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Tribune libre

Enseignement supérieur

Les défis selon la SEFAFI

lundi 28 janvier 2013

L’enseignement supérieur malgache est-il malade ? Pour l’opinion publique, les universités ne sont que des foyers de grève. Le 26 novembre dernier, pour la 15ème fois en deux ans, le personnel administratif et technique (PAT) de l’université d’Antananarivo a entamé une grève illimitée : bureaux désaffectés, portes verrouillées, barrières abaissées, sit-in pacifique... et des activités administratives et pédagogiques en grande partie paralysées. Quinze arrêts de travail de trop, dont le motif du débrayage est invariablement le retard du paiement des salaires, dépense obligatoire que l’État ne s’est jamais obligé à payer à temps.

Durant la même période, quatre sessions du Conseil national du SECES (Syndicat des enseignants chercheurs de l’enseignement supérieur) ont accouché de la même motion : la suspension des activités pédagogiques jusqu’au paiement intégral, soit d’indemnités promises par un texte de 2009, soit des heures complémentaires. Des mots d’ordre qui ont globalement été suivis, à l’exception notable de l’université de Mahajanga qui, à l’instar des IST (Instituts supérieurs de technologie) publics, a maintenu le calendrier normal. Mais la fréquence des débrayages n’est pas la seule faiblesse de l’enseignement supérieur public qui, depuis plusieurs années, s’enfonce allègrement dans les abîmes.

Un constat accablant

Plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour montrer dans quel état de déliquescence est tombé notre enseignement supérieur, qui fut pourtant l’un des meilleurs en Afrique dans les années 1960.

Dans les classements internationaux, le système d’enseignement mal- gache est proche de l’invisible. Chaque année, des chercheurs de l’université Jiao Tong de Shanghai établissent un classement des 500 principales universités mondiales (appelé « classement de Shanghai ») : en 2012, la première universi- té africaine, celle de Cape Town, était située... à la 267ème place. Si l’Afrique du Sud possède les meilleures du top 100 des grandes universités d’Afrique, celle d’Antananarivo, qui figurait à la 87ème place en 2011, a accédé au 49ème rang en 2012 ; cette même année, elle tenait la 3ème place des Universités francophones africaines. Mais qu’en est-il des autres universités de la Grande Île ? Cela ne doit pas cacher la situation catastrophique de notre enseignement supérieur public.

Le dispositif actuel, qui remonte pratiquement à la Seconde République, est incapable d’accueillir les nouveaux bacheliers. Ceux-ci sont en nombre croissant chaque année, leur effectif augmentant d’environ 10 % par an ; et ils sont très mal répartis par spécialité, les séries littéraires regroupant les deux tiers d’entre eux. Quant aux infrastructures, elles n’ont connu aucune extension notable depuis la création des Centre Universitaires Régionaux (CUR) en 1977, la construction des campus de province s’étant achevée en 1980. Depuis lors, aucune augmentation significative de la capacité d’accueil n’a été réalisée, faute de budget d’investissement octroyé par l’État. Pour l’Université d’Antananarivo, qui vient de fêter ses 50 ans d’existence, les réhabilitations et extensions se sont faites soit sur ressources propres, soit grâce à des partenaires étrangers.

Les cours sont assurés par un personnel enseignant peu compétent et vieillissant. Sa moyenne d’âge s’élève au fil des années, en raison du gel brut des effectifs. Pendant plus d’une décennie, le programme d’ajustement structurel imposé par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1980 a bloqué le recrutement de nouveaux enseignants. Et aucune politique de formation de la relève n’a été mise en œuvre pendant ce temps. Les enseignants, faiblement qualifiés mais rompus aux pratiques de mandarinat, sont réfractaires à tout processus d’évaluation. Et ce personnel fait très peu recours aux nouvelles technologies de la communication.

Le ratio enseignant/étudiant constitue un autre problème. Ainsi, le Département de gestion, qui regroupe le plus gros effectif à l’Université d’Antananarivo, ne compte que dix enseignants permanents, l’essentiel des cours étant assuré par des vacataires.

Les ressources sont insuffisantes et, de surcroît, mal utilisées. Parent pauvre du système éducatif, l’enseignement supérieur voit son budget de fonctionnement se rétrécir année après année : le programme d’investissements public du Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été inexistant en 2012 ! Par ailleurs, les dépenses à caractère social engloutissent l’essentiel des ressources. A lui seul, le montant des bourses versées aux étudiants représente plus de 80% des dépenses de fonctionnement des universités, conséquence de la funeste décision issue du mouvement de 2002, qualifiée de « bourse démocratique et populaire ». En bref, la situation financière est insoutenable et demande à être reconsidérée d’urgence...

Tout n’est cependant pas négatif dans ce panorama. Malgré leurs maigres moyens et le peu de considération que leur témoigne l’État, les universités publiques ont réussi à éviter une année blanche durant cette crise politique sans fin. Par ailleurs, les soubresauts sociaux et leurs successions de grèves ont occulté le rôle positif joué par les universités : qui a prêté attention aux ateliers et aux colloques internationaux avec des scientifiques de renom qu’elles ont organisées, ou au développement de la coopération internationale qu’elles ont initié ?

La prolifération des universités privées

On assiste depuis plusieurs années à une prolifération des instituts supé- rieurs et universités privés. Ces derniers jouent un rôle de complément aux universités publiques en offrant de nouvelles alternatives en matière de formation. Si l’existence d’un enseignement supérieur privé est positive pour le pays, le sec- teur n’en nécessite pas moins un sérieux assainissement. S’il existe des instituts et universités privés sérieux et dignes de confiance et même reconnus sur le plan international, la grande majorité d’entre eux ne respectent pas les normes en la matière, quand ils ne relèvent de l’escroquerie pure et simple. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique devrait publier au début de chaque année universitaire la liste des établissements supérieurs privés re- connus par l’État.

Quelle refondation pour l’enseignement supérieur ?

Quoi qu’il en soit, l’enseignement supérieur malgache fait partie d’un système universel. Il est confronté au contexte général de la mondialisation, ce qui implique pour lui la nécessité d’une sérieuse remise en cause. Les objectifs et les moyens de cette refondation devraient faire l’objet d’une large concertation entre les parties prenantes : étudiants, enseignants, dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur, chefs d’entreprise et responsables politiques. Toutefois, et conjointement à l’amélioration de la gouvernance du système, deux objectifs restent incontournables.

D’abord, élargir l’accès à l’université et améliorer les conditions d’équité de cet accès. Pour cela, il faudra :

  • mettre en place un système éducatif cohérent et performant de l’éducation de base à l’enseignement supérieur ;
  • rendre plus performant le dispositif d’orientation des nouveaux bacheliers ;
  • modifier le statut du baccalauréat, toujours considéré comme le premier diplôme de l’enseignement supérieur, et revoir les conditions d’accès dans les établissements d’enseignement supérieur publics, le système de concours en vigueur avantageant certains groupes, sans parler des arnaques de pseudo cours de préparation ;
  • abolir le principe des bourses démocratiques au profit d’un système basé sur des critères à la fois sociaux et pédagogiques. Le défi dans ce domaine consiste à trouver un mode de répartition des allocations qui soit basé sur le mérite et qui ne pénalise pas les plus pauvres. Car l’enquête sur les ménages de 2004 a montré que 10% des enfants du quintile des ménages les plus riches ont le niveau supérieur, alors que ce taux n’est que de 1 pour 400 chez les plus pauvres ;
  • accroître la capacité d’accueil en salles de cours, et exploiter plus largement les possibilités de la formation à distance.

Ensuite, veiller à l’amélioration de l’efficacité interne et externe, à savoir :

  • mettre cette refondation en cohérence avec les réformes à entreprendre aux niveaux inférieurs d’éducation : langue, programme et méthodes d’enseignement. Car le taux de réussite en fin de première année universitaire se situe autour de 38,5%, ce qui constitue un gaspillage de ressources publiques ;
  • accroître la qualification des enseignants, en appliquant des normes académiques et d’acquisition de la langue d’enseignement lors du recrutement ;
  • accélérer la mise aux normes internationales de notre enseignement supérieur (procédures d’habilitation, d’accréditation et de labellisation) pour favoriser la coopération internationale des enseignants et permettre à nos étudiants de poursuivre leurs études à l’étranger en bénéficiant de diplômes reconnus ;
  • revoir les contenus et les méthodes d’enseignement, en faisant de l’emploi le but ultime de la formation universitaire. Il convient donc d’établir des liens suivis avec les milieux professionnels, afin de mettre leurs compétences au service des étudiants et de répondre à leurs besoins spécifiques en matière de recrutement.

A Madagascar comme partout ailleurs, l’enseignement supérieur en général et les universités publiques en particulier sont confrontés aux défis de la mondialisation. Pour les relever, plusieurs mesures s’imposent, en particulier de :

  • réfléchir à l’amélioration des processus d’acquisition et de transmission des connaissances, compte tenu du contexte social et culturel malgache ;
  • stimuler le renouvellement des méthodes d’enseignement, et mettre en place des institutions aptes à gérer la recherche et l’innovation ;
  • organiser un appui fonctionnel en termes d’infrastructures, de financement et ressources humaines à tous les niveaux de l’enseignement ;
  • promouvoir le renforcement des capacités en matière de gestion des conaissances au sein des institutions et des entreprises tant publiques que privées.

Il conviendra également d’accorder davantage d’autonomie à nos universités, pour qu’elles puissent gérer plus efficacement leurs ressources. Mais l’autonomie se mérite, et les pouvoirs publics y consentiront d’autant plus facilement que les enseignants et les dirigeants de ces institutions feront preuve de plus de responsabilité en réduisant grèves et débrayages. Dans cette logique, l’attribution des subventions sur la base des résultats obtenus et des performances sur les plans quantitatifs et qualitatifs constituerait un pas décisif.

Les six universités publiques viennent d’élire leurs principaux responsables (présidents, doyens et directeurs d’école, chefs de département), au terme du mandat de trois ans accompli par les responsables en exercice à leurs postes respectifs. Ces élections sont pratiquement les seules qui, dans le pays et depuis longtemps, aient respecté les principes démocratiques d’alternance, de limitation des mandats électifs et de respect du calendrier. Ce faisant, nos institutions d’enseignement supérieur donnent à la société malgache une leçon de bonne gouvernance que les membres de notre classe politique feraient bien de suivre.

Pour conclure, la population et les pouvoirs publics doivent comprendre que l’enseignement supérieur est un investissement d’avenir pour le dévelopement du pays. Les pays émergents et les nouveaux pays industrialisés, sortis du sous-développement en une génération, ont commencé par investir massivement dans un enseignement supérieur de qualité. Devenir ouvrier d’une entreprise franche n’est pas la principale vocation de la jeunesse malgache, qui possède d’indéniables talents intellectuels. Il revient à la société, et notamment à l’enseignement supérieur, de les aider à se développer pour le bien de la nation.

SEFAFI
Antananarivo, 23 janvier 2013

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