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Deux romans pour illustrer l’esprit de résistance d’un peuple en lutte

jeudi 29 janvier 2009 | MFI

(MFI) Ecrivains malgaches, Michèle Rakotoson et Jean-Luc Raharimanana ont publié respectivement « Juillet au pays, chronique d’un retour à Madagascar » et un roman laconiquement intitulé « Za ». Retour sur deux ouvrages saisissants de beauté et d’inventivité qui illustrent la richesse des lettres malgaches contemporaines tout autant que l’esprit de résistance d’un peuple en lutte.

La littérature malgache est une île au large du vaste continent littéraire africain. Une île à l’identité propre qui ne se réduit guère à son africanité. Senghor, qui l’avait bien compris, avait titré sa célèbre anthologie poétique, préfacée par Sartre : Anthologie de la poésie africaine et malgache de langue française. Autre caractéristique des lettres malgaches : elles s’expriment à la fois en français et en langue malgache. Parue en 1948, l’Anthologie de Senghor a popularisé les grandes voix poétiques de l’île rouge : Rabearivelo, Rabemananjara et Flavien Ranaivo, qui ont influencé des générations de bardes africains et malgaches.

Le métissage linguistique et culturel est sans doute la principale marque de fabrique des écrivains malgaches d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, le jeune Raharimanana qui inscrit volontiers son œuvre dans l’héritage des ses grands ancêtres littéraires, bouscule le français, faisant émerger une pluralité de voix et d’imaginaires. Michèle Rakotoson, pour sa part, puise dans la richesse des genres littéraires malgaches (le « kabary » ou conte, le « hain-teny » qui relève de joutes oratoires) pour vitaliser son écriture fictionnelle. Elle s’inspire aussi de la poésie malgache qui ponctue son livre Juillet au pays, chronique d’un retour à Madagascar.

La force de résister aux assauts d’un présent mercantile et miséreux.

Le choix de juillet n’est guère innocent. L’hiver austral à Madagascar est propice aux transitions, aux retrouvailles, aux drames. N’est-ce pas par une nuit froide de juillet, quand il gèle sur les hauts plateaux, que la dernière reine Ranavalona, évoquée rapidement dans ces pages, dut emprunter, il y a plus d’un siècle, le chemin de l’exil et de la solitude ? C’est en alternant la petite histoire, personnelle, et la grande que Michèle Rakotoson fait le récit de son retour au pays après des années d’absence. Le passé comme béquille pour aller explorer les territoires de soi. Auteur estimée de plusieurs romans et de pièces de théâtre, Rakotoson procède ici par correspondances, par échos, établissant des liens inattendus et poétiques entre les événements. Le départ de la reine et son propre retour, reliés par la mystique de juillet, par quelque chose de définitif aussi.

Partie il y a vingt ans d’un pays sur lequel pesait la chape de plomb de la dictature, la narratrice y revient pour la énième fois. Mais cette fois avec le désir ferme de renouer avec le passé, de reprendre possession. Elle se rend dans les lieux de mémoire, traverse l’île rouge de long en large, établissant le bilan de sa longue absence, mesurant avec mélancolie le fossé infranchissable qui s’est creusé entre le pays réel et le pays rêvé « ou son pays de cauchemar, celui qu’elle recompose à l’infini entre tendresse et rage ». Juillet au pays se lit par endroits comme un livre-reportage, à l’écriture sensuelle et alerte. C’est en journaliste de métier que Rakotoson raconte le silence des collines, la beauté des paysages et la dignité d’un peuple qui puise dans la grandeur de son passé la force de résister aux assauts d’un présent mercantile et miséreux.

Le destin tragique de l’un de ces humiliés de l’Histoire

Moins classique est le projet littéraire de Raharimanana, lui aussi né à Madagascar mais appartenant résolument à la génération postcoloniale. La publication en 1996 de son tout premier ouvrage – un recueil de nouvelles intitulé Lucarne – avait été unanimement saluée par la critique comme « les fondations d’un bel édifice à venir ». Douze longues années se sont écoulées depuis. L’édifice promis est là, un édifice magistral tout en maux et en métaphores, riche de ses « lucarnes » qui s’ouvrent sur le ciel noir des malheurs et de la mélancolie. Avec Za, son septième opus, le Malgache aujourd’hui quadragénaire vient d’ajouter une nouvelle aile à son étonnant édifice, véritable monument érigé à la gloire des humbles de Madagascar et... du monde entier.

Za raconte le destin violent et tragique de l’un de ces humiliés de l’Histoire. Son héros éponyme, qui est aussi le narrateur de ses propres dérives, a connu la prison et la torture. Pourtant, autrefois, c’était un citoyen respecté et exemplaire. Il était professeur, mais les autorités le soupçonnaient de corrompre les enfants en leur apprenant « la liberté mauvaise, de celles qui font descendre dans la rue, de celles qui les font hurler face aux militaires, de celles qui les font penser et de ne pas simplement croire, croire, croire, croire, croire comme vous le faites, vous, croire, croire, à vos pairs et maires, croire à leurs promesses démocratiques ». Alors Za a perdu son boulot, son salaire, sa maison. Sa femme a sombré dans la folie. Plus grave encore, pour punir le père, son fils a été jeté dans le fleuve. Depuis cette tragédie, Za est réduit à traîner au bord des grands chemins. Il invective les passants, s’esclaffe, chante, jetant son désespoir à la figure d’un monde insensible à sa douleur.

Allier la violence du récit à celle du langage

Qualifié de « l’Inconsolable, le Veuf, le Ténébreux », Za est un héros iconoclaste, né des lectures de l’auteur. Produit intertextuel, il est aussi la figure universelle de la déchéance. Za, c’est moi (izaho en malgache), c’est vous car la subversion qui le constitue ne peut se réduire à un seul pays. En effet, contrairement aux précédents ouvrages de Raharimanana, ancrés dans les drames de son pays, Za puise son inspiration dans un imaginaire mondial de lutte des humiliés contre les puissants. La chronique romanesque se fait épopée et convoque l’esclavage, la colonisation, les répressions postcoloniales, mais aussi l’histoire universelle de domination, représentée ici par les figures ironiques des puissants du monde : « des Bushbé, des Poutinine, des Ziang Zemin et des Bongolascar, photo-potos des Eydemiques et des Ra8... ».

La grande réussite de Raharimanana est d’avoir su allier la violence du récit à celle du langage. Sur 300 pages, dans un langage vomi, déconstruit, défiguré, équivalent francophone de l’« anglais pourri » de Ken Saro-Wiwa, Za chante sa rébellion. Cela donne une logorrhée qui n’est ni malgache, ni française, mais francophonie décomplexée qui est peut-être le véritable horizon de cet idiome en déréliction qu’on appelle encore le français.

Tirthankar Chanda

Juillet au pays. Chronique d’un retour à Madagascar, par Michèle Rakotoson. Edition Elytis, 2008, 208 pages, 20 euros.

Za, par Raharimanana. Editions Philippe Rey, 2008, 301 pages, 19 euros.

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