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samedi 27 avril 2024
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Impéritie ou sélectivité d’approche : le rôle de la Haute Cour Constitutionnelle en questions (Deuxième partie)

jeudi 7 mars |  783 visites 

2. Sélectivité de l’approche : méconnaissance de l’énoncé constitutionnel ou volonté d’une déconstruction de la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle

L’exception d’inconstitutionnalité apparaît pour la première fois, en droit malgache, à travers l’article 94 de la Constitution du 31 décembre 1975 qui prescrit que, « si devant une juridiction quelconque, une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et lui impartit un délai d’un mois pour saisir la Haute Cour Constitutionnelle qui doit statuer dans le délai le plus bref. » La Loi électorale n°98-001 du 8 avril 1998 portant révision de la Constitution, élargit son champ d’application à deux cas de figure, dans son article 122 alinéas 2 et 3. En dépit des vicissitudes de l’écriture de la Constitution, ces deux alinéas sont demeurés pour être repris, à quelques mots près, par les dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 118 de la Constitution du 11 décembre 2010. Le temps et la pratique constante de l’exception d’inconstitutionnalité, bien que peu connue des justiciables, ont contribué à la fabrique et à l’établissement d’une véritable jurisprudence, reconnue et respectée de cette procédure d’exception que la Décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 bouscule, en la limitant aussi bien dans son énonciation que dans sa portée.

Depuis que le droit malgache a réceptionné la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité, le champ d’application qui lui est assigné est extrêmement vaste. Sous l’ère de la Constitution actuelle, les contours de ce champ sont définis par l’article 118 alinéas 2 et 3. Selon ceux-ci, il est indiqué que, « Si, devant une juridiction, une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et saisit la Haute Cour Constitutionnelle qui statue dans le délai d’un mois.
De même, si devant juridiction, une partie soutient qu’une disposition de texte législatif ou réglementaire porte atteinte à ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, cette juridiction sursoit à statuer dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent. »

La rédaction de ces deux alinéas débute par la conjonction de subordination « si », qui introduit, pour chaque alinéa, une proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse. Celle-ci confère aux deux cas de figure qu’ils organisent indépendamment, la même valeur hypothétique. Les deux situations prévues par les deux alinéas de l’article 118 cohabitent ainsi dans un même champ, sans que l’un ou l’autre cas de figure soit privilégié ou aurait une ascendance sur l’autre. Ce que la Haute Cour Constitutionnelle ne fait pas dans sa Décision du 22 février 2024. Contrairement à la structure lexicale des deux alinéas, elle privilégie le troisième alinéa, et ignore le deuxième. Dès lors, souligne la Haute Cour, « l’exception d’inconstitutionnalité constitue ainsi pour le juge du procès une question préjudicielle ; qu’elle est le droit reconnu à toute personne, physique ou morale, qui est partie à un procès de soutenir qu’une disposition législative ou réglementaire n’est pas conforme à la Constitution ou porte atteinte aux droits et libertés que la loi fondamentale garantit (…) »(3ème considérant). Seule l’hypothèse prévue à l’alinéa 3 est prise en considération. L’exception d’inconstitutionnalité ne peut concerner que les actes de nature législative ou règlementaire qui ne seraient pas conforme à la Constitution ou qui violeraient les droits et libertés fondamentaux.

Cette définition du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité effectuée par la Haute Cour Constitutionnelle, et limitée à un seul volet de ses possibilités, ne traduit pas la volonté du constituant ainsi que la réalité de la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle, à un double titre.

Tout d’abord, rien ne justifie la mise à l’écart de l’alinéa 2 de l’article 118 de la Constitution. Aux termes de cet alinéa, le constituant ne pose aucune condition quant à la nature, ni au statut de l’acte pouvant faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Sur ce fondement, présent dans toutes les constitutions depuis 1975, la Haute Cour Constitutionnelle a reconnu que tous les actes juridiques, de portée générale ou individuelle pouvant interférer dans la résolution d’un litige pendant devant une juridiction, peut faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Le principe est affirmé par la Haute Cour Constitutionnelle dès la Décision n°05-HCC/D du 19 février 1985, Affaire Robinson Edmond. La Haute Cour Constitutionnelle y souligne que, « le contrôle de constitutionnalité ne se cantonne pas à la limitation formelle de l’article 88 de la Constitution (de 1975, à savoir aux lois, aux ordonnances et aux règlements autonomes), mais la censure de tous les autres actes de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentales garantis par la constitution, relève implicitement mais nécessairement de la compétence de la Haute Cour Constitutionnelle. »

La Haute Cour Constitutionnelle développera, par la suite, une jurisprudence relativement fournie, pour préciser les autres actes juridiques pouvant faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité, dont les actes de procédure judiciaire. C’est le cas :

  1. d’un acte de procédure judiciaire exécuté à l’endroit d’un individu, notamment d’une réquisition sans ordre écrit (Décision n°01-HCC/D2 du 5 février 1991, Affaire Ravaloson Seth) ;
  2. de l’interdiction faite à un avocat d’assister son client au niveau de l’enquête préliminaire (Décisionn°06-HCC/D2 du 23 novembre 1992, Affaire Rakotoarimanana) ;
  3. d’une « décision juridictionnelle devenue définitive quand elle porte atteinte à l’exercice d’un droit fondamental », il s’agit, en l’occurrence de l’arrêt n°241 du 1er mars 1999 rendu par la Cour d’appel d’Antananarivo (Décision n°01-HCC/D2 du 14 février 2001, Affaire Sarl Actual c/ Sipromad) ;
  4. d’un acte de poursuite pénale devant une juridiction de droit commun, pour un Premier ministre justiciable de la Haute cour de justice, et bénéficiant d’un privilège de juridiction (Décision n°02-HCC/D2 du 4 juillet 2003 relative à une exception d’inconstitutionnalité introduite par sieur Tantely Andrianarivo) ;
  5. de l’instruction de la poursuite pénale engagée devant la Chaîne pénale anti-corruption et le Pôle anti-corruption d’Antananarivo à l’endroit d’un ancien ministre, alors qu’il est justiciable devant la Haute cour de justice (Décision n°02-HCC/D2 du 23 août 2018 concernant une requête en exception d’inconstitutionnalité, Affaire Razafindravonona Jean et consorts)

Ainsi, contrairement à ce que la Décision n°01-HCC/D2 ignore, il existe une jurisprudence constante de la Haute Cour Constitutionnelle elle-même qui, en se fondant sur l’article 118 alinéa 2 de la Constitution, ou des dispositions constitutionnelles précédentes rédigées dans les mêmes termes, accepte et reconnaît une compétence étendue à la Haute Cour pour examiner dans une exception d’inconstitutionnalité tout acte juridique émanant des pouvoirs publics susceptible de porter atteinte à des droits constitutionnellement garantis.

Mais, au-delà de ces incertitudes liées à la définition sélective et inappropriée du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité, la décision du 22 février soulève aussi des interrogations sur les retombées d’une telle approche concernant le rôle du juge constitutionnel dans la protection de l’État de droit et la garantie des droits garantis par la Constitution, comme l’est l’exception d’inconstitutionnalité.

Selon les enseignements de la théorie du droit constitutionnel, l’exception d’inconstitutionnalité poursuit deux objectifs étroitement liés :

  1. d’une part, assurer l’autorité de la Constitution lors d’un litige concret en écartant l’application, ou en neutralisant les effets produits par toute norme (législative, règlementaire ou juridictionnelle) contraire à la Constitution. L’exception d’inconstitutionnalité joue alors un rôle vital dans le maintien de la hiérarchie des normes. Ce mécanisme garantit que la Constitution, en tant que norme suprême, est respectée et que toutes les autres normes sont conformes à ses principes et valeurs ; et
  2. d’autre part, garantir aux citoyens la possibilité de faire valoir efficacement leurs droits constitutionnels. L’exception d’inconstitutionnalité offre aux justiciables un moyen direct de défendre leurs droits et libertés fondamentaux tels qu’ils sont consacrés dans la Constitution. Cela renforce la protection des droits individuels et assure que les citoyens ont un recours effectif en cas de violation de ces droits par l’application de normes inconstitutionnelles.

En excluant l’exception d’inconstitutionnalité d’un acte de procédure, la décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 limite la portée de ce mécanisme, restreignant, notamment, la capacité des justiciables à invoquer l’inconstitutionnalité dans des contextes où des droits fondamentaux pourraient être en jeu, même dans le cadre d’une procédure juridictionnelle. Cette approche pourrait être vue comme une déviation de la fonction du juge constitutionnel en tant que garant de l’État de droit, en limitant la capacité de contrôle de la conformité des actes juridiques avec la Constitution.

Cette décision de la Haute Cour Constitutionnelle ouvre plusieurs conséquences concrètes sur la protection des droits constitutionnellement garantis et sur le rôle du juge constitutionnel.

La plus immédiate est le déni de justice qu’elle occasionne dans le traitement du procès pénal concernant le député Fetra Ralaizafimbololona, car la question de fond posée, celle du bénéfice de l’immunité parlementaire pour le requérant n’a pas été tranchée, alors que l’appréciation des modalités de sa mise en œuvre, qui nécessite l’interprétation de l’article 73 de la Constitution, ne peut être effectuée que par la Haute Cour Constitutionnelle. Le caractère indérogeable de la décision du 22 février 2024, condamne le traitement du contentieux pendant, dans une impasse. Que va faire le tribunal correctionnel d’Antananarivo, le 12 mars 2024 lorsqu’il aura à rendre sa sentence ? Se substituera-t-il à la Haute Cour Constitutionnelle dans l’appréciation des conditions et des modalités d’application de l’immunité parlementaire, alors que ce travail d’interprétation d’une disposition constitutionnelle n’est pas de son ressort, ou prendra-t-il une décision qui fera fi de la question de l’immunité parlementaire, au risque d’administrer la justice de manière partiale ?

Une autre conséquence de la situation se vérifie dans l’affaiblissement de la protection des doits constitutionnels. Si la Haute Cour Constitutionnelle prend des décisions qui ne préservent pas adéquatement les droits garantis par la constitution, cela affaiblira irrémédiablement la protection de ces droits. Enfin, Le juge constitutionnel est censé être le gardien de la constitution. S’il ne remplit pas ce rôle de manière adéquate, cela peut changer la perception de son rôle, affaiblir son autorité et remettre en question son indépendance et son impartialité.

A suivre : Dernière partie

Ilaibaloda

Lire aussi : Première partie

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1 commentaire

Vos commentaires

  • 7 mars à 12:14 | lé kopé (#10607)

    Un ancien Premier Ministre , non moins , Professeur de Droit Constitutionnel a dérogé à cette Loi , en nommant comme Président de la Haute Autorité de l’Etat (HAT) en 2009, le « surdoué ». Depuis cette date , ce régime n’a cessé de bafouer , et de violer La Loi Fondamentale . Vous parlez du cas du Député du TIM , arrêté sans ménagement lors de la marche Blanche des onze candidats à la Présidentielle , en pleine session Parlementaire , et pour avoir voulu défendre ses opinions . La dernière en date est la nomination du Gouvernement par Intérim pour remplacer le Chef de l’Etat , avant les élections Présidentielles , mais surtout , le parachutage en 48H du Général Bomba en tant que Président du Sénat , et tout de suite après , Chef d’Etat par Intérim , pour mâter les manifestants . Et ce ne sont que les bribes des dysfonctionnements de l’Etat durant les trois mandats successifs du « Leader Bien Aimé ». Certains parlent d’une République bananière , je n’irai pas jusque là , car dans cette République , plusieurs de leurs membres ne mangent pas que des bananes .

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