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Constitution empruntée, trajectoire bousculée : Madagascar face à son héritage institutionnel

samedi 6 décembre |  39 visites 

Introduction

En un peu plus de soixante ans, Madagascar a traversé autant de régimes, de constitutions et de transitions que la France en a connu en près de deux siècles. Rien n’est plus trompeur que la ressemblance entre les textes. Derrière l’emprunt assumé du modèle de la Cinquième République française se joue une autre histoire, celle d’un État né dans l’urgence, construit sur une architecture importée, et pris dans une succession d’accélérations et de dérapages.

Quand la France invente sa République dans la durée

La Révolution de 1789 n’installe pas une démocratie stabilisée. Elle ouvre une séquence longue et chaotique. Il a fallu presque un siècle pour que s’impose un régime parlementaire durable.

Entre 1789 et 1875, la France enchaîne Révolution, Terreur, Empire, Restauration, monarchie de Juillet, Deuxième République, Second Empire. Ce n’est qu’avec les lois constitutionnelles de 1875 que se met en place un ensemble institutionnel relativement stable, où Parlement, gouvernement et président trouvent un équilibre acceptable.

La séparation de l’Église et de l’État, devenue référence, n’est pas un geste immédiat de 1789. Elle est le produit d’un conflit de longue durée, d’accords, de ruptures, de compromis successifs. La loi de 1905 arrive plus de cent ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Enfin, la Cinquième République de 1958 est elle aussi la résultante d’une histoire accumulée. Elle vient après la défaite de 1940, le régime de Vichy, la Libération, la Quatrième République et ses instabilités, la guerre d’Algérie. Le renforcement de l’exécutif, puis l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, sont débattus, contestés, intégrés avec le temps.

En résumé, la France a mis près de deux siècles pour passer d’une monarchie absolue à un régime où la séparation des pouvoirs, la laïcité et la pratique démocratique sont relativement stabilisées.

Madagascar, une république née dans l’urgence

L’histoire institutionnelle moderne de Madagascar se joue sur une temporalité bien différente.

La séquence s’ouvre avec la colonisation de 1896, qui abolit la monarchie malgache et intègre l’île dans l’empire français. La souveraineté ne disparaît pas seulement. Elle est confisquée et reconfigurée par un appareil colonial qui impose ses catégories, son découpage du territoire, son mode de commandement.

En 1947, l’insurrection malgache est réprimée dans le sang. Elle pose déjà la question du statut de l’île, de la citoyenneté, de la violence coloniale. Mais elle ne débouche pas immédiatement sur une refondation constitutionnelle. L’ordre français se maintient, en se réaménageant à la marge.

Le tournant est 1958. Dans le cadre de la Communauté française, Madagascar devient République autonome. L’année suivante, la Constitution de 1959 est adoptée. Elle est qualifiée par les historiens de véritable réplique de la Cinquième République française, avec un régime semi-présidentiel, un Parlement bicaméral, un Conseil constitutionnel local. Le président malgache cumule même les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement.

En 1960, l’indépendance est proclamée. La Première République s’installe dans ce cadre. Elle est dirigée par une élite étroite, formée dans l’univers colonial, en lien étroit avec la France. Ce jeune État est doté, dès sa naissance, d’une constitution très sophistiquée qui suppose des partis structurés, une haute administration solide, une justice indépendante, des contre-pouvoirs efficaces.

En trois ans à peine, entre 1958 et 1960, Madagascar est passé du statut de colonie à celui de République indépendante dotée d’institutions modernes copieusement inspirées de la métropole. Là où la France avait mis des décennies à bricoler, ajuster, défaire, refaire, l’île importe un modèle déjà abouti.

Une constitution empruntée, un État surdimensionné

Ce choix d’un transplant institutionnel a des effets lourds.

Le modèle recopié est celui d’un État centralisé, épais, ancien. Il impose une administration nombreuse, une culture de service public, des corps intermédiaires qui amortissent les chocs.

À Madagascar, on plaque cette architecture sur un pays qui sort à peine de la colonisation, où l’administration reste peu nombreuse et souvent concentrée dans quelques villes, où les moyens budgétaires sont faibles, où la société est marquée par des appartenances régionales, familiales, confessionnelles très fortes.

L’appareil hérité de la période coloniale est conservé presque tel quel. La hiérarchie des provinces, des préfectures, des sous-préfectures, la logique de commandement vertical survivent à l’indépendance. L’État se présente comme moderne dans sa forme. Il reste autoritaire dans ses pratiques. Le mimétisme institutionnel produit un État moderne, surdimensionné sur le papier mais fragile dans les faits.

Cet écart structurel ouvre la voie à une captation rapide des postes clés par des groupes restreints. Là où les constitutions affichent une séparation claire des pouvoirs, l’accès aux fonctions devient un enjeu de réseaux, de proximité, de loyautés personnelles.

La France, laïcité patiente. Madagascar, laïcité comprimée

La comparaison est éclairante si l’on observe la place du religieux.

En France, la séparation de l’Église et de l’État est l’aboutissement d’un long processus qui traverse tout le XIXe siècle. Elle résulte d’un affrontement prolongé entre républicains, monarchistes, cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905 est un compromis final, très débattu, que la société finit par intégrer.

À Madagascar, la laïcité est proclamée dès la Constitution de 1992, puis réaffirmée en 2010. En moins de trente ans, l’île enchaîne indépendance, expérience socialiste, ouverture démocratique, et adoption d’un texte qui affirme à la fois l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la neutralité religieuse.

Mais ce geste normatif rencontre une réalité très différente. Les Églises jouent un rôle central dans la vie sociale, éducative et politique. Elles sont des acteurs de médiation, de contestation et de légitimation. La culture politique malgache reste profondément marquée par la référence religieuse et par le fihavanana, cette éthique des relations qui organise la vie communautaire.

Dans ce contexte, l’État laïc proclamé dans la constitution cohabite avec des pratiques où les autorités religieuses interviennent dans les grandes crises, où les paroles de pasteurs, de prêtres, de responsables d’Église pèsent sur les choix politiques. La laïcité importée n’a pas connu le même temps long de conflictualité qui lui a donné sens en Europe.

Présidentialisme instable et transitions à répétition

Le cœur du modèle importé est un exécutif fort. Dans la version française, ce présidentialisme a été progressivement encadré par des partis, des jurisprudences et des contre-pouvoirs consolidés au fil des décennies.

À Madagascar, ce schéma se transforme en présidentialisme instable.

Les crises successives en témoignent. La chute de la Première République en 1972, la Deuxième République socialiste en 1975, les mobilisations de 1991 qui ouvrent sur la Constitution démocratique de 1992, la crise de 2002, le coup d’État de mars 2009 et la Haute Autorité de Transition de 2009 et, enfin, le basculement militaire de 2025.

À chaque fois, le même scénario se répète. La constitution est suspendue, contournée, réécrite. Un nouveau texte promet un meilleur équilibre des pouvoirs, une démocratie renouvelée, des institutions plus représentatives. Puis la centralisation présidentialiste reprend le dessus, au profit du parti dominant, de l’appareil sécuritaire, et d’intérêts économiques concentrés.

Là où la France a connu quelques grands basculements par coups de force mais séparés par de longues périodes de sédimentation institutionnelle, Madagascar enchaîne les changements de régime à un rythme beaucoup plus rapproché.

Entre 1960 et aujourd’hui, l’île a connu plusieurs républiques, des périodes de transition militaire, des révisions constitutionnelles majeures. La moyenne est celle d’un tournant institutionnel d’ampleur presque tous les huit à dix ans.

Un État chimère entre texte et réalité

Ce décalage constant alimente ce que plusieurs travaux qualifient d’État chimère.

La constitution affirme un citoyen abstrait, détenteur de droits individuels, participant à une communauté politique unifiée. Elle pose la séparation stricte entre vie privée et sphère publique, l’indépendance de la justice, le contrôle parlementaire.

La réalité reste marquée par des logiques de clans, de familles, de régions, par la confusion entre intérêts publics et privés, par la captation de secteurs stratégiques par des groupes d’affaires liés au pouvoir.

La constitution de type Cinquième République française fonctionne comme une façade moderne. Elle permet d’afficher une conformité aux canons internationaux de l’État de droit, de la démocratie, de la laïcité. Elle sert aussi de langage commun avec les partenaires extérieurs, notamment européens.

Mais pour une grande partie de la population, cette façade ne correspond pas à l’expérience quotidienne. L’accès à la justice, les services de base, la protection contre l’arbitraire restent fragiles. L’écart entre le texte et la réalité nourrit une désillusion rapide et renforce l’idée que la constitution est d’abord un instrument au service de ceux qui contrôlent l’appareil d’État.

Une histoire accélérée et un rattrapage impossible

L’héritage de la Cinquième République française ne se réduit donc pas à quelques ressemblances juridiques. Il structure profondément la façon dont Madagascar s’est pensé comme État.

En important un modèle finalisé, le pays a voulu se placer immédiatement à hauteur des standards institutionnels européens. Il a inscrit très vite dans ses textes les mots de la modernité politique. Démocratie. État de droit. Souveraineté populaire. Laïcité. Président élu au suffrage universel.

Mais cette volonté de rattrapage instantané s’est heurtée à plusieurs contraintes.

  • Les ressources administratives limitées.
  • La faiblesse des partis comme organisations enracinées.
  • La centralité de relations personnelles et de réseaux économiques puissants.
  • La persistance d’une dépendance extérieure forte.

Le résultat est cette impression d’histoire accélérée. En deux ou trois générations, les Malgaches ont traversé des expériences politiques qu’il a fallu plus d’un siècle et demi aux Européens pour expérimenter, accepter, réguler.

La question n’est pas de regretter ce choix initial ni de fantasmer un retour à un modèle précolonial. Elle est de regarder lucidement ce que produit cette constitution empruntée, dans la durée, sur les pratiques du pouvoir, sur la stabilité des institutions et sur le rapport des citoyens à l’État.

Si l’on veut penser une refondation, il faut partir de cette double réalité. D’un côté, un héritage institutionnel français profondément inscrit dans les textes et dans les routines administratives.
De l’autre, une société malgache qui a ses propres logiques, ses propres temporalités, ses propres attentes vis-à-vis de la justice, de la solidarité, de la représentation.

La refondation à venir ne pourra pas se contenter de modifier quelques articles. Elle devra répondre à cette question centrale. Comment transformer une constitution empruntée en contrat politique réellement approprié. Comment passer d’un État chimère à un État qui parle la langue du pays, sans renoncer aux acquis universels des droits et des libertés.

Sources / Traçabilité

  • Chronologies institutionnelles France et Madagascar, comparaisons des républiques et des régimes à partir de la synthèse interne Diapason sur l’histoire parallèle France Madagascar.
  • Textes constitutionnels malgaches de 1959, 1992, 2010, et travaux historiques sur le mimétisme institutionnel, le présidentialisme et l’État chimère.
  • Documents de contexte sur les crises politiques et les transitions à Madagascar depuis 1960.
  • Références de base sur la trajectoire constitutionnelle française, de 1789 à la Cinquième République, mobilisées pour la comparaison des temporalités et des stabilisations.

Rédaction – Diapason

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