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International

France / Diplomatie

Le Quai d’Orsay en ligne de mire

jeudi 15 juillet 2010

(MFI / 13.07.10) Temple officiel de la diplomatie française, le Quai d’Orsay est en proie, comme les autres ministères, à la rigueur budgétaire, mais aussi à la concurrence effrénée de l’Élysée. Cible de nombreux critiques qui se préoccupent de son devenir, il est le sujet d’un livre enquête qui décrypte ses arcanes. Et d’une bande dessinée décapante.

« Nous sommes inquiets des conséquences pour la France d’un affaiblissement sans précédent de ses réseaux diplomatiques et culturels », ont souligné avec virulence, début juillet, dans une tribune commune publiée par le quotidien Le Monde, deux anciens ministres français des Affaires étrangères - l’un de droite, Alain Juppé (1993-1995), et l’autre de gauche, Hubert Védrine (1997-2002).

« Le budget du ministère des Affaires étrangères a toujours été très réduit : de l’ordre de 1,2 à 1,3 % du budget de l’Etat les meilleures années », soulignent-ils, précisant qu’en vingt-cinq ans, il a déjà été amputé de plus de 20 % de ses moyens financiers et en personnels. Pour eux, les économies en cours seraient marginales, tandis que l’effet des restrictions serait dévastateur : « L’instrument est sur le point d’être cassé. Cela se voit dans le monde entier. Tous nos partenaires s’en rendent compte »

De la grandeur mais aussi des servitudes

Des propos démentis par l’actuel chef de la Diplomatie, Bernard Kouchner, venu lui-même de la gauche dans un gouvernement de droite. Qui a qualifié les deux anciens ministres d’« un peu pessimistes et peut-être un peu oublieux », affirmant qu’il n’y a pas eu décroissance du budget mais progression depuis son arrivée à ce poste en 2007.

Pourtant, ce pessimisme est partagé par le journaliste Franck Renaud, qui a publié un essai intitulé Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France. Il y décrit l’envers du décor du Quai d’Orsay, le plus vieux service diplomatique du monde après le Foreign Office britannique, et qui possède le deuxième réseau diplomatique après celui des Etats-Unis. Selon lui, l’univers feutré des ambassades abrite, certes, de la grandeur mais aussi des servitudes, des misères et des bassesses, en commençant par les budgets, en chute libre, qui ne sont pas à la mesure des ambitions.

Il évoque les rivalités entre les énarques et ceux issus de l’Ecole d’Orient, mais aussi les réseaux et les services secrets. Et ceux qui profitent des indemnités de résidence ou de leur rang, et d’autres avantages liés à de « grande ambassades » alors que le petit personnel est sous-payé et parfois maltraité. Il parle aussi des « liaisons dangereuses » avec des sociétés étrangères dans des pays autoritaires, comme la Chine par exemple, en particulier en ce qui concerne l’octroi de visas.

L’auteur, qui vit en Asie, fustige la loi du silence qui entoure des scandales de toutes sortes : réseaux de promotions occultes, favoritisme, gaspillages de fonds, tourisme sous couvert de voyages officiels, pillage du mobilier national, corruption, et même des cas de pédophilie…

Les ambassadeurs : tous des « incapables » ?

Le livre fourmille d’anecdotes et de chiffres, de révélations et de descriptions minutieuses, de portraits incisifs et de récits colorés, souvent ponctués de scènes surréalistes. L’auteur ne partage toutefois pas le point de vue de Dominique de Villepin. L’ancien ministre des Affaires étrangères du président Jacques Chirac aurait estimé, en s’installant à la tête du Quai d’Orsay qu’il connaissait bien, que les deux tiers des ambassadeurs sont des « incapables ».

Soulignant la valeur de nombreux diplomates, hommes et femmes (les femmes représentant 12 % des ambassadeurs), Franck Renaud appelle à ne pas rester sur une « illusion surannée ». Tout en estimant que Bernard Kouchner se contente d’expédier les affaires courantes. Un grief d’ailleurs partagé par l’écrivain Jean-Christophe Rufin, nommé ambassadeur de France à Dakar (Sénégal) en août 2007 sur proposition de Bernard Kouchner, avec lequel il a travaillé autrefois dans l’action humanitaire, et qui a quitté ses fonctions fin juin à la demande du président sénégalais Abdoulaye Wade.

« Bernard Kouchner n’a pas souhaité ou pas pu s’imposer dans ce domaine et, plus généralement, en politique étrangère. Étant donné son parcours que nous admirons tous, il est difficile de comprendre comment il peut avaliser des décisions prises par d’autres sur des bases qui ne sont pas les siennes », a-t-il déclaré dans Le Monde.

Bernard Kouchner a-t-il fait du MAE une ONG ?

« D’un côté, il y a un Quai d’Orsay qui sert de vitrine à la fois « people » et morale, et, de l’autre, une realpolitik faite par-derrière et par d’autres. Bernard Kouchner a réorganisé le ministère des Affaires étrangères à la manière d’une Organisation non gouvernementale. Le Quai d’Orsay est aujourd’hui un ministère sinistré, les diplomates sont dans le désarroi le plus total, car ils ne se sentent pas défendus », a-t-il souligné, affirmant que les Affaires africaines les plus sensibles sont tranchées par le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant « qui est un préfet et n’a pas une connaissance particulière de l’Afrique ».

Enfin, dans une bande dessinée très sarcastique, Quai d’Orsay, chroniques diplomatiques, Abel Lanzac, pseudonyme d’un ancien membre de plusieurs cabinets ministériels, et le dessinateur Christophe Blain, ont dépeint l’univers impitoyable de la politique et de la diplomatie - il devrait être suivi d’un deuxième tome. On y voit les vicissitudes de la vie au Quai d’Orsay à travers le regard d’un jeune « porte-plume », Arthur Vlaminck, chargé « du langage » - en fait de préparer les discours du ministre des Affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms, qui rappelle Dominique de Villepin.

Le ministre n’arrête pas de s’agiter jour et nuit et rend fou son cabinet, qui est sollicité de toutes parts y compris par l’Elysée. Le discours historique du ministre à l’ONU à New York, où il a refusé que la France intervienne en Irak aux côtés des Américains, y figure en bonne place, ainsi que le terrorisme, la construction européenne, le Proche-Orient ou les interventions en Afrique. Tout comme les conseillers, plus ou moins dévoués, le directeur de cabinet qui s’arrache les cheveux ou encore les amis écrivains du ministre… Le tout bien sûr sous pseudonyme, avec des coups de crayon et des textes incisifs.

Marie Joannidis

Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France , par Franck Renaud. Éditions Nouveau monde (coll. Les enquêteurs associés), juin 2010. 394 pages. 21 euros.

Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques , par Abel Lanzac (scénario) et Christophe Blain (dessin). Éditions Dargaud, 2010. 15,50 euros.

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