur les priorités de l’Agenda d’Urgence.

Le contrat doit être clair : la priorité de la Transition n’est pas de produire un texte parfait, mais de prouver que l’État peut, pour une fois, tenir parole sur des choses simples et vitales.

Conclusion : Jouer pour la Dignité

La Génération Z qui a bravé les balles ne s’est pas levée pour ajouter une Constitution de plus à la collection. Elle s’est levée parce qu’elle étouffait dans un pays où l’on promet le « développement » comme on promet la pluie pendant la saison sèche. Il ne faudrait pas que ces jeunes tombent à leur tour dans le piège de ce conformisme mortifère.

Alors oui, gardons le mot « refondation » si cela rassure. Mais cessons de le traiter comme une incantation juridique. Refonder, ce n’est pas seulement réécrire les règles du jeu ; c’est changer **ce pour quoi on joue**.

Le jour où la Transition mettra plus d’énergie à faire tourner les pompes à eau qu’à polir les communiqués, on pourra commencer à croire qu’on sort enfin du cycle. D’ici là, on continuera de faire du sur-place… Très démocratiquement, dans le noir …

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 11/12/2025
Les Chroniques de Ragidro

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