
Quand j’ai vu arriver les hommes en treillis sur la place du 13 mai, j’ai eu, comme tout le monde, un élan d’enthousiasme et de soulagement.
Mais deux jours après la chute d’Andry Rajoelina, la Russie, par la voix de son ambassadeur Andrey Andreev, proposait déjà au CNDT un partenariat « sécurité, économie, formation ». Et ce 21 octobre 2025, le même Andreev rencontre le président de transition Michaël Randrianirina pour préparer un accord-cadre de sécurité régionale dans l’océan Indien… Sur le modèle du Sahel. Aïe … Colonels+Russie+Modèle AES, mariage dangereux ?
Et ironie de l’histoire : en 2009, c’était Jean-Marc Chataignier, ambassadeur de France, qui venait serrer la main d’un Rajoelina tout fraîchement putschiste.
Mais on a de la mémoire : dans les années 1970 (oui je sais, je suis hasbeen), lors du virage socialiste, les Soviétiques avaient fourni à Madagascar au titre de l’aide technique et de la coopération socialiste, dans le cadre des accords bilatéraux signés entre Antananarivo et Moscou … de vrais chasse-neiges ! On affirmait qu’ils pouvaient être reconvertis en tracteurs pour la révolution agricole. Symbole d’une aide plus idéologique que sincère : l’affichage d’une amitié politique l’emportait sur les besoins réels. Mais c’était aussi l’expression d’un insoutenable mépris.
Cinquante ans plus tard, à l’heure où un discours de rapprochement avec Moscou refait surface, l’anecdote mérite d’être rappelée : les grandes puissances ne reviennent jamais par générosité. Et surtout pas celle-là qui signe en cyrillique.
Le retour méthodique de l’influence russe
Depuis trois ans, la Russie réinvestit l’Afrique avec une stratégie limpide : occuper l’espace laissé vide par la France et les États-Unis, s’appuyer sur des régimes fragiles et obtenir en retour des positions économiques et militaires. Le schéma est rôdé : propagande anti-occidentale, déstabilisation, soutien aux putschistes, accords miniers, puis contrôle de l’information.
Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Niger : quatre laboratoires du modèle.Madagascar n’en fait pas encore partie, mais les signaux de rapprochement se multiplient : délégations, discours, promesses de « coopération équilibrée ». Et toujours, la rengaine : « accords de sécurité ». Contre qui doit on se protéger au fait ? Ah oui, j’oubliais les conflits des Eparses… 😕
L’expérience sahélienne montre surtout qu’à ces slogans succèdent dépendance, opacité et recul institutionnel.
Le mirage de l’AES
L’Alliance des États du Sahel (AES) se présente comme un rempart contre la domination occidentale ; c’est surtout une bouée pour des régimes militaires isolés. Au Mali, la présence du groupe Wagner n’a pas ramené la sécurité ; au Burkina, le territoire reste morcelé ; au Niger, la rupture avec les partenaires a paralysé une économie déjà exsangue. Aucune souveraineté nouvelle n’en est sortie : seulement un changement de tutelle encore plus vampirisant.
Les erreurs françaises, facteur aggravant
Si la Russie s’infiltre, c’est aussi parce que la France a perdu le fil. Les maladresses (je reste poli) de Macron l’ont illustré : sa sortie sur l’exfiltration de Rajoelina fut un modèle d’impréparation. Entre sa main gauche qui invoque la Constitution et la droite qui salue « la jeunesse admirable », la France réussit à se décrédibiliser toute seule.
Longtemps perçue comme arrogante, elle n’a pas su transformer son histoire en partenariat de confiance. À force d’osciller entre ingérence et inertie, elle a fini par perdre son auditoire. Défendre la stabilité des régimes plutôt que la légitimité des peuples est un pari perdant. La France ne perd pas Madagascar parce que la Russie la conquiert ; elle la perd parce qu’elle n’écoute pas.
Les précédents oubliés
Le rapprochement avec l’URSS sous Ratsiraka devait industrialiser, mécaniser, planifier. Il a surtout importé des modèles sans adaptation. Les chasse-neiges sibériens censés labourer les rizières, les MIG-21 sans pilotes, sans moyens d’entretien, les usines fantômes : tout y était. Pourtant les chenilles des engins de Sibérie étaient parfaitement adaptées aux sols et aux rizières de l’île rouge… Non… J’ironise (jaune).
Ratsiraka voulait des symboles ; il les a eus — mais découpés ensuite au chalumeau. Il n’a pas eu l’idée du téléphérique, lui. Sous couvert d’indépendance, nous avons surtout accru notre dépendance : technique, financière, idéologique. Le parallèle avec le Sahel est frappant : posture politique d’abord, stratégie de développement ensuite (quand il en reste).
Les nouveaux appétits miniers
Les Russes d’aujourd’hui s’intéressent moins à la fraternité qu’aux ressources : nickel, cobalt, graphite, or, uranium… Chrome à Madagascar. Moscou s’impose comme acteur extractif majeur du continent : Lukoil, Gazprom, Rosneft, Alrosa, Nordgold, Rostec, Rosatom… Avec leur modèle : « sécurité contre ressources ». Sécurité contre qui déjà ? Ah oui, les ennemis internes …
Les forces paramilitaires d’Africa Corps remplacent Wagner pour sécuriser régimes et sites au Mali, en Centrafrique, au Burkina. Parallèlement, la Russie mène une diplomatie alimentaire et énergétique : blé, engrais, métaux critiques de la transition énergétique … Qui pourraient être les métaux critiques de notre transition politique. Objectif : contourner les sanctions, pérenniser sa présence et rallier un bloc africain au BRICS+.
Les illusions de la rupture
Critiquer la Françafrique est sain … Bien que le concept et le vocables largement utilisés par des spécialistes de la mobilisation et de la colère des foules, soient complètement détournés de leur signification première… Mais croire qu’il suffit de changer d’allié pour être libre relève de la fable.
L’anti-occidentalisme de façade ne fait pas une politique étrangère. Les alliances dictées par le ressentiment produisent rarement autre chose que de nouvelles dépendances. La véritable indépendance repose sur la compétence, la transparence et la vision.
Les jeunes Malgaches qui réclament des services publics n’attendent ni Moscou ni Paris : ils veulent un État capable de décider et de rendre des comptes. C’est là que se joue la souveraineté — dans la gouvernance, pas dans les slogans.
Une diplomatie à reconstruire
Madagascar doit refonder sa politique extérieure autour de trois mots : clarté, réciprocité, cohérence. Clarté : savoir ce qu’on veut avant de signer. Réciprocité : exiger des accords équilibrés et vérifiables. Cohérence : ne pas confondre opportunité diplomatique et alignement idéologique.
Diversifier nos partenaires est légitime ; répéter les dépendances du passé serait suicidaire. Les chasse-neiges, les MIG et les téléphériques rappellent le prix des choix faits sans lucidité… ou sans courage.
Une leçon de réalisme
Madagascar n’a pas vocation à devenir un nouveau laboratoire géopolitique. Tout au moins pas dans ce sens. Le pays a besoin de stabilité, de compétences, et d’investissements utiles. Les grandes puissances doivent être des partenaires, pas des tuteurs — et encore moins des sangsues. On a déjà donné, merci.
La diplomatie malgache doit redevenir un instrument de développement, non une vitrine d’ego politiques. Le vrai danger, c’est la précipitation : un pouvoir stressé pris entre le marteau des sanctions et l’enclume d’un peuple épuisé risque de céder aux sirènes faciles.
L’indépendance ne s’affirme pas contre quelqu’un, mais pour quelque chose : la capacité d’un État à décider, produire et protéger. Voilà le principe qui devrait guider nos négociations, qu’elles aient lieu à Paris, Pékin ou Moscou.
Conclusion
Les maladresses (je reste poli) françaises ont préparé le terrain ; les ambitions russes s’y engouffrent. D’autres ; pas moins opaques, vont s’y engouffrer. Mais la responsabilité ultime appartient aux malagasy : celle de ne pas répéter les erreurs.
Les chasse-neiges des années 70 et le téléphérique de 2025 ne sont pas que des aberrations techniques : ce sont les symboles d’une cécité politique face au cynisme des puissances. La Russie, à peine moins que la France dans son attitude récente, n’a pas donné la preuve d’un grand respect pour ses interlocuteurs. Il ne faut oublier ni les MIGs, ni les chasse-neiges, ni le Sahel de l’AES… et ses colonels….Ni les téléphériques.
À l’heure où le pays cherche sa voie, souvenons-nous : la souveraineté n’est pas un alignement, mais une lucidité.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 21/10/2025
Les Chroniques de Ragidro
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Vos commentaires
Salama djiaby.
Patrick merci pour ce vaccin !
Si les dirigeants ( du moins ceux qui y prétendent ) pouvaient avoir ne serait-ce que votre mémoire, ( je ne dis pas capacité d’ analyse) Madagascar n’ en serait pas ou elle est , hélas la solution de facilité comme toujours est la première à tendre les bras et être prise par les protagonistes, qui comme déjà dit ne voient pas le lendemain mais juste le bout le leur nez .
Faiblesse de la nature humaine, manque de volonté et opportunisme constituent le triptyque (gagnant) pour la majorité & hélas ceux qui se présentent aux postes régaliens soutenus par une cohorte d’ arrivistes parvenus & nuisibles avides attirés par l’ appât du gain facile, et vous avez le melting-pot pour un chaudron explosif que chacun va valider avant de se rendre compte s’ être trompé, et recommencer au suivant ...
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Excellente analyse.
Continuez sur cette voie pour ouvrir les yeux des vos dirigeants.
97440 est avec vous
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