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samedi 27 avril 2024
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Impéritie ou sélectivité d’approche : le rôle de la Haute Cour Constitutionnelle en questions (Dernière partie)

vendredi 8 mars |  1096 visites 

3. Interprétation constitutionnelle, au cœur de l’office du juge constitutionnel dans l’exception d’inconstitutionnalité

La théorie du droit constitutionnel reconnaît unanimement la spécificité de la Constitution, en tant que norme juridique. La spécificité de la Constitution réside dans sa composition, qui se compose de principes dont le contenu prescriptif et la portée sont définis et précisés par l’interprétation du juge constitutionnel. L’interprétation constitutionnelle, dès lors, confère aux dispositions constitutionnelles leurs effets concrets et donne vie à la Constitution. Elle permet également d’assurer une cohérence au dispositif constitutionnel, garantissant ainsi la cohésion de l’ensemble de l’ordonnancement juridique. C’est en ce sens que se définit l’office du juge constitutionnel.

Le juge constitutionnel a le devoir d’interpréter systématiquement la Constitution dans diverses situations. Ces situations incluent notamment :
le contrôle obligatoire de la conformité des Lois organiques, des lois simples ou des ordonnances à la Constitution avant leur promulgation, conformément à l’article 117 de la Constitution ;

  • le contrôle de constitutionnalité de « tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence », initié par un chef d’institution ou du quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou des organes des collectivités territoriales décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de droit, comme stipulé dans l’article 118 alinéa 1er de la Constitution ;
  • le contrôle a posteriori basé sur une exception d’inconstitutionnalité, selon l’article 118 alinéas 2 et 3 de la Constitution) ;et
  • la « demande d’avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la Constitution », sollicitée par « tout chef d’Institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées », prévue par l’article 119 de la Constitution.

Dans chacun de ces contextes, la Haute Cour Constitutionnelle procède à une interprétation indifférenciée de la Constitution. Car, de façon générique l’interprétation est au cœur de la fonction de juger ;mais elle l’est davantage, en matière constitutionnelle, en raison de la nature de la norme constitutionnelle comme il est évoqué précédemment. L’interprétation est essentielle, tant pour comprendre la norme constitutionnelle que pour déterminer son application concrète.

En raison de l’importance de l’interprétation en matière constitutionnelle, l’affirmation par la Haute Cour Constitutionnelle selon laquelle la demande d’exception d’inconstitutionnalité peut être assimilée à une demande d’avis simplement parce qu’elle implique une interprétation constitutionnelle n’est pas pertinente. Cette approche apparaît comme une ruse argumentative, un prétexte et une fausse raison visant à contourner le vrai motif de sa décision ; ou comme une échappatoire pour éluder la question et répondre à côté. Bref, comme un procédé d’une argumentation d’autorité qui peine à dissimuler la faiblesse de l’argument.

En tout état de cause, il convient de souligner que l’assimilation de la demande d’exception d’inconstitutionnalité (article 118 al. 2 et 3 de la Constitution) à un avis d’interprétation constitutionnelle dans une procédure consultative (article 119 de la Constitution) n’est raisonnablement pas appropriée. Ces deux procédures de contrôle de conformité à la Constitution sont fondamentalement différentes. L’exception d’inconstitutionnalité ne peut avoir lieu, de manière incidente, qu’à l’occasion d’un procès devant une juridiction quel que soit son statut. Il s’agit d’un contrôle dit « concret », engagé dans un « cas concret » et des « litiges particuliers » où l’une des parties au procès soutient que l’une des normes dont dépend l’issue du litige pendant devant le juge de fond, porte atteinte à ses droits garantis par la Constitution. Elle réclame que ses droits constitutionnels soient appliqués dans la résolution du litige le concernant. Dans la situation concernée par la Décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024, le député Fetra Ralambozafimbololona conteste les conditions de son arrestation en invoquant le non-respect de l’immunité parlementaire, un droit garanti par la Constitution, dont il réclame le bénéfice. L’exception d’inconstitutionnalité qu’il soulève tend à prendre en considération ce droit constitutionnel dans l’appréciation de l’infraction pénale qui lui est reprochée et qui constituerait la base légale de son procès devant le tribunal correctionnel d’Antananarivo.

En revanche, la procédure consultative de l’article 109 de la Constitution est un contrôle abstrait, indépendant de tout litige concret. Cette procédure ne concerne pas la résolution d’un litige mais plutôt une évaluation générale de la constitutionnalité. Selon la Haute Cour Constitutionnelle cette procédure correspondrait mieux à la requête du député, celle-ci étant formulée, soutient-elle, comme une demande d’avis d’interprétation constitutionnelle. Or, les circonstances de l’affaire concernée par la décision ne correspondent aucunement avec la procédure consultative. L’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le député Fetra Ralambozafimbololona au cours d’un procès, ne peut être assimilée à une demande d’avis d’interprétation constitutionnelle qui s’inscrit en dehors de tout contentieux judiciaire. Les deux procédures sont d’une nature différente, des finalités distinctes que tout amalgame d’une situation à une autre, comme la Haute Cour Constitutionnelle l’effectue, ne peut trouver aucun ancrage explicatif pour le justifier. Elles ne doivent pas être confondues.

Bien que la distinction entre les procédures d’exception d’inconstitutionnalité et de consultation pour interprétation constitutionnelle soit fondamentale, il est important de prendre en compte les motivations et les contextes potentiels qui pourraient influencer les décisions de la Haute Cour Constitutionnelle. Ceux-ci, malheureusement, ne transparaissent aucunement dans la décision de la Haute Cour. Néanmoins, il est impératif pour la Haute Cour de maintenir la rigueur de son analyse juridique et de respecter scrupuleusement les distinctions procédurales établies par la Constitution. Cette rigueur est indispensable pour préserver l’intégrité du droit constitutionnel et garantir la protection des droits fondamentaux.


La jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle peut définir des seuils qui caractérisent son office et délimitent son périmètre d’intervention. Dans le cas de la Haute Cour Constitutionnelle, ce champ est circonscrit entre un seuil maximal, selon lequel le juge constitutionnel bénéficie d’une compétence d’attribution définie et limitée par la Constitution, et des seuils minimaux incarnés par le « principe de non-régression des valeurs constitutionnelles et celui du non-retour sur l’acquis juridique de l’Etat de droit démocratique », que la Haute Cour Constitutionnelle a dégagés de manière prétorienne dans son Avis n°02-HCC/AV du 13 juin 2015.

Cependant, l’analyse de la décision n°01-HCC/D2 du 22 février 2024 révèle que ces seuils sont mis à mal. En s’émancipant, notamment des seuils minimaux, la Haute Cour Constitutionnelle affaiblit et fragilise sa fonction de garant de l’Etat de droit et des droits fondamentaux, qui constitue en réalité le noyau irréductible de ses fonctions et de sa raison d’être.

Il est donc essentiel que la Haute Cour Constitutionnelle clarifie sa position et réaffirme son engagement en faveur de la protection des droits constitutionnels. Elle doit veiller à ce que son interprétation des textes soit guidée par une approche cohérente et respectueuse des principes fondamentaux de l’Etat de droit démocratique. C’est seulement ainsi qu’elle pourra remplir pleinement son rôle de garant de la Constitution et préserver la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.

Ilaibaloda
29 février 2024

Lire aussi : Première partie

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