File d’attente pour les sans-grades

Succès prévisible, mais d’ampleur néanmoins spectaculaire et inattendue pour le salon de l’emploi qui a ouvert hier ses portes à l’Hôtel Carlton et se continue ce vendredi 13 novembre. C’est une foule immense qui s’est pressée pour accéder aux stands des entreprises, organismes de formation, organismes d’appui ou agences de recrutement participant à cette manifestation organisée par le bureau d’Antananarivo de l’Organisation Internationale du Travail.

Un espace beaucoup plus grand que celui de l’Hôtel Carlton n’aurait pas été de trop pour accueillir cette immense affluence. Malheureusement, le Palais des Sports tout proche est dédié cette semaine à la 13ème édition du salon des technologies de l’information et de la communication, l’Ebit. Et si les deux manifestations ont en commun le fait d’être d’accès gratuit, du moins pour les deux journées professionnelles en ce qui concerne l’Ebit, la gratuité à ce dernier salon passe par la remise d’une carte de visite professionnelle ; et c’est ce document qui manque justement cruellement aux visiteurs du salon de l’emploi qui pour la plupart ont plutôt l’intention de déposer des curriculum vitae.

« Travail décent pour tous » (Asa mendrika ho an’ny rehetra), tel est le thème de ce salon de l’emploi. Mais selon les dires même de Christian Ntsay, représentant de l’OIT, c’est au plus 1000 emplois qui seront proposés durant cette manifestation. Autant dire que, bien que l’événement ait été organisé en ayant en tête les 100 000 personnes ayant perdu un emploi durant la crise socio-politique, la quête de travail ne pourra pas s’arrêter là pour la plupart des visiteurs.

Dans le même temps, l’Hôtel des Thermes à Antsirabe annonce une mesure de chômage technique à partir de début décembre. Ce qui fait de cet établissement au charme désuet le 503è à être impacté sur le plan de l’emploi au cours de cette année 2009, et rajoute 60 victimes supplémentaires de la crise.

Toujours dans le même temps, des annonces dans les journaux sollicitent des CVs pour occuper des postes dans la Haute Cour de la Transition. Cela fait sourire les sceptiques, pour qui cela rappelle une gesticulation très médiatisée sollicitant des CVs pour occuper des postes de ministre dans un éphémère gouvernement.

Ces actions semblent d’autant plus incongrues que le renouvellement supposé de la classe politique met en évidence des phénomènes évidents de reproduction sociale d’une génération à une autre. Au secrétariat général de la Présidence de la Transition, on a aujourd’hui un Haja André Resampa, ce qui rajeunira certains mais en fera méditer amèrement d’autres sur les théories de Pierre Bourdieu sur les mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Pour paraphraser Ndimby, on peut dire que depuis que Madagascar est une République, on a eu en matière de zanak’i Dada Roindefo fils de Jaona, Ny Hasina fils de Richard, Francisque fils de Jules, Ruffine fille de Philibert, Jacques fils d’Albert, Patrick fils d’Ismael... J’allais ajouter W., fils de George H. W., et Jean et Pierre fils de celui dont il ne faut pas prononcer le nom mais je m’égare...

La paix sociale passe aussi par des perspectives de mobilité sociale. Les longues files d’attente devant le Carlton démontrent qu’au delà de l’accès à l’éducation, l’égalité des chances au niveau de l’accès à l’emploi, et plus particulièrement de l’accès au premier emploi, est douteuse.

Il y a quelques années, le CSLCC [1] et le Bianco [2] avaient tenté de sensibiliser les entreprises privées sur les bonnes pratiques en matière d’embauche. Il était peut être maladroit que ce soient des organismes luttant contre la corruption qui aient mis en avant une telle démarche, car bien souvent les biais sont involontaires, et ont un caractère familial, clanique ou social [3]. Bien rares sont les entreprises à avoir compris la démarche et avoir réalisé que la diversité pouvait aussi être pour elles une richesse. Dans les files d’attente devant le Carlton, figurent peut-être des pépites méconnues.