Facebook Twitter Google+ Les dernières actualités
samedi 20 avril 2024
Antananarivo | 16h48
 

Culturel

Jean-Joseph Rabearivelo, arraché à l’oubli

mercredi 26 janvier 2011

(MFI/25.01.2011) Senghor qui avait inclus ses poèmes dans sa célèbre Anthologie de la poésie africaine et malgache voyait en lui le « Prince des poètes malgaches ». Ses Œuvres complètes viennent d’être publiées aux éditions du CNRS. Elles permettront de redécouvrir, en France comme à Madagascar, le pays natal de Jean-Joseph Rabearivelo, ce grand poète de l’avant-Négritude, du spleen colonial et de la précarité du métissage, ont rappelé les intervenants à la Journée de lancement du premier volume des Œuvres complètes qui s’est tenue le 24 janvier à la prestigieuse École normale supérieure de Paris. Traducteur, romancier, dramaturge, essayiste, poète, « JJR » qui avait changé ses prénoms pour que ses initiales ressemblent à celles de Rousseau, avait situé son travail au carrefour de la grande tradition française et de la poésie en langue malgache. Entretien par courriel avec Brice Rakotomanga, son petit-fils, représentant et porte-parole des ayants-droits du poète à Antananarivo.

RFI : Le CNRS publie le premier volume des Œuvres complètes de votre grand-père. Etes-vous content de cette publication qui est le résultat d’un long travail de sauvegarde et de mise en valeur des manuscrits inédits réalisé par les chercheurs ?

Brice Rakotomanga : Oui, je suis très content du travail fait par toute l’équipe, à l’étranger et à Madagascar. Et je suis très fier de ce qu’ils ont accompli, qui n’a pas été facile du tout.

RFI : Grâce à ces Œuvres complètes, nous découvrons les fameux Calepins bleus, les journaux intimes de Rabearivelo, jamais édités jusqu’ici. Pourquoi votre famille a-t-elle attendu soixante-dix ans pour les publier ?

B.R. : Les démarches pour la publication des Calepins bleus, commencées en 1991, avec Mme Ulla Schild, professeur d’Ethnologie à l’université de Mayence, et Mme Christiane Diop de Présence Africaine, n’ont abouti qu’à la fin 2010.

RFI : Pourquoi votre Oncle Solofo - qui s’était occupé de la publication de l’œuvre de votre grand-père -, vous avait-il interdit de lire ces textes ?

B.R. : Mon oncle Solofo essayait, à mon sens, de préserver l’image que j’avais de mon grand-père. Mais quand enfin j’ai pu lire Les Calepins, je n’ai pas du tout été choqué, car je savais qu’en ces temps-là, c’était chose normale que l’épouse et la maîtresse se côtoient au quotidien. J’ai lu tant de romans, vu tant de films où cette cohabitation se pratiquait couramment. J’étais donc vacciné.

RFI : Comment ces journaux intimes à la réputation sulfureuse seront-ils reçus par les intellectuels malgaches ?

B.R.  : Je ne sais pas du tout. Je sais que les premiers exemplaires commandés par la librairie « Lecture et Loisirs » se sont arrachés comme des petits pains et que des commandes continuent d’arriver. Nous avons remis des exemplaires du livre à l’Université, à l’Académie, à la Bibliothèque nationale, aux Archives nationales, au lycée Jean-Jacques Rabearivelo. Les intellectuels à qui ils ont été remis ont accueilli le livre avec enthousiasme, voyant plutôt le côté « œuvre malgache », et laissant de côté les appréhensions sur cette réputation sulfureuse.

RFI : Certains milieux nationalistes avaient appelé au boycott des Œuvres complètes parce qu’elles n’ont pas été publiées par des éditeurs malgaches. Que pensez-vous de ce débat ?

B.R.  : C’est un débat qui n’a pas lieu d’être. Aucun éditeur malgache n’aurait pu le faire tout seul en raison des coûts, et de la spécificité de la publication : papier bible dont aucun éditeur ici ne dispose, brochage dont aucun n’a la compétence technique nécessaire. Cela dit, je rappelle que les Editions Tsipika, une maison d’édition à 100 % malgaches, sont co-éditeurs de ce premier volume des Œuvres complètes, selon les termes du contrat signé avec Présence Africaine.

RFI : Ne regrettez-vous pas tout de même que Les Calepins bleus n’aient pas été publiés séparément et à des prix plus abordables pour que le grand public puisse y accéder ?

B.R. : Un peu, mais nous n’avons pas trouvé de fonds pour le faire. J’ai fait des démarches auprès du service culturel d’une ambassade occidentale, et ils étaient disposés à financer l’édition, mais avec une remise des dossiers en octobre 2010… On n’aurait eu le fonds nécessaires qu’en mars 2011. Ce qui était trop loin à notre avis. Le CNRS ayant offert l’opportunité de l’inclure dans les Œuvres complètes, nous l’avons saisie, et je pense que c’est bien comme ça. On pourra plus tard, après la publication du volume 2, solliciter l’aide de cette ambassade pour une édition locale à prix réduit.

RFI : Quel souvenir les enfants gardent-ils de Rabearivelo, leur papa ?

B.R.  : Il était très aimant et attentif à tous leurs désirs quand il pouvait les satisfaire. Il avait demandé à Mary, ma grand-mère, d’apprendre la couture, la broderie et le tricotage, ce qu’elle a fait et cela lui a permis de survivre après le décès de JJR. Il faisait la cuisine, et inventait des recettes : par exemple, celle du « ramanonanaka » à base de tapioca !

RFI : Que représente Rabearivelo pour les Malgaches ? Est-ce que la jeune génération connaît son œuvre ?

B.R.  : Pour beaucoup de personnes, c’est un poète « maudit ». La jeune génération ne connaît pas du tout son œuvre, qui n’est pas étudiée à l’école. Pour ma part, je ne l’ai vraiment découverte qu’à la mort de Solofo, son fils, quand j’ai repris le projet en mains.

RFI : Vous avez remis au CNRS deux malles contenant les manuscrits inédits de Rabearivelo. Il semblerait qu’il y ait une autre malle. Si oui, que contient-elle ?

B.R. : Je précise que la malle n’a pas été remise au CNRS, mais a été confiée au Centre culturel français Albert Camus (CCAC) de Tananarive, qui dispose de tous les moyens techniques pour la conservation des manuscrits dans les meilleures conditions : coffre-fort, papier et cartons neutres. Quant à la troisième malle – il ne s’agit pas d’une malle proprement dite -, ce sont des documents éparpillés dans les affaires de mon oncle Solofo. C’est un vrai fatras qu’on est en train de remettre en ordre.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

6 commentaires

Vos commentaires

  • 26 janvier 2011 à 11:22 | Boris BEKAMISY (#4822)

    Manifestement NON !! JJRabearivelo n’est pas du tout arraché à l’oubli !

    Le maigre audience que soulève ce memoire indique que les malgaches continuent de plus belle à arborer une moue kilometrique par rapport à son heritage culturel

    Est-ce par ignorance, mépris ou indifference ? on ne le sait .Mais on ne peut pas ne pas faire la liaison avec la crise politique actuelle pour se demander si il y a manifestement un rapport entre ce deracinement culturel et le comportement deboussolé des malgaches devant son avenir politique .

    Un peuple qui affiche un degout volontaire ou involontaire de son histoire et son fondement culturel n’est qu’un peuple agnostique , inculte et qui s’ignore et il ne faut pas s’etonner s’ il n’arrive pas à construire ensemble d’une maniere consensuelle et inclusive son devenir commun.

    Les malgaches ,notamment les politiciens tous sans exception,sont des JJRabearivelo en puissance, ils sont tous des cimetières vivant car leur coeur n’est que un tombe auquel ils ont enterré l’ identité culturelle et le Fihavanana avec ....

    Et la suicide politique des dirigeants successifs trahissent que JJR s’en allait mais les politiques malgaches l’ont recupperré dans leur cimetière de coeur ....

  • 26 janvier 2011 à 13:57 | Rabila (#1379)

    Le livre est intéressant à plusieurs titres.
    Il démontre de façon définitive le talent écrivain de JJR qui avait un amour totale de la littérature française. Pour un autodidacte, il en avait une culture énorme. C’est tout son mérite.
    Il transpirait aussi dans ce livre la vie d’un homme partagé entre son état d’indigène et son fonctionnement de français. On devine que l’administration a fait tout pour le maintenir à la lisière de la citoyenneté et l’avait empêché de partir en France pour l’exposition coloniale.
    Le livre révélait aussi les mœurs et les détails de la vie à cette époque des années 20. La fumerie d’opium, les reblochons, les demi de bière, les vins, et les voitures. Et la sécurité dans la rue, la nuit, est la plus étonnante, le JJR et Cie rentrait tard sans aucun souci...

    Le livre vaut largement son prix. Le prix de ravitaillement de whisky d’un mois. On pourra déclarer un mois JJR où tous les ivrognes de bonne mœurs font abstinence et consacrent le pécule à l’achat du livre. Nous ferons ainsi honneur à notre JJR national.

    PS : dans la région d’Analamanga, il doit y avoir 100.000 personnes partant pour ce défi

    • 27 janvier 2011 à 02:22 | Vary-Manta (#2623) répond à Rabila

      Je suis très heureux de lire votre description.
      Vous me donnez envie de le lire ; je vais le commander.
      Merci

    • 28 janvier 2011 à 18:00 | adalabeu (#5220) répond à Rabila

      Respect à JJR, c’est un grand homme !

  • 26 janvier 2011 à 18:19 | nicoud (#1446)

    je souhaite connaître ce grand homme ; où peut on trouver ses livres ?

  • 27 janvier 2011 à 07:35 | ikoto (#4912)

    J’aime bien les œuvres de J.J. Rabearivelo et je remercie particulièrement l’artiste Dama (du groupe Mahaleo) d’avoir vulgarisé à travers une très belle chanson « dihy ». Pour moi la personnalité de J.J. Rabearivelo reste largement inconnue voire méconnue. Qui pourra nous affirmer ou infirmer que :

    - 1. J.J. Rabearivelo, très francophile, aurait adhéré à un groupe d’extrême-droite française « les Camelots du Roi » ?

    - 2. Il paraît que, désirant ardemment obtenir la « citoyenneté française », il se serait montré très virulent à l’endroit des « nationalistes » (groupés autour des communistes Jean Ralaimongo, Vittori, Planque et Dussac). Pourtant le pouvoir colonial aurait refusé de lui accorder la « citoyenneté » tant desirée rison pour laquelle J.J. Rabearivelo se serait suicidé !

    - 3. Cette « tranche de vie » inconnue par nos lycéens serait-elle sciemment occultée par l’autorité coloniale d’antan et par le monde littéraire francophile et francophone pour ne pas compromettre sa mémoire ?

    Serait-ce un pavé dans la marre ?

    ikoto

Publicité




Newsletter

[ Flux RSS ]

Suivez-nous

Madagascar-Tribune sur FACEBOOK  Madagascar-Tribune sur TWITTER  Madagascar-Tribune sur GOOGLE +  Madagascar-Tribune RSS