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Tribune libre

Communiqué SEFAFI

Forces armées, crise politique et démocratie

samedi 22 mai 2010

Coup d’État réel ou virtuel ? Instauration d’un Directoire militaire ou d’un Comité militaire de salut public ? Ultimatum des forces armées qui exigent une feuille de route claire et crédible pour la Transition ? Instauration d’un gouvernement militaro-civil ? Finalement, refus de l’armée de participer à un gouvernement de manière institutionnelle. Une fois de plus, les forces armées se trouvent, involontairement ou volontairement impliquées dans une éventuelle solution d’une crise qui tend à s’éterniser.

Cette intrusion des militaires dans la vie politique commence à prendre un tour inquiétant pour l’avenir de la démocratie malgache. Le SeFaFi s’en était déjà inquiété dans son communiqué du 11 avril 2003 : « Militarisation et démocratisation » [1]. Il rappelait que, d’après le Statut des Militaires, « la disponibilité est la position du militaire qui, sur sa demande, a rompu temporairement son lien avec les Forces armées pour des raisons personnelles d’intérêt privé ou d’intérêt public ou pour l’exercice d’une fonction publique élective » (art. 79).

Depuis l’avènement de la Transition, la tendance des responsables de l’ensemble des Forces armées à s’immiscer dans la mêlée politique ne fait que s’aggraver. Parallèlement, des faits excessivement graves de corruption et de détournement de fonds publics ont été révélés au grand jour, sans que cela ne provoque la moindre action judiciaire et sanction militaire : et pourtant, ces faits concernent des officiers qui détiennent les plus hautes responsabilités au sein des Forces armées et du pouvoir civil.

Le 20 mai 2010, des échanges de tirs nourris ont eu lieu à Antananarivo (au Camp Fort-Duchesne) entre quelques éléments du FIGN d’une part, et l’EMMO-REG et le FIS d’autre part. Cet affrontement a fait des morts et des blessés des deux côtés. Même si les divergences entre les membres des forces armées ne sont plus un mystère, personne n’aurait imaginé une telle issue. Cela ne fait que ternir un peu plus l’image des forces armées auprès de la population : dans ces conditions, que penser de telles « forces de l’ordre », alors qu’elles devraient être le dernier rempart des droits des citoyens et de la démocratie ?

A cet égard, le SeFaFi rappelle qu’il existe un principe universel, qui est celui de la primauté du pouvoir civil sur les militaires. Ce principe s’applique à tous les régimes, y compris ceux de transition.

Un bref historique

Les forces armées malgaches sont entrées en politique pour la première fois lors de la crise de mai 1972. Tout au long de la 1èreRépublique, l’armée s’en était tenue à ses missions républicaines de défense du territoire face à d’éventuelles agressions extérieures. La Grande Ile étant encore un pays sous-développé, l’armée avait été appelée à jouer un rôle majeur en matière de développement, avec notamment la création du Service civique.

En 1972, ne contrôlant plus la situation politique, le président Philibert Tsiranana a nommé le chef d’état-major de l’armée, le général de division Gabriel Ramanantsoa, chef du gouvernement ; il lui a confié les pleins pouvoirs, c’est-à-dire les pouvoirs exécutif et législatif. Si la presse étrangère de l’époque a parlé de coup d’Etat militaire, il n’en était rien. C’est la population qui, descendue dans la rue, avait appelé les trois généraux de l’époque (Gabriel Ramanantsoa, Gilles Andriamahazo et Philibert Ramarolahay) et l’armée à prendre le pouvoir, faute d’alternance politique crédible. Le nouveau pouvoir, qui sera légitimé par le référendum du 8 octobre 1972, est un gouvernement de techniciens, composé de civils et de militaires.

Le 11 février 1975, un Directoire militaire s’institue par une ordonnance constitutionnelle pour faire face au vide institutionnel créé par l’assassinat du chef du gouvernement, le colonel Richard Ratsimandrava, auquel le général Ramanantsoa avait confié les pleins pouvoirs quelques jours plus tôt. Le même jour, il proclame la loi martiale qui substitue l’autorité militaire aux autorités civiles, et suspend les partis politiques. Pour la première fois, un pouvoir militaire est instauré à Madagascar. Le gouvernement formé par le colonel Ratsimandrava le 5 février 1975 est maintenu, mais il est désormais subordonné au Directoire militaire.

Le Directoire militaire se dissout le 13 juin 1975 en adoptant une nouvelle ordonnance constitutionnelle, qui organise les pouvoirs publics de la deuxième transition. Le capitaine de frégate Didier Ratsiraka est élu par ses pairs du Directoire militaire à la tête du CSR (Conseil Suprême de la Révolution) et du nouveau gouvernement. Les membres du Directoire militaire qui ne font pas partie du CSR sont intégrés au sein d’un CMD (Comité militaire pour le développement). CSR et CMD seront maintenus sous la IIème République, qui confie des postes de responsabilité aux militaires, désormais qualifiés de « militants en uniforme ». C’est le début de la politisation de l’armée.

Durant la crise politique de 1991, les forces armées ont pu préserver leur neutralité et jouer un rôle d’arbitre. Elles ont « pris leur responsabilité » en enfermant les protagonistes politiques de la crise à l’hôtel Panorama à Antananarivo jusqu’à la conclusion d’un accord politique de sortie de crise : la Convention du 31 octobre 1991 servira de loi constitutionnelle provisoire pour régir la troisième transition qui débouchera sur la IIIème République.

Pendant la crise de 2002, par contre, les forces armées sont d’abord restées en retrait. Puis, avec l’aide d’un nombre croissant d’officiers supérieurs ralliés à Marc Ravalomanana, celui-ci a pu rompre l’encerclement de la capitale et reconquérir les provinces. Cela se fit sans affrontements armés, à de rares exceptions près, mais par accords courtoisement négociés entre militaires.

La crise laissera toutefois des traces profondes, aggravées par le refus de toute amnistie et par une gestion peu orthodoxe de l’armée de la part du pouvoir (non-respect de l’ancienneté et de l’équilibre régional dans les nominations aux grades supérieurs, entre autres). Parallèlement, la politisation de l’armée était entretenue (les généraux Ranjeva aux Affaires étrangères et Rabemananjara premier Ministre), et la corruption se développait : Marc Ravalomanana s’est lui-même vanté d’avoir donné d’importantes sommes d’argent aux chefs militaires.

L’ambigüité du rôle joué par les forces armées entraînera la jalousie et le mécontentement des laissés-pour-compte, et notamment des sous-officiers. Cette situation explique en grande partie la désobéissance du CAPSAT en mars 2009, et le refus des chefs suprêmes d’accepter la démission du président Ravalomanana en leur faveur. Le malaise de l’armée est la conséquence d’une histoire qui a vu les régimes successifs tenter de l’instrumentaliser et de la politiser.

Quelles perspectives ?

Dans ces conditions, les forces armées ne sont pas en mesure d’engager et de réussir une médiation politique : tout aussi divisées que la société civile, elles ne semblent pas pouvoir s’entendre entre elle sur un schéma de sortie de crise à imposer aux politiques. Et a-t-on seulement pris la mesure de l’impopularité de l’armée et de la gendarmerie auprès de la population ? Une intrusion accentuée des forces armées dans la politique se heurterait au refus larvé d’une grande partie des citoyens. Et l’on voit mal, l’expérience le montre amplement à travers le monde, comment un régime militaire, même avec un gouvernement de techniciens théoriquement neutres (une autre utopie), peut se transformer en régime démocratique. L’expérience de la transition de 1972 et du régime Ratsiraka montre qu’il n’en est rien, d’autant plus que la rigueur et les valeurs républicaines ont perdu beaucoup de terrain dans l’esprit des militaires depuis ces années-là.

Face à une crise politique majeure, comme celle que vit Madagascar depuis plus d’un an, que peuvent faire les forces armées ? Les options sont en fait limitées. Elles peuvent contribuer à une médiation nationale entre les protagonistes, qui aboutirait à un accord politique et à une feuille de route pour la mise en place de la IVème République, selon un calendrier établi dans l’intérêt supérieur de la nation et non de celui d’une mouvance politique ou de la communauté internationale.

Une deuxième possibilité serait à envisager en cas d’atteinte grave aux institutions, au fonctionnement et à l’intégrité de l’Etat : les grèves d’avertissement des administrateurs civils et des comptables publics en seraient-ils des signes précurseurs ? La prise de pouvoir par l’armée pourrait alors devenir une nécessité, mais non sans conditions. Une entité militaire, dont la dénomination importe peu, serait à la tête de l’Etat avec la mission d’assurer l’ordre public et la sécurité ; et l’instauration d’un véritable régime démocratique, avec un commencement de redressement économique et social, serait confié à un gouvernement civil de techniciens sans coloration politique. Reste que l’histoire, y compris dans la Grande Île, démontre amplement que les militaires une fois au pouvoir ont une faible propension à le rendre aux civils, et que l’on n’a jamais vu un régime militaire accoucher d’une démocratie vigoureuse !

La présente réalité militaire pose alors la question incontournable de la refondation de l’armée, qui constituera l’un des chantiers majeurs de la IVème République. Au préalable, il n’est pas inutile de rappeler qu’il est inacceptable de voir une armée nationale avec une telle prolifération d’officiers supérieurs. Cela explique, les pressions politiques aidant, qu’ils envahissent l’administration, les sociétés d’Etat et le privé ! Il est donc urgent d’arrêter la formation de nouveaux officiers supérieurs pendant quelques années, puis de la reprendre avec modération, selon des quotas adaptés à l’effectif des troupes…

Plus radicalement, la raison d’être d’une armée est la défense du territoire contre les envahisseurs étrangers. Pour la Grande Île, la question se pose de savoir s’il existe une menace d’invasion militaire ; sinon, quelle serait la raison d’être d’une armée nationale ? Il suffirait au pays de disposer de forces de police urbaine et d’une gendarmerie vouée à la sécurité intérieure. Resterait la surveillance aérienne et maritime des côtes et de la zone économique exclusive, contre tous les trafics (pêche illicite de poissons et de crevettes, drogue et déchets toxiques), à laquelle pourrait être affecté un corps limité de militaires spécialisés.

Pour l’heure, la refondation des forces armées paraient incontournable, l’objectif final étant de restaurer une armée républicaine. Pour ce faire, il faudra établir un Code de conduite des forces armées et de sécurité, qui devra inclure les éléments suivants :

  • les conditions d’exercice du contrôle politique,
  • les normes d’exécution de la mission,
  • les dispositions internationales,
  • les droits et devoirs des militaires,
  • les relations entre les forces armées et les autres institutions.

Concernant le contrôle politique, le concept ambigu de « chef suprême des forces armées » accolé au président de la République a été à l’origine de dérives évidentes, et de l’utilisation politisée des forces armées. La raison en est la confusion entre la protection de l’institution présidentielle et celle de la personne assurant la fonction. Pour éviter les erreurs passées, il serait opportun de s’inspirer du modèle allemand, où le contrôle politique est également assuré par la Commission défense de la Chambre basse du Parlement fédéral.

En conclusion, le SeFaFi rappelle que l’exercice du pouvoir de l’Etat revient de droit aux membres de la société politique, dont les militaires ne font pas partie. Si des militaires en activité veulent s’engager en politique, ils sont tenus par le civisme, l’éthique autant que par le statuts des Forces armées, à démissionner au préalable de leurs responsabilités militaires, ou se mettre en disponibilité. S’il est déjà inconvenant que des ministres s’exhibent en tenue militaire, il est encore plus scandaleux de voir des militaires promus à un grade supérieur pendant qu’ils exercent des fonctions ministérielles, pour des raisons purement politiciennes. Ces dérapages sont inquiétants. Il faudra que la constitution de la IVèmeRépublique indique de manière explicite que la condition militaire est incompatible avec l’exercice d’une quelconque responsabilité, aussi bien au sein du pouvoir politique que des entreprises publiques.

Antananarivo, le 21 mai 2010

SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique
Rue Rajakoba Augustin Ankadivato Antananarivo

Notes

[1SeFaFi, Entraves à la démocratie : démagogie et corruption, recueil des communiqués de l’année 2003, p. 16-27.

5 commentaires

Vos commentaires

  • 22 mai 2010 à 19:19 | Zafimaro (#3479)

    mirediredy mampiasa ny teniny renimalalany indray ry madelaine sy ry ralison, sady tsy misy saina no tsy manankatao !! Tss ! Mpandainga, mpahandalitra, mpanompo an’i OMRA maimbo !

  • 23 mai 2010 à 16:31 | kotondrasoa (#3872)

    zafimaro,

    tsy azoko mazava ny tianao ho lazaina !

    Ilay taratasy voasoratra dia manazava ny maha-olana sy ny fisian’ny olana ao amin’ny Foloalindahy izay misy fiantraikiny amin’ny fiainan’ny firenena.

    Ka tsy hitako ny hidiran’ny ompa ararakao !

    Sa rehefa tsy mitovy hevitra aminao (na koa tsy voafehinao ny tenin’i renimalalanareo) dia ratsy ?

    Valio izay tsy marina amin’ny voalaza hifanatrehana fa tsy mampandroso ny valinteninao.

    • 24 mai 2010 à 23:08 | Turping (#1235) répond à kotondrasoa

      Si vous faîtes bien le total ,Ratsiraka a regné durant 23ans dépuis 1975c’est à dire en 35ans jusqu’à nos jours ,la destruction qu’il a faîte était grandiose. Je vous ai déjà écrit ici chers compatriotes que dans un pays démocratique,les militaires ne doivent pas gérer un pays en voie de dévéloppement ou dévéloppé à part les regimes « dictatures » ou autoritaire ,ce qui est le cas à Madagascar.Ratsiraka avait détruit le pays , la haine contre les Mérina ,l’assissanat de plusieurs personnalités (Ratsimandrava, Joel Rakotomalala, Colonel Rakotonirainy Alphonse, Sibon Guy, Généraux Hubert Andrianasolo, Jean J Rasolomalala etc, et des hauts dignitaires politiques, même dans son camp ,il éliminait tout ce qui lui bloquait la route,....)Le pays n’a jamais progressé en 35 ans car il y a eu l’héritage et l’auto-élimination de ce qui arrive au pouvoir avec les corruptions ,hérité du regime socilaiste de l’Arema.Au 21ème , le problème ne doit plus se poser là, Madagascar doit se protéger par d’attaque éventuelle des Comoriens mais n’ont pas à s’entre-tuer entre eux. Je ne suis pas contre de l’intervention militaire ou l’existence des militaires (colonels,généraux,.....etc) mais la sortie de la crise politique de Madagascar commence par la réconciliation éthnique,de clans et de pouvoirr se mettre au travail mais non pas s’entre-tuer pour avoir « une seza » ou « le deba » des cons.Comme Madagascar a un atout,un potentiel énorme sur le pôle de compétitivité international de pouvoir augmenter le PNB par habitant ,permettra de sortir de la pauvreté .Les ingénieurs et savant malgaches y en a partout dans le monde .Au lieu de s’entre -tuer comme les Africains qui nous donnent maintenant la leçon ,le pays devait s’aligner au rang des pays en voie de dévéloppement dépuis longtemps.

  • 26 mai 2010 à 14:19 | fandresena (#299)

    Mpihatsaravelatsihy ny SEFAFI . izao ve vao mody miteny ? manitsaka vao manao azafady sa efa tsy raharahin’ny Kristiana Katolika intsony dia izao vao hoe .... asaivo mody aloha i Père Urfer dia manome lanja ny zavatra resahinareo aho ry SEFAFI a !

  • 27 mai 2010 à 04:48 | Zafimaro (#3479)

    Kotondrasoa,

    Io lazeny namako ambony io ny valinao.

    Ary raha tsy mazava anao ny hoe mpilelaka la frantsa renimalalany, sy mpilelaka an’i OMAR maimbo, SEFAFI (sy olona maro hafa koa) mahey tsara ny tina lazena.

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