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Tribune libre

Rahetlah Jonah et les “libertés définies”

mercredi 17 mars 2010

Je prends sur moi de partager ci-après quelques éléments de la jurisprudence française traitant des libertés publiques, en espérant que d’aucuns ne les jugeraient malvenus ni inopportuns. Ils proviennent d’un ouvrage juridique de la Librairie Hachette Supérieur. Les libertés publiques dont il est ici parlé sont celles dites « libertés définies ».

CONSEIL D’ETAT, ASS. – 19 MAI 1933 (REC. 541)

Une conférence de René Benjamin sur Jeanne d’Arc, avortée pour cause d’hostilité de la part d’instituteurs publics, allait déclencher un contentieux aboutissant à l’une des plus importantes décisions du Conseil d’État en matière de libertés publiques. Devant le risque de manifestation dirigée contre ce conférencier et émanée de groupes de pression, le maire de Nevers interdit cette conférence pour cause de menace de trouble à l’ordre public. Le juge censurera cette décision.

La liberté de réunion est une liberté garantie, dite encore « définie », à laquelle il ne peut être porté atteinte que pour des motifs tirés de la nécessité de protéger l’ordre public.

En l’espèce, le maire aurait pu obvier la menace de troubles en prenant les mesures de police nécessaires puisqu’il en avait les moyens, et concilier ainsi liberté et respect de l’ordre. Faute de l’avoir fait, sa décision est illégale. La solution eût été peut être différente en présence d’une liberté « non définie » telle que le cinéma, ou les manifestations sur la voie publique.

Les libertés définies sont celles qui sont instituées par des textes (Constitution, loi, traités) et qui font l’objet de protections et garanties détaillées. Telles sont les libertés de presse, d’association, de réunion, de culte, de conscience, ou la liberté syndicale, etc. A l’égard de ces libertés, l’autorité de police administrative n’est pas dépourvue de tout moyen d’action lorsque les nécessités de l’ordre public justifient une intervention de sa part.

Quatre principes d’application sont dégagés par la jurisprudence du Conseil d’Etat :

1°) L’intervention de police n’est justifiée que pour des considérations d’ordre public (CE, 19 févr. 1909, Abbé Olivier* ; TC, 8 avr. 1935 Action française* ; CE, 10 janv. 1968, Assoc. Enbata). La menace de troubles doit donc être réelle et sérieuse, le juge ne se satisfaisant pas de simples allégations (CE, 19 juin 1953, Houphouët-Boigny).

2°) La liberté prime la réglementation de police : dans l’effort de conciliation, les deux aspects ne sont pas équivalents : normalement, c’est la liberté qui doit l’emporter. Parce qu’il s’agit d’une liberté « définie », les motifs de l’ordre public doivent s’effacer le plus possible devant l’impérieuse exigence de liberté. L’appréciation de la réalité de la menace de troubles et de son ampleur dépend des circonstances de temps et des circonstances de lieu évaluées in concreto ; elles en sont étroitement dépendantes. Ainsi, deux cas très proches seront traités différemment par la jurisprudence en raison des particularités de chaque situation concrète. Voir, par exemple, pour les photographes filmeurs : CE, Ass., 22 juin 1951, Daudignac (interdiction illégale) ; 13 mars 1968, Min. de l’Intérieur c/ Epoux Leroy (interdiction légale).

3°) Il doit y avoir une proportionnalité stricte entre la menace réelle de trouble et la mesure de police censée y apporter remède. Le juge veille tout particulièrement au respect de cette dernière exigence, qui suppose un contrôle particulièrement strict.

4°) Les interdictions GENERALES et ABSOLUES sont presque toujours jugées illégales (a contrario : CE, sect., 25 janv. 1980, Gadiaga).

RAHETLAH Jonah
Vieux juriste, Citoyen.

4 commentaires

Vos commentaires

  • 17 mars 2010 à 11:34 | kotondrasoa (#3872)

    Merci beaucoup, Monsieur le Juriste qui prend sa responsabilité de citoyen de nous éclairer sur ces libertés publiques, qu’elles soient définies ou non ; je n’ai pas encore tout lu ( manque de compréhension oblige et manque de temps empêche !) mais je vous promets de le lire à tête reposée !)mais, mon problème à moi, c’est que je me pose la question : nos dirigeants actuels ont-ils le temps de potasser ce que vous avez écrit ou faute de temps, comme moi, à cause des eléctions et de la propagande qui s’en suit, et, du temps passé à concocter la répression de tous ceux qui veulent manifester ?

    Toutefois, ce que j’ai retenu, c’est que les interdictions générale et absolues sont presque toujours jugées illégales !

    Nos dirigeants ont toujours cru que faire du pompier est le meilleur moyen de gouvernance ; ils n’ont pas encore retenu les leçons de l’histoire malagasy.

    Les Malagasy sont très doux et très patients mais, il y a une limite à toutes choses et ce n’est pas parce que ce n’est pas encore une décennie qu’ils ne vont pas agir et là, gare à la colère du peuple

    Meci encore de votre intervention et, j’espère que nos dirigeants vous ont lu et en tirent des leçons !

  • 17 mars 2010 à 11:37 | lalatiana (#1016)

    Merci de ce rappel oh combien nécessaire ...

    3 réflexions, toutefois :

    1° encore faut il que la justice soit libre
    2° le politique prendra toujours le pas en matière d’ordre public
    3° quid du contexte de la loi malgache quant à ces libertés publiques ?

    Le titre n’est pas assez explicite ... c’est dommage que vous n’ayiez pas plus « racolé » le public sur un sujet aussi intéressant ...

    Bien à vous

    • 17 mars 2010 à 16:26 | ratiarivelo (#131) répond à lalatiana

      Maniry fahasalamana mandrakariva ho anao ny tenako : fa na hivazavaza hianao, ny sofin’ireo HAT en prémier ligne dia ity « RATSIRAHONANA »(ny sofiny zay tsetsina ary maty MBOLA...)izay milaza fa pahay lalana LALANA @ny FAHARATSIANA !!! IREO OLONA ireo no "MANDRORA MITSILANY.....!! Misaotranao.

    • 18 mars 2010 à 20:12 | Léon (#3993) répond à ratiarivelo

      Le message envoyé par M. Rahetlah se réfère à des textes français - desquels se sont inspirés nos législateurs. Par ailleurs, il renvoie également à des années lointaines (1909, 1930, 1950, 1960, 1980. Donc, les notions véhiculées sur les libertés publiques devaient être valables pour les années 1972, 1991, 2001, 2009 et 2010 chez nous. Je ne peux pas juger, étant profane en la matière, si les pratiques au cours des évènements qui avaient eu lieu à ces périodes étaient conformes ou non aux notions présentées dans l’article. Néanmoins, je peux dire que ces pratiques (du temps de différents Présidents successifs) étaient exactement identiques : interdiction des réunions de masse, intimidation, arrestation des meneurs, usage de gaz lacrymogène, usage de grenades,usage d’armes de gueree contre la foule... Alors la question que je voudrais poser au « vieux juriste » est :Est-ce que ces pratiques peuvent-elles avoir force de jurisprudence pouvant être utilisée pour leur donner des caractères légitimes ou légaux ? Pourquoi et comment Rajoelina serait-il plus coupable que les Présidents précédents s’il recourrait aux mêmes pratiques qu’eux ? Le fait d’être élu et non élu crée-t-il des différences de culpabilité ?

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