« Where law ends, tyranny begins. »
(« Là où la loi s’arrête, la tyrannie commence. »)
John Locke, Second traité du gouvernement civil, 1690, § 202
Manifestations pacifiques, ordonnances désuètes, usage contesté de la force : une analyse critique de la base juridique fragile sur laquelle repose aujourd’hui le maintien de l’ordre à Madagascar.
Depuis le 25 septembre 2025, des manifestations initiées par la jeunesse malgache, notamment par la génération dite Gen Z , se sont multipliées à travers le territoire national pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité. Ces rassemblements, jusqu’alors notoirement pacifiques, ont suscité une réaction sécuritaire appuyée : les autorités invoquent de manière récurrente la nécessité de « maintenir l’ordre public » et le non-respect de l’obligation d’autorisation préalable pour engager des mesures de dispersion. Une telle justification, pourtant, laisse apparaître l’absence de fondement juridique solide. Ce que le gouvernement présente comme une exigence démocratique apparaît, à l’examen des textes applicables, comme un édifice bâti sur du sable juridique.
Cette fragilité normative se manifeste dans la référence constante à deux textes réglementaires anciens : l’ordonnance n°60-082 du 13 août 1960 relative aux réunions publiques et aux manifestations sur la voie publique, et l’ordonnance n°60-104 du 21 septembre 1960 relative aux attroupements. Ces deux instruments, érigés en fondement du régime actuel d’encadrement et de dispersion des rassemblements, soulèvent une double difficulté : d’une part, leur compatibilité avec la Constitution et les principes fondamentaux qu’elle consacre ; d’autre part, leur conformité aux engagements internationaux de l’État malgache, notamment ceux issus du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Or, la Constitution malgache de 2010, dans son Préambule et à l’article 137, reconnaît non seulement la primauté des traités internationaux sur la loi, mais admet également les instruments internationaux de protection des droits fondamentaux, au premier rang desquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques au sein du « bloc de constitutionnalité ». La jurisprudence constante de la Haute Cour Constitutionnelle confirme que les Observations générales du Comité des droits de l’Homme, chargées d’interpréter le Pacte, constituent des normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité. Dès lors, l’analyse de la légalité des mesures invoquées à l’encontre des manifestants pacifiques ne peut s’abstraire de cette interpénétration des niveaux constitutionnels et conventionnels.
La présente étude se propose d’examiner la validité juridique du dispositif répressif fondé sur les ordonnances précitées, à la lumière du droit positif en vigueur. Elle entend démontrer que l’édifice normatif ainsi mobilisé ne résiste ni à l’épreuve de la hiérarchie des normes internes, ni à celle des engagements internationaux contraignants. En ce sens, les restrictions opposées à l’exercice des libertés publiques fondamentales relèvent non d’une application du droit, mais d’une fiction juridique, au sens où l’entendait Jean Carbonnier : « Un droit sans appui devient fiction ».
L’analyse s’articulera en deux temps. Il conviendra d’abord de montrer que les ordonnances invoquées, non révisées ni adaptées, apparaissent dépourvues de fondement juridique dans l’ordre constitutionnel actuel (I). Il s’agira ensuite d’examiner comment les conditions et modalités de maintien de l’ordre qui en découlent se heurtent aux exigences du droit constitutionnel et du droit international des droits de l’homme (II).
I. UNE VALIDITE JURIDIQUE EN QUESTION : LES ORDONNANCES DE 1960 A L’EPREUVE DE L’EVOLUTION DU DROIT POSITIF
La répression des manifestations pacifiques par les autorités s’appuie de manière constante sur deux textes normatifs adoptés en 1960 : l’ordonnance n°60-082 du 13 août 1960, relative aux réunions publiques et aux manifestations sur la voie publique, et l’ordonnance n°60-104 du 21 septembre 1960, relative aux attroupements. Si ces textes sont encore formellement en vigueur, leur application dans l’ordre juridique actuel soulève de sérieuses interrogations quant à leur validité juridique effective. Adoptés dans un contexte constitutionnel différent, antérieurs à l’intégration des engagements internationaux de l’État en matière de droits de l’Homme, ces instruments présentent aujourd’hui une obsolescence fonctionnelle et normative manifeste. Leur maintien dans l’arsenal juridique semble désormais difficilement conciliable avec les principes constitutionnels et les normes internationales supérieures.
- 1. Des textes initialement adoptés dans un cadre constitutionnel valide
L’ordonnance n°60-082 du 13 août 1960 et l’ordonnance n°60-104 du 21 septembre 1960 ont été prises sous l’empire de la Constitution du 29 avril 1959, modifiée le 2 juillet 1960 pour accompagner l’accession de Madagascar à l’indépendance. Ces ordonnances, édictées dans les premières semaines de l’État souverain, visaient à encadrer l’exercice des libertés collectives dans un contexte institutionnel naissant, marqué par la nécessité d’établir un ordre juridique autonome et opérationnel.
À ce titre, ces textes s’inscrivaient dans une logique de consolidation étatique, destinée à doter les nouvelles autorités de mécanismes de régulation des rassemblements publics, dans un souci de stabilité et de contrôle. Leur adoption dans un cadre constitutionnel alors en vigueur leur confère une légalité initiale incontestable, qui ne saurait être remise en cause a posteriori.
Toutefois, cette légalité initiale ne saurait être appréhendée en dehors de l’évolution globale du droit applicable, tant sur le plan international que dans le cadre constitutionnel interne. C’est à la lumière de cette transformation progressive du système normatif que la pertinence actuelle des ordonnances de 1960 doit être réévaluée.
- 2. Une perte de pertinence normative à la lumière de l’évolution du cadre juridique
L’évolution du cadre juridique applicable à la protection des libertés fondamentales ne résulte pas uniquement d’un développement interne. Elle trouve d’abord son impulsion dans l’adoption du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966, puis dans sa ratification par Madagascar en 1971. Ce tournant majeur dans la reconnaissance des droits humains à l’échelle universelle a progressivement imposé de repenser les instruments juridiques nationaux relatifs aux libertés publiques.
L’intégration des normes conventionnelles internationales dans le droit positif malgache, désormais érigées en références constitutionnelles, a entraîné une transformation substantielle du cadre normatif applicable à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique. Ainsi, du fait de cette double évolution, normative et constitutionnelle, les ordonnances de 1960 se trouvent en profond décalage avec les exigences actuelles de protection des droits fondamentaux.
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- a) La transformation du statut des libertés fondamentales dans l’ordre international
Un tournant majeur dans le traitement juridique des libertés fondamentales est intervenu avec l’adoption, le 16 décembre 1966, par l’Assemblée générale des Nations unies, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [ratifié-https://treaties.un.org/pages/viewdetails.aspx?src=ind&mtdsg_no=iv-4&chapter=4&clang=_fr] par Madagascar le 21 juin 1971. Ce texte consacre, notamment aux articles 19 et 21, le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique, en posant les bases d’un encadrement strict des restrictions, limitées à des critères précis de légalité, légitimité et proportionnalité.
Dès lors, les dispositions des ordonnances de 1960, qui instituent un régime d’autorisation préalable pour toute manifestation, assorti de pouvoirs coercitifs étendus en cas d’attroupement non autorisé, apparaissent difficilement conciliables avec les standards internationaux en matière de protection des libertés fondamentales. Le droit international impose, en effet, que toute restriction soit nécessaire dans une société démocratique, et proportionnée au but poursuivi, ce qui exclut les systèmes d’autorisation systématique ou les répressions automatiques des rassemblements pacifiques.
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- b) L’intégration du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans le bloc de constitutionnalité malgache
L’article 137 alinéa 4 de la Constitution du 11 décembre 2010 confère aux traités régulièrement ratifiés une valeur supérieure à celle de la loi, dans la hiérarchie des normes. Cette primauté est évoquée de manière constante par la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle, laquelle n’hésite pas à déclarer non conforme à la Constitution des dispositions législatives qui ne la respectent pas. Cette supériorité de la convention internationale ayant fait l’objet d’une ratification, est renforcée par la référence explicite, dans le Préambule de la Constitution, à la Charte internationale des droits de l’Homme, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques constitue l’un des trois piliers fondamentaux, aux côtés de la Déclaration universelle et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Conformément à ce principe, les dispositions des deux pactes internationaux priment sur celles des deux ordonnances de 1960, lesquelles deviennent juridiquement inopérantes, et doivent être considérées comme étant, de facto, implicitement abrogées.
Par ailleurs, il est tout aussi important à rappeler que la jurisprudence constante de la Haute Cour Constitutionnelle reconnaît que les engagements internationaux de l’État relevant de la Charte internationale des droits de l’Homme, et en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, font partie intégrante du « bloc de constitutionnalité », au même titre que les droits et libertés consacrés dans le texte constitutionnel lui-même. A ce titre, leurs dispositions s’imposent à celles de tout texte législatif, comme le sont les ordonnances de 1960 qui nous intéressent.
La Haute juridiction reconnaît également une valeur interprétative de référence aux Observations générales du Comité des droits de l’Homme, l’organe conventionnel de garantie de la bonne application des deux pactes internationaux. Ces Observations générales précisent le sens et la portée normative des articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (respectivement dans les Observations générales n°34 (2011), relative à l’article 19 (liberté d’expression), et n°37 (2020), portant sur l’article 21 (droit de réunion pacifique). Ainsi, toute mesure nationale portant atteinte à ces droits fondamentaux doit être strictement conforme aux standards conventionnels, ce qui implique une révision ou une mise en compatibilité des textes antérieurs, à défaut de quoi leur application devient juridiquement contestable.
- 3. Une inadéquation organique et fonctionnelle dans le système juridique actuel
Au-delà de leur incompatibilité normative, les ordonnances de 1960 présentent une obsolescence organique manifeste. Leurs dispositions reposent sur des références institutionnelles aujourd’hui caduques (notamment, le délégué général du Gouvernement pour la ville d’Antananarivo), ce qui soulève des difficultés quant à leur application effective dans le cadre administratif contemporain.
Sur le fond, ces textes traduisent une philosophie juridique de la restriction préalable, où la liberté est subordonnée à l’autorisation de l’administration, et où tout rassemblement non autorisé peut être qualifié d’attroupement répressible. Cette logique est diamétralement opposée aux principes démocratiques consacrés par la Constitution de 2010, notamment le principe de liberté comme règle, et de restriction comme exception strictement encadrée.
Enfin, aucune mesure de révision formelle, d’adaptation institutionnelle, ni d’abrogation explicite n’a été prise pour intégrer ces ordonnances à l’architecture juridique de la Quatrième République. Leur maintien en l’état crée un décalage fonctionnel et normatif, susceptible d’être qualifié de caducité implicite, en raison de l’impossibilité matérielle et juridique de leur application dans un cadre constitutionnel transformé.
Ainsi donc, les ordonnances de 1960, bien que légalement adoptées dans un cadre constitutionnel initialement valide, ne répondent plus aux exigences du droit positif en vigueur. Leur validité juridique actuelle est structurellement affaiblie par :
- l’évolution du statut des droits fondamentaux dans l’ordre international ;
- leur non-conformité au bloc de constitutionnalité malgache, intégrant les normes conventionnelles ;
- et leur inadaptation aux institutions et principes démocratiques actuels.
Dans ces conditions, leur invocation pour restreindre ou sanctionner l’exercice pacifique des libertés publiques repose sur un fondement juridique incertain, fragilisé, voire inexistant. La suite de l’analyse se propose d’examiner dans quelle mesure les conditions et modalités de maintien de l’ordre mises en œuvre sur la base de ces textes satisfont, ou non, aux exigences du droit constitutionnel et international des droits de l’homme.
II. DES MODALITES CONTESTABLES : LE MAINTIEN DE L’ORDRE A L’EPREUVE DU DROIT CONSTITUTIONNEL ET INTERNATIONAL
La mise en œuvre des mesures de maintien de l’ordre en réponse aux manifestations pacifiques déclenchées depuis le 25 septembre 2025 repose sur un socle normatif que les autorités présentent comme conforme aux engagements internationaux de l’État malgache.
Dans son communiqué officiel du 29 septembre 2025, le gouvernement affirme en effet que les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment les articles 19 et 21, s’appliquent aux manifestations en question, tout en précisant que les libertés qu’ils garantissent peuvent être restreintes pour des motifs légitimes, tels que la sécurité nationale, l’ordre public ou la moralité publique.
Cependant, une analyse attentive révèle que cette reconnaissance du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’accompagne d’une lecture partielle et restrictive de ses clauses, permettant de justifier la permanence du régime d’autorisation préalable et le recours quasi automatique à l’ordonnance n°60-104 du 21 septembre 1960 pour la dispersion des rassemblements. Or, les textes internationaux eux-mêmes, tels qu’interprétés par les organes compétents, ainsi que la Constitution malgache, exigent que toute restriction aux droits fondamentaux réponde à des critères stricts de légalité, de nécessité et de proportionnalité.
- 1. Une base juridique fragilisée par une invocation partielle des engagements internationaux
Le gouvernement, dans son communiqué du 29 septembre 2025, se réfère explicitement aux articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont il rappelle qu’ils prévoient la possibilité de restreindre les libertés d’expression et de réunion dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public ou encore de la protection de la santé ou de la moralité publique. Il en déduit la légitimité du régime d’autorisation préalable imposé par l’ordonnance n°60-082 du 13 août 1960, et, par voie de conséquence, la validité des mesures de dispersion fondées sur l’ordonnance n°60-104 relative aux attroupements.
Toutefois, cette lecture s’avère incomplète et contraire à l’économie générale du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tel qu’interprété par le Comité des droits de l’homme. Les Observations générales n°34 (2011) sur l’article 19, et n°37 (2020) sur l’article 21, précisent que :
- toute restriction doit être clairement prévue par une norme accessible et compatible avec les normes supérieures ;
- elle doit poursuivre un objectif légitime déterminé de manière stricte ;
- - elle doit être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but poursuivi.
Ces textes rappellent que les manifestations pacifiques bénéficient d’une présomption de légalité, et que l’absence d’autorisation préalable ne peut, à elle seule, justifier leur dispersion. L’usage de la force ne peut être envisagé qu’en dernier recours, sur la base d’une évaluation contextuelle et circonstanciée du risque réel pour l’ordre public. En invoquant uniquement les motifs de restriction sans examiner ces conditions, le gouvernement adopte une interprétation partielle et dénaturée du Pacte, qui conduit à maintenir un régime juridique dérogatoire, sans considération pour la hiérarchie normative à laquelle l’État a librement souscrit.
Par ailleurs, les ordonnances invoquées, adoptées en 1960, n’ont jamais été révisées ni adaptées aux exigences du droit international conventionnel, ni soumises à une validation législative postérieure à la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1971. Elles ne peuvent dès lors constituer une base légale suffisante, au sens du droit international, pour fonder des restrictions aux droits fondamentaux.
- 2. Une mise en œuvre incompatible avec les obligations conventionnelles et constitutionnelles
Au-delà de leur fondement incertain, les modalités concrètes de mise en œuvre des mesures de maintien de l’ordre posent de sérieuses difficultés au regard du droit international, du droit régional africain et du droit constitutionnel interne.
Au plan international, les pratiques observées, dispersion systématique de rassemblements, arrestations sur la base du défaut d’autorisation, usage dissuasif de la force, ne satisfont pas aux exigences posées par les articles 19 §3 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tels qu’interprétés par les Observations générales susmentionnées. En particulier, le principe de proportionnalité, qui impose une évaluation concrète du risque, est absent des motivations avancées par les autorités. Surtout, la doctrine du Comité insiste sur le fait que l’État a une obligation positive de permettre et de faciliter les manifestations pacifiques, même non autorisées ou spontanées. La logique adoptée par le gouvernement malgache, présumer l’illégalité et réprimer, s’inscrit donc en rupture avec le régime protecteur prévu par le Pacte.
Au plan régional, les Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2017, viennent confirmer cette exigence. Ces lignes, applicables depuis la ratification par Madagascar de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (9 mars 1992), rappellent que :
- les restrictions aux libertés fondamentales doivent être interprétées strictement (§63-65) ;
- les autorités ont le devoir de faciliter, et non de décourager l’exercice des droits (§67) ;
- l’invocation de l’ordre public ne saurait se substituer à une justification concrète et motivée (§70).
En persistant à invoquer les ordonnances de 1960 comme instruments de gestion de l’espace public, les autorités bloquent l’évolution du droit positif vers une pleine effectivité des garanties fondamentales, telles que reconnues au plan africain.
Enfin, en droit interne, les articles 7 et 10 de la Constitution malgache de 2010 consacrent les libertés d’expression et de réunion pacifique. L’article 137 précise que les traités ratifiés ont une valeur supérieure à celle de la loi et doivent être respectés par toutes les autorités. La jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle reconnaît expressément que les Observations générales du Comité des droits de l’homme constituent des normes de référence pour le contrôle de constitutionnalité. Dès lors, le recours à des textes anciens, non adaptés, sans validation parlementaire postérieure à l’adoption de la Constitution ou aux traités internationaux, porte atteinte à la hiérarchie des normes, et donc à la sécurité juridique. À cela s’ajoute l’absence de voies de recours effectives contre les interdictions ou les mesures de dispersion, en violation de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La reconnaissance par les autorités malgaches de la valeur normative des articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne saurait donc masquer les déficiences structurelles du dispositif juridique actuellement mobilisé pour encadrer les manifestations pacifiques. L’analyse des fondements et de la mise en œuvre des restrictions révèle une double incompatibilité :
- d’une part, une lecture partielle et asymétrique des engagements internationaux, réduisant la protection des libertés à la seule énumération de leurs restrictions ;
- - d’autre part, une pratique de l’ordre public contraire aux standards internationaux, régionaux et constitutionnels en vigueur.
La légalité invoquée ne résiste ni à l’épreuve de la hiérarchie des normes, ni à celle des principes fondamentaux du droit démocratique.
En guise de conclusion
La présente analyse a mis en lumière la fragilité structurelle du fondement juridique invoqué pour encadrer, et dans les faits réprimer, les manifestations pacifiques qui se sont multipliées sur le territoire national depuis le 25 septembre 2025. L’ordonnance n°60-082 du 13 août 1960 relative aux réunions publiques et l’ordonnance n°60-104 du 21 septembre 1960 relative aux attroupements, érigées en piliers du régime de maintien de l’ordre, apparaissent, à l’examen, dépourvues de validité normative dans l’ordre juridique actuel. Ni leur origine, ni leur contenu, ni leur application ne résistent aux exigences de légalité, de hiérarchie des normes, ni à celles des engagements internationaux de l’État malgache.
Cette précarité juridique s’est vue paradoxalement confirmée par le communiqué officiel du 29 septembre 2025, par lequel le gouvernement, tout en reconnaissant la pleine valeur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tente de justifier le maintien des restrictions anciennes en s’appuyant sur une lecture partielle et instrumentale des clauses de limitation.
Ainsi, le dispositif normatif ainsi mobilisé s’apparente moins à une construction légale stable qu’à un échafaudage juridique instable, un édifice sur du sable, vulnérable à l’épreuve du droit international des droits de l’homme, du droit régional africain, comme du droit constitutionnel malgache.
Plus préoccupant encore est le décalage croissant entre les exigences du droit et la pratique des forces de l’ordre, notamment de la gendarmerie nationale, régulièrement mobilisée pour disperser ces manifestations, pourtant notoirement pacifiques. Or, l’article 7 du décret n°69-232 du 16 juin 1969 portant règlement du service intérieur de la gendarmerie nationale rappelle que tout gendarme prête le serment suivant :
- « Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne la discipline et le service auquel je suis appelé, et dans l’exercice de mes fonctions, de ne faire usage de la force que pour le maintien de l’ordre et l’exécution des lois. »
L’usage de la force n’est donc légitime que s’il s’inscrit dans le cadre strict de la légalité. En s’appuyant sur un dispositif juridique fragile, non mis à jour, et contraire aux engagements supérieurs de l’État, les interventions opérées contre des rassemblements pacifiques risquent de faire sortir les forces de sécurité de leur cadre de légalité, et, ce faisant, de les éloigner de leur serment d’obéissance à la loi. Ce glissement vers une application déconnectée des normes supérieures expose non seulement les libertés fondamentales, mais ébranle également l’autorité morale et juridique des institutions chargées de les protéger.
Ainsi, à persister à fonder le maintien de l’ordre sur un socle juridique sablonneux, le pouvoir s’expose à un enlisement juridique, où les instruments censés garantir la paix civile deviennent, faute de légitimité, les vecteurs d’un désordre plus profond : celui de l’incohérence normative et de la défiance institutionnelle.
Or, la mise en œuvre effective de la doctrine de « la gestion démocratique des foules », désormais consacrée comme principe directeur du maintien de l’ordre dans un État de droit, ne saurait se concevoir ni s’exercer en dehors du respect rigoureux de la légalité. Cette doctrine postule que la force publique, pour demeurer légitime, doit être juridiquement encadrée, proportionnée et respectueuse des droits fondamentaux. La démocratie, en matière de sécurité publique, ne se mesure pas à la puissance de la contrainte, mais à la fidélité du pouvoir à la loi qu’il proclame.
Ilaibaloda
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Vos commentaires
La technicité du droit dans son état pur.
Allez expliquer votre magnifique plaidoyer aux deux Rajoelina [ on en fait un élevage ] :
Le Président français de Madagascar et son conseil, ancien fonctionnaire de l’Etat français.
L’AN je n’en parle pas.
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