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samedi 14 juin 2025
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Le choc des maux et le poids du silence : une société fragmentée

samedi 14 juin |  361 visites  | 2 commentaires 

« Il n’y a pas de phénomène de société, seulement une explication sociétale des phénomènes »
Friedrich Nietzsche

Introduction – La méthode ICECAP : voir sous la surface

L’analyse suivante s’appuie sur la méthode ICECAP, une méthode d’analyse causale créée par les analystes du think tank Diapason, acronyme de Iceberg Causal Analysis Protocol, développée dans l’article « Iceberg inversé – ce que le monde voit, ce que le Malgache ignore » (Diapason, mai 2025). Cette méthode vise à identifier les symptômes visibles, à mettre à jour les causes invisibles, et à les classer selon cinq niveaux d’analyse :

1. Partie visible : symptômes sociaux observables
2. Partie invisible : causes profondes structurelles
3. Source primaire : choix de la gouvernance, pression privée, internationale ou ignorance
4. Motivation humaine : ce qui pousse à agir (peur, cupidité, conformisme, résignation…)
5. Sujet déclencheur : le mécanisme économique ou structurel à l’origine du blocage

Les deux articles de Joan Razafimaharo (sur la peur de la rétaliation) [1] et du Dr Rigobert Rafiringason (sur l’éducation) [2] constituent un double révélateur d’une même structure d’enfermement à Madagascar.

Analyse ICECAP – La peur de la rétaliation (Joan Razafimaharo)

Exemple concret : des journalistes, enseignants ou hauts fonctionnaires mis à l’écart après des critiques légitimes, sans protection ni cadre légal efficace.

Nuage de mots ICECAP : La peur de la rétaliation

Commentaires de synthèse

La peur de la rétaliation est ici le symptôme d’un système autoritaire diffus, dans lequel la parole libre est désamorcée par la crainte sociale plus que par la violence directe.

Les causes profondes relèvent d’un choix de gouvernance, mais aussi d’une pression des intérêts privés (préservation des positions, fuite du coût du courage).

Le sujet déclencheur, souvent économique ou structurel, renvoie à l’absence d’un cadre protecteur, à la non-reconnaissance des résistances morales (Hasina) et à l’internalisation du post-colonialisme dans la reproduction sociale.

La motivation humaine dominante est le contrôle, mais elle se décline en opportunisme, peur, résignation et conformisme, selon les acteurs en jeu.

Analyse ICECAP – L’éducation à Madagascar (Dr Rigobert Rafiringason)

Exemple concret : plus de 1,2 million d’enfants non scolarisés en 2023 ; 65 % des élèves de primaire n’ont jamais fait de travail en groupe.

Nuage de mots ICECAP : L’éducation à Madagascar

Synthèse

L’article met en évidence un effondrement global du système éducatif malgache, non pas par manque d’idées ou de moyens isolés, mais par absence de vision cohérente, de valeurs communes et de finalité sociale intégrée.
La source primaire dominante reste le choix de la gouvernance, souvent couplée à une ignorance collective sur l’impact structurel de l’éducation.
Les motivations humaines sous-jacentes vont de l’indifférence à la résignation, en passant par le cynisme et le repli individuel.
Le déclencheur économique majeur est l’absence d’investissement productif dans le savoir, aggravée par l’exclusion structurelle d’une majorité de la population du projet collectif national.

Analyse croisée – Sociologie d’un effondrement masqué

Synthèse

L’analyse croisée révèle un même système de blocage, où :

  • la parole libre est marginalisée (Joan) comme la pédagogie de la citoyenneté (Rigobert),
  • l’exclusion sociale touche aussi bien les voix critiques que les classes populaires,
  • le désengagement des élites empêche toute refonte des institutions,
  • et l’ignorance entretenue remplace l’éducation comme levier de transformation.

Ce croisement montre que la peur de s’exprimer (Joan) et l’impossibilité d’agir collectivement (Rigobert) sont deux faces d’un même blocage systémique, qui appelle une refondation à la fois de la parole, de l’éducation et du lien social.

Nuage de mots ICECAP croisé des deux articles (Joan & Dr Rigobert)

Préconisations concrètes – 5 leviers d’action

En considérant que :

  • 90 % des Malgaches luttent pour des besoins de base (pyramide de Maslow, niveau 1),
  • Moins de 1 % concentre la richesse nationale,
  • 9 % cherchent un rôle dans un système flou (cf. Joan),

1. Créer des espaces de parole sans peur

Objectif  : restaurer la parole libre, base de toute conscience citoyenne.

Pourquoi ?
La peur de la rétaliation (cf. analyse de Joan) pousse chacun à se taire ou à se replier. Cela empêche l’émergence d’idées collectives et de débats constructifs.

Action concrète :

  • Mettre en place des cercles de parole communautaires dans les fokontany : une rencontre par mois, animée par un facilitateur neutre (enseignant à la retraite, diacre, personne respectée localement).
  • Organiser des cafés citoyens dans les quartiers urbains : échanges ouverts sur des thèmes concrets (impôt local, sécurité, école, etc.).
  • Former des relais de confiance dans chaque commune : des personnes ressources formées à l’écoute, la médiation et la non-violence verbale.
    Exemple :
    À Ambalavao, une association locale (Tanin-drazana) a instauré une « veillée de la parole » hebdomadaire où jeunes et anciens discutent des décisions communales à huis clos.

2. Transformer l’école en lieu de coopération et d’ancrage civique

Objectif  : faire de l’éducation un levier de transformation sociale.

Pourquoi ?
L’école actuelle valorise la performance individuelle. Elle est déconnectée de la vie réelle, ce qui crée de la frustration et du cynisme (cf. analyse de Rigobert).

Action concrète :

  • Introduire des projets de groupe dès le primaire : agriculture scolaire, théâtre de rue, budget d’un jardin collectif.
  • Former les enseignants à la pédagogie active et collaborative.
  • Réintégrer des matières citoyennes (droit, institutions, vie publique) de manière contextuelle.

Exemple :
À Antsirabe, le collège Zoma a lancé un projet où les élèves gèrent une cantine autogérée : les élèves font le budget, passent commande, distribuent les repas.

3. Reconnecter l’éducation à l’économie réelle

Objectif  : faire en sorte que ce qu’on apprend serve à vivre et non à fuir.

Pourquoi ?
Aujourd’hui, la formation débouche rarement sur un emploi ou une activité économique. Le lien entre savoir et autonomie est rompu.

Action concrète :

  • Créer des écoles métiers de proximité, adossées à des coopératives existantes (agriculture, textile, énergies renouvelables).
  • Organiser des marchés du savoir local : les aînés transmettent des savoir-faire utiles (charpente, conservation alimentaire, plantes médicinales).
  • Lancer un programme national d’apprentissage rémunéré pour les 16–25 ans dans les zones à forte migration.
    Exemple :
    À Morondava, des jeunes formés à la réparation de panneaux solaires dans une structure communautaire sont devenus prestataires pour des ONG et villages isolés.

4. Instaurer une fiscalité civique visible et symbolique

Objectif  : restaurer le lien entre impôt et bien commun.

Pourquoi ?
Le rejet de l’impôt est massif car il est perçu comme une spoliation sans retour. Pourtant, il pourrait être un levier d’appartenance si visible, juste et local.

Action concrète :

  • Instaurer un impôt communautaire volontaire géré au niveau du fokontany : 1 000 Ariary/mois par adulte = fonds pour une action choisie collectivement (banc public, lampe solaire, poubelle).
  • Afficher dans chaque quartier un tableau des recettes/dépenses publiques locales.
  • Offrir un reçu citoyen avec contrepartie symbolique : nom gravé sur un banc public, accès à un service prioritaire.
    Exemple  :
    À Mahajanga, un quartier populaire a cofinancé des lampadaires solaires avec un micro-prélèvement mensuel, en autogestion avec le chef de fokontany.

5. Mobiliser les 9 % comme catalyseurs de transformation

Objectif  : responsabiliser ceux qui ont reçu, sans culpabilisation mais avec exigence.

Pourquoi ?
9 % de la population est éduquée, connectée ou insérée. Cette frange est trop souvent neutre, en retrait ou tournée vers l’extérieur. Elle peut devenir un levier.

Action concrète :

  • Créer un réseau national de formateurs de conscience citoyenne, issus de la société civile, de l’université ou du monde associatif.
  • Lancer des incubateurs sociaux dans les régions pour aider les jeunes à créer des initiatives économiques collectives.
  • Mettre en place des obligations de transmission : les diplômés bénéficiaires de bourses doivent animer 10 séances annuelles dans leur commune d’origine.
    Exemple :
    À Fianarantsoa, l’initiative Fianaralab forme des jeunes diplômés à devenir animateurs locaux sur les sujets de démocratie, développement local et fiscalité.

Conclusion

Ce que disent Joan et Rigobert, chacun à leur manière, c’est que Madagascar n’est pas en crise. Elle est en fragmentation avancée, privée de récit, d’école vivante et de parole libre.
Tant que les causes invisibles continueront d’agir, les symptômes visibles ne feront que changer de visage.

Ce texte fait écho au constat plus large selon lequel les solutions structurelles à Madagascar ne viendront ni d’en haut, ni de l’extérieur.
Comme l’a montré l’analyse croisée, la fragmentation sociale est alimentée non seulement par une gouvernance déficiente, mais aussi par une dépendance à une aide internationale qui entretient un pouvoir en recherche de légitimité.
L’aide étrangère, telle qu’elle est administrée, devient un symptôme de blocage, non une voie de libération.
Le véritable levier de transformation réside dans la responsabilisation intérieure : éducation coopérative, parole libre, initiative économique locale, transparence fiscale.
La refondation nationale ne viendra que si le peuple malgache est reconnu comme acteur central de son propre destin.

Nietzsche nous avertissait : il ne faut pas traiter les phénomènes, mais comprendre les forces qui les produisent. C’est là que commence la refondation d’une Nation.

Rédaction - Diapason

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2 commentaires

Vos commentaires

  • 14 juin à 11:03 | walesa (#5863)

    Est ce que Isandra va comprendre ce qui a été dit dans ce article ? Je m’en doute ! La propagandiste d’un succès inexistant s’en foute de ça et va nous propager une fois de plus ses écrits nauséabondes !

    Répondre

  • 14 juin à 11:46 | Vohitra (#7654)

    90 % - 1 % - 9 %...

    Témoin indélébile à la fois d’une fragmentation de la population mais aussi une fracture sociale poussée.

    Et des conséquences visiblement avancées telles la déliquescence de la Nation, la dégénérescence de la fonction de l’État, une dégradation de la pratique politique ramenée à la prévalence de la définition d’un espace d’affrontements incessants.

    Et l’idée de la nécessité d’une refondation de la Nation prend son envol, seulement avec les ailes lestées d’hypocrisie et de multiples tentatives de tromperie.

    A ce stade, la meilleure posture est de rendre visible les causes profondes de la situation dangereuse et lamentable vécue par le pays actuellement. Car on ne pourra jamais reconstruire à partir d’une base déjà en état de ruines et désolation.

    Et les causes ne sont plus à identifier ou encore à rechercher :

    * La corruption des politiques par le biais du système politique

    * La capture de l’État par un régime politique se structurant en banditisme organisé

    * La dilapidation et la prédation des ressources publiques et des actifs de l’État.

    Avant de retracer les voies et moyens pour l’objectif légitime de refondation de la Nation, il est impératif d’abord de faire cesser et d’arrêter l’ensemble des causes à l’origine de la perte de la Nation et du dépérissement du capital humain. C’est un impératif absolu !

    Répondre

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