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Culturel

Hemerson Andrianetrazafy

« Tout… revient à la culture »

mercredi 22 avril 2009
Hemerson Andrianetrazafy

Hemerson Andrianetrazafy, artiste plasticien, poète, mais également professeur d’histoire à l’Université d’Antananarivo, est l’un des fondateurs de la manifestation « Tsinjo-Dia » ou « Vision et perspective ». Cet homme de la culture et de l’histoire, nous parle dans cet interview, de la place que la société et le pays en général devront accorder à la classe créative, et de la situation culturelle et artistique à Madagascar. Des critiques mais également des solutions. Entretien.

Pouvez-vous nous rappeler le concept de Tsinjo-Dia ?

- Hemerson Andrianetrazafy : Tsinjo-Dia, ou Vision et perspective, est une manifestation culturelle qui se situe dans le contexte de marasme, de crise sociale et politique que la société malgache traverse actuellement. En fait, je pense qu’on se situe à un niveau, à un carrefour important de notre histoire où il importe de se poser de bonnes questions pour tracer de bonnes perspectives, parce qu’on est devant un problème fondamental de la reconstruction ou de la refondation nationale. Tout ce qui se passe actuellement dans la rue, au niveau des désirs extrêmement divergents des uns et des autres, transpire une ambiance générale de mal être qui se manifestent parfois par la violence verbale, ou par la violence tout court.

Et en quoi la culture est-elle impliquée ?

- Le citoyen a perdu toute notion de valeur. Il est en manque de référence. Et c’est en ce sens qu’on se dit quelque part que cette crise sociale est également une crise culturelle profonde. Une crise culturelle qui transcende en fait les chronologies consacrées, qui fait remonter tous les maux à la période coloniale, à la première République, à la deuxième et à la troisième République. Au fil des régimes qui se sont succédé, il y a une crise de l’humain ou d’identitaire quelque part. C’est l’expression d’une société qui a du mal à se référer à son ici et maintenant, et une société qui n’arrive pas à impulser un sens véritable à son existence. Dans ce contexte global, on se dit, quelle serait la place des artistes et surtout la place de la classe créative, puisque les artistes sont définis généralement en fonction de leur capacité d’innovation ou de recréation dans la société.

Classe créative vous avez dit. Est-ce qu’elle existe vraiment à Madagascar ?

Une des œuvres exposées dans Tsinjo-Dia

- La classe créative existe partout dans toutes les sociétés du monde. Mais la question est : Est-ce que cette société tient compte des valeurs ajoutées que peuvent apporter les créatifs ou créateurs. Lorsque je parle de créatif, cela n’englobe pas seulement les artistes. Il y a aussi, la classe créative qui intervient dans l’usuel, dans le fonctionnel : les créateurs de concepts, les créateurs d’objets ou de produits indispensables à la société.

D’après vous qu’est ce qui se passe ?

- Faute de prendre la richesse éventuelle que peuvent générer les créatifs, la société se laisse englober dans le cycle de la consommation à outrance, en production. Ce qui est en train de générer une société schizophrène. On nous incite à entrer dans une logique de société de consommation. Pourtant, on n’est producteur quasiment de rien, parce qu’on ne peut pas dire que les produits Tiko, par exemple, qui ont alimenté le quotidien malgache soient suffisants pour couvrir l’ensemble des besoins. Il en est de même au niveau de quelques bribes ou d’embryons de tissus industriels, et au niveau des champs extrêmement vaste des idées. L’attitude la plus commune, depuis un certain temps est de transplanter par « copier-coller » dans notre société ce qui se passe ailleurs. Ce qui témoigne qu’on ne laisse aucune chance à la réflexion sur le rapport véritable entre l’homme et son milieu.

Donc, vous êtes contre cette transplantation ?

Madagascar, selon les plasticiens

- Posez vous vous-même les questions. Pourquoi on nous incite toujours pour avoir ou à prendre des options qui ont peut être fait leur preuve à ailleurs ? Est-ce que cela correspond réellement à notre profil culturel, à nos désirs non exprimés ? Et donc, lorsqu’on parle de classe créative à Madagascar, il y a des créatifs à tous les niveaux, mais est-ce qu’on leur accorde une importance ? Mais finalement ça va de soi. Une société qui n’offre pas de chances à ses créatifs de se démarquer, de se développer, de se réaliser pleinement, est une société, à la limite, malade dans son fonctionnement. Ce qui est en train de se passer dans le pays.

Expliquez-vous…

- Face à la mondialisation, il faut bien se rendre à l’évidence. On joue le rôle de consommateurs à tous les niveaux et on n’est producteur de rien et finalement, de plus en plus, on est inféodé et on est quasiment submergé par des systèmes de valeur. Et notre culture a du mal à vivoter, parce qu’on n’a pas ce dynamisme interne qui permet à la société de se reforger, de se construire de façon permanente les systèmes de valeur à soi et voilà le résultat. Et donc, une fois de plus, solliciter la créativité à la fois individuelle et sociale, c’est d’une urgence capitale maintenant.

Les artistes sont-ils vraiment indispensables ?

- Effectivement, les artistes sont indispensables à toute société, ça relève de l’humain et de ce qui appartient au monde, la culture. En fait, les artistes sont indispensables parce qu’ils sont les détenteurs, les défenseurs, voire les derniers bastions de cette créativité. Ils entretiennent l’espoir d’un autre devenir, et de tous les devenirs possibles. Ils entretiennent cet état d’esprit, cette culture de la créativité toujours en mouvement. À partir du moment où on leur offre quand même cette capacité, il y a toujours des perspectives à ouvrir ailleurs.

Mais ailleurs, comme vous venez de dire, est-ce que les artistes malgaches peuvent-ils avoir leur place ?

- Dans le concert des grands, lorsqu’on se situe au niveau du champ du monde, on est malheureusement et relativement à la traîne. Cela se sent, cela se voit, par le manque d’infrastructures, de structure, de politique efficace dans le pays. À un moment où l’Afrique de l’Ouest est en train de faire montre d’un dynamisme qui permet à ses artistes d’aller sur tous les fronts, de s’exprimer ailleurs, surtout en Occident, parmi les pays développés, Madagascar, de plus en plus, est en train de s’insulariser.
Rien que dans le domaine de la musique, on a de très fortes potentialités. Mais les artistes qui circulent ont du mal à se positionner par rapport à la world musique, aussi bien sur le marché qu’au niveau des structures de production. Les plasticiens, eux aussi, sont quasiment invisibles. Ils sont en manque, non seulement de visibilité, mais également de lisibilité, à croire qu’ils sont complètement transparents par rapport à leur propre société.

Où se situe donc la faille ?

« On a de très fortes potentialités dans la musique », selon Hemerson

- Au niveau de la stratégie d’approche, du système éducatif pour qu’on puisse passer de l’art de la formulation artistique à la formation culturelle, afin de générer une société réellement dynamique. Il faut dire également qu’elle se situe au niveau même des artistes. Bon nombre d’entre eux ne comprennent pas ce rôle qu’on attend d’eux. Et, par conséquent, ils se contentent de jouer le rôle déjà attendu d’eux, de faiseur d’ambiance, ou bien de décorateur tout simplement. Ce qui nous amène à un autre volet extrêmement pointu, épineux.

Lequel ?

- C’est le problème du statut des artistes, de tous les artistes. Tout à fait récemment, on nous a demandé de se souscrire comme tous les citoyens d’ailleurs, à être contribuable, à payer des impôts. On veut bien, mais d’un autre côté, il y a aussi la nécessité pour les institutions de prendre en considération le rôle des artistes au sein de la société, ne serait-ce que par la reconnaissance de leur statut d’artiste. On a proposé depuis 2002 des textes allant dans ce sens, mais qui n’ont jamais eu de réponse jusqu’à maintenant. Pourquoi ? On se le demande. Donc, la profession d’artiste n’est même pas encore reconnue dans les textes à Madagascar et cela pose de nombreux problèmes.

Vous avez dit que la créativité n’est pas mise en valeur. Qui en sont les responsables ?

- Tout le monde est concerné. Aussi bien les responsables institutionnels (ministère, état) que le citoyen. Nous sommes confrontés à un problème qui nous surpasse, en terme de dimension, et il faudra le résoudre à un niveau de base. Il faut qu’il devienne une source de conversation sociale, le devenir culturel, la place de la créativité. A partir du moment où on érige le sens de la créativité en système de valeur, ça nous amène déjà à nous poser des questions. Finalement, de toutes les choses qui relèvent de la culture, à partir du moment où l’on lance le débat, il faut compter sur le long terme pour qu’il puisse y avoir des résultats. L’essentiel est de pouvoir créer des brèches, entrouvrir des fenêtres aujourd’hui, afin de laisser toutes les forces de proposition, les questionnements, les réponses éventuelles apportées par les uns et les autres, il faut que ça fermente et que ça puisse déboucher sur de nouvelles ressources. Jusqu’à maintenant notre problème a été de vouloir aller trop vite, et de vouloir aller trop loin. Et finalement, on a toujours eu recours à des solutions, qui pour avoir fait leur preuve ailleurs, ne sont pas encore tout à fait vérifiées en terme d’efficacité jusqu’à maintenant dans le pays.

Hemerson a toujours soutenu que les mouvements qui existent à Madagascar maintenant résultent d’un malaise culturel. Pourquoi ?

- En fait, à Madagascar maintenant, je pense qu’il y a trop de non dit qui reste dans le secret. Tout le monde en parle, mais ne s’exprime pas ouvertement là-dessus. Lorsqu’on parle de réconciliation nationale, par exemple, on pense qu’il s’agirait de réconcilier les politiciens de différentes tendances. Encore que les tendances ne sont pas exprimées clairement, en termes de ligne d’actions idéologiques ou de vision de société. Mais les tendances sont des divergences entre des personnalités qui n’arrivent plus à se mettre d’accord par rapport à des places à prendre au niveau du pouvoir. À mon avis, et je ne suis pas le seul à y croire, il y a des réconciliations à faire vis-à-vis de l’histoire. Il est temps, je crois, de mettre sur le tapis et de débattre sur la portée réelle ou bien les freins posés par des contextes aussi dérisoires que l’opposition antinomique entre « merina », hautes terres, côtiers ; entre andevo et andriana… Il faut cultiver une culture de dialogue, inter et intra-culturelle, entre les gens.

Et que dire alors de la non prise en considération de la potentialité individuelle ?

- C’est un autre aspect du malaise ou du mal être social. Tous les systèmes qui ont été mis en place depuis la période du royaume de Madagascar consistent à réduire à néant toute idée comme quoi, l’individu pourrait apporter quelque chose à la société. En d’autres termes, on considère le citoyen comme une voie dans le cursus électoral. On le considère à travers sa capacité musculaire à souscrire à un programme. Mais jamais, au grand jamais, depuis les régimes qui se sont succédé à Madagascar, on n’a jamais voulu considérer l’individu comme étant source de créativité, comme étant force de proposition à travers ses aspirations, à travers ses rêves. Il y a donc frustration. Dès qu’on aborde un sujet, les gens ne sont pas en mesure de proposer, ils mettent sur le tapis, ce qu’ils ont cumulé ou accumulé comme frustration. Et on se verse dans ce qu’on appelle le « torapo ». Donc, il y a un manque de réflexion qui relève d’une autre démarche culturelle.

Tout revient donc à la culture ?

- Moi je pense que tout ce qui relève de l’homme, que ce soit la politique, les démarches économiques, revient à la culture. Ce sont des aspects de la culture. La culture est tout ce qui relève de la créativité humaine.

Pour Madagascar en particulier, est-ce que vous ne pensez pas qu’il est temps pour les artistes de réunir les forces, donc de devenir beaucoup plus solidaire ?

- Il s’agit de quelques choses très délicat, parce qu’on l’a expérimenté en 2002, au sein de la confédération des professionnels des arts. Mais moi, je pense qu’en plus des initiatives, il faut commencer par la base. Il faut que l’artiste soit conscient, en premier lieu, du rôle qu’il a à jouer dans la construction sociale. Déjà ce n’est pas une mince affaire. La prise en compte de cette option l’amènera forcement à se dire qu’il faut des lignes d’actions, des démarches qui relèvent de la politique, la mise en place des infrastructures, d’organisations pour fédérer les forces, pour structurer les secteurs. Effectivement, il faut que ce soit des gens conscients de l’importance ou la nécessité de ces démarches.

Dernière question, que pensez-vous de la fusion du ministère de la Culture à celui de la Communication ?

- Pour moi, ça coule de source. Les expressions culturelles, à quelque niveau que ce soit, sans la communication, au sens le plus large, n’équivaudraient à rien. A mon avis, c’est un couple idéal, la culture et la communication. La production et la diffusion. Mais, ma question se pose au niveau de l’efficacité et de l’orientation culturelle. Ce n’est pas parce qu’il y a un ministre à un poste donné que tout va aller pour le mieux. Pour que ce ministère soit effectif, dans sa démarche, il faudrait donc une politique culturelle, une stratégie d’approche, des actions de promotions efficaces… Des thèmes qui sont rarement visités par notre société. En 2005, par exemple, on a signé à l’Assemblée nationale une politique culturelle qui est une démarche globale et qui n’a jamais été suivi d’action concrète. C’était une première démarche incomplète à bien des égards si l’on compare à d’autres politiques culturelles esquissées ailleurs, en Afrique de l’Ouest, par exemple. C’est déjà un début. Reste à mettre en place, je pense, toutes les structures et les infrastructures, la mobilisation des personnes, des moyens afin de parvenir à un objectif final qui reste à définir.

Propos recueillis par Arena R.

1 commentaire

Vos commentaires

  • 22 avril 2009 à 12:13 | ikopa (#671)

    Tout ce que dit Mr Hemerson est la vraie réalité de Mada mais lui,comme tous les autres artistes de l’île, fait partie de ceux qui parle dans le désert.
    Personne, dans ce pays( les institutions ), ne comprend pas à proprement parler la place de la culture dans la raison d’être d’une societé, dans le processus de developpement, dans les perceptions sociales ou politique.

    Souvent, comme dans le temps de la revolution socialiste, au vue de ce qui se passait en Corée du Nord ou en Chine, les gouvernements succéssifs conçoivent comme base de se developpement culturel la mise en place d’un semblant de structure à l’exemple des VAREMA ou autres groupements faciles à contrôler ,à manipuler le moment voulu.

    Tant que la culture nationale, à l’instar de la musique est le fruit des sacrifices propres des Tsiliva, Lôla, Terakaly, Monja manintsindava, sans implication vigoureuse d’une politique ministerielle, le citoyen lambda la considerera comme des fruits d’un malencontreux hasard qui vise à troubler la quiétude du « sage ».

    Alors, je vous encourage ramose Hemerson à entretenir la flamme de notre combat.

    Mbola hoavy ’lay maraina e

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