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Editorial

La face pas si opaque du délibéré

jeudi 22 mars 2012 | Patrick A.

Comment porter une appréciation sur le procès de l’affaire BANI ? L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît ; car même pour la majorité de la population éduquée, les rouages et la logique de l’appareil judiciaire restent très mystérieux. Et ce ne sont malheureusement pas les films et les séries télévisées, où les situations apparaissent toujours plutôt simples et en noir et blanc, qui permettent d’en avoir une réelle compréhension. Avec l’aide de quelques connaisseurs des tribunaux, tentons donc d’analyser le jugement qui a été prononcé, et d’en comprendre la logique.

Quid de l’indépendance de la Justice ?

Au préalable, précisons qu’il ne s’agit nullement ici d’approuver ou de désapprouver le jugement prononcé. En fait, en tant que simple citoyen, et compte tenu du contexte, je serais tenté de dire que je désapprouve plutôt les condamnations qui ont été prononcées, et pourtant j’estime dans le même temps qu’un juge respectueux de ses fonctions pouvait difficilement faire autre chose que de prononcer des condamnations.

Aux yeux des partisans de l’indépendance de la Justice, il paraît dangereux de laisser se développer plus que de raison l’opinion que les juges n’en font qu’à leur tête, et qu’ils ne font que prendre des décisions purement sentimentales, ou sous influence des plus puissants et des plus corrupteurs. Certes, la justice est rendue par des êtres humains. En appliquant les mêmes textes de lois, ces êtres humains peuvent parfois porter une appréciation différente sur les mêmes faits. Sauf dans les séries policières, les juges ne sont nullement de grands sages très au dessus de leurs concitoyens pour la clairvoyance. Leur supériorité principale sur nous autres citoyens ordinaires est leur expérience.

Mais les voies de recours sont précisément faites pour permettre à chacun de voir sa cause rejugée par un autre juge. Elles ont aussi pour avantage d’homogénéiser à terme les jurisprudences (à condition que celles-ci soient largement diffusées, ce qui laisse franchement à désirer à Madagascar) et donc les interprétations des textes.

Si la loi est mauvaise, est-ce au juge de la changer ?

À ce titre, on ne peut pas véritablement reprocher au Tribunal de ne pas avoir accepté d’aller sur le terrain vers lequel voulait l’entraîner la défense : l’article 16 de la Feuille de route. Certes, ce texte a acquis force de Loi. Mais la lecture quotidienne des journaux ne fait que confirmer une chose qui était notoire dès septembre 2011 : la rédaction du texte est floue, contient des termes au conditionnel, et la période visée est plus qu’ambigüe. Qu’un juge de Cour criminelle ordinaire n’ait pas pris le risque de décider qu’il revenait à son instance de se montrer plus manam-pahaizana [1] que les personnes ayant rédigé et signé le texte et qui se disputent autour paraît plutôt salubre. Et que les avocats des condamnés aient décidé de porter la question en Cassation me paraît tout aussi salubre. D’autant que la SADC ne faisait qu’encourager à la prudence en invitant à « attendre le processus de la SADC pour déterminer si les accusés peuvent bénéficier ou non d’un arrêt des poursuites stipulé dans l’article 16 de la feuille de route ».

Heureusement ou malheureusement, il ne revient pas non plus à un juge de décider quels dossiers atterrissent sur son bureau ou n’y atterrissent pas. Là est d’ailleurs une des principales ambiguïtés de notre système judiciaire ; car le Parquet, organisme en charge d’accuser, reçoit des ordres de l’exécutif sur la politique pénale sans, en principe, en recevoir sur le traitement des affaires individuelles. Mais en ayant la possibilité de demander à consulter le contenu d’un dossier et d’omettre peut-être ensuite de le remettre en circulation, le ministère de la Justice dispose d’un certain nombre de moyens de ralentir une procédure, en tout cas de laisser deviner son sentiment... Pas si neutre lorsque la même instance a un pouvoir décisif en matière de nominations et promotions.

Un verdict plutôt mesuré

Ne reprochons donc pas au tribunal d’hier d’avoir jugé Ranjeva et pas Rajoelina. En l’instance, vu le délai qui s’est écoulé depuis les faits, le juge était en droit d’estimer que le meilleur intérêt des accusés était de ne pas laisser s’éterniser la procédure et donc la détention provisoire et l’incertitude pour des présumés innocents.

Une fois ces décisions préliminaires prises, la liberté des juges était limitée. Certains faits étaient démontrés par des enregistrements vidéo ; la contestation par les défenseurs portait plus sur la finalité des faits que sur leur réalité. Des condamnations étaient de ce fait inévitables. Charles Andrianasoavina, absent du procès, a été condamné par contumace à la peine maximale : c’est le traitement habituel en de telles occurrences, et cela n’aura que des conséquences limitées car il pourra demander à être rejugé. Pour les autres militaires, les condamnations sont échelonnées selon les grades : 7 ans pour les généraux, 5 ans pour les colonels, rien pour les autres.

Quant à Raymond Ranjeva, ce qui est arrivé est plutôt bénéfique pour son éventuelle future carrière politique. Au final, il vaut mieux pour lui, voir reconnu par le tribunal à l’issue d’une audience et de débats publics qu’il ne pouvait pas avoir connaissance d’un projet de coup d’État, que de continuer à sentir peser sur sa personne la suspicion que l’arrêt éventuel des poursuites n’était dû qu’à de petits arrangements politiques. Ainsi s’explique sans aucun doute la décision de Raymond et Riana Ranjeva d’assister jusqu’au bout aux audiences, contrairement aux accusés militaires.

Notes

[1manam-pahaizana : connaisseur, savant.

6 commentaires

Vos commentaires

  • 22 mars 2012 à 10:58 | niry (#210)

    Donc, en définitive, c’est juste pour marquer une étape que la Justice a rendu ce jugement contestable ? Bref, c’est comme le coup de la tribune à l’ONU : juste pour contenter l’égo du petit putschiste ??

    Allez, tous en cour de cassation, alors !! et départ à zéro pour les militaires : parce que ce procès est bidon. Ni +, ni -

    • 22 mars 2012 à 11:27 | da fily (#2745) répond à niry

      Mouais, pas convaincu du tout de la salade de choux que nous sert Patrick aujourd’hui, une tentative de trouver un intérêt à une mascarade, est-ce que ça vaut vraiment le coup ?

      Déja, est-ce qu’il devrait y avoir procés ? Procés de quoi et demandé par des hors-la-loi ? Allons, même si on est pro-foza, littéralement il ne peut y a voir de procés de putchistes contre leurs copains putchistes, ou c’est se foutre de la gueule du monde !

      Alors trouver un intérêt à savoir si ce n’est si opaque que ça ou si c’est justifié, basta à la benne ces impostures en cascade qui ne sont que des écrans de fumée !

  • 22 mars 2012 à 11:05 | hannibal (#6151)

    Bonjour,

    Approuver ou ne pas approuver les verdicts prononcés ne tiennent ni de l’éditorialiste, ni du lecteur, ni du citoyen lambda...

    La justice (politisée ou non) a tranché...

    A ceux dont le verdict ne convient pas d’accepter de continuer la lutte judiciaire ou non et à personne d’autre...

    La preuve de l’incivilité régnante actuelle est cette faculté décomplexée à juger un jugement. (Zanaki’Dada ou Foza, ou neutres ou je-ne-sais-quoi)

    Bref !!!!

  • 22 mars 2012 à 17:05 | kotondrasoa (#3872)

    Je ne sais si vous vous êtes déjà frotté à notre système judiciaire mais lorsque la justice tranche, qu’elle soit partiale ou non, le simple citoyen, surtout s’il est faible devra subir les affres de la condamnation.
    J’ai eu un neveu qui a eu maille avec la justice, seulement parce que son nom a été prononcé par un prévenu ; il a donc été saisi par la police, emprisonné, tabassé, a du débourser une certaine somme pour pouvoir être vu par sa famille et pour ne pas porter des menottes jusqu’au portail du Tribunal, un ami de la famille est intervenu contre monnaies sonnantes et il a dit qu’il vaut mieux choisir le bon juge, bon dans le sens disons accommodant et encore des espèces trébuchantes pour ce faire.
    Il est ressorti de là, blanc comme neige mais il a fallu en trois jours sortir la somme de quelques 5 millions ariary.
    Pour dire qu’il vaut mieux se tenir loin, très loin de ce système qui est dit protecteur des faibles.
    Et ceci pour dire que notre justice, jusqu’à présent restera une mascarade comme l’a bien dit da fily et lorsque le juge a décidé que vous allez écoper, qu’il ait été conseillé pour cela ou qu’il soit dans ses mauvais jours, adieu liberté.
    Et vous pouvez y entrer aujourd’hui et n’être jugé que dans cinq ans et en ressortir innocent, sans pouvoir vous retourner contre l’Etat et chez nous, l’emprisonnement est le commun des jugements alors que chez les autres, c’est l’exception.
    Et en parlant de ce procès de la BANI, puisque l’affaire ne concerne donc que des militaires, elle aurait dû être portée devant une juridiction militaire.
    Et dans ce procès, il y a eu des prévenus qui ont été laissés libres, qui n’ont pas comparu et qui n’ont pas été condamnés donc, du deux poids, deux mesures en parlant de sarla.
    Et le principal témoin ? Ndriarijaona, s’est moqué du tribunal, en envoyant un bout de papier comme témoignage alors qu’il n’était pas retenu.
    De la mascarade qui est une tragédie pour ces Officiers condamnés.

  • 22 mars 2012 à 20:23 | ROBEMA (#5518)

    O rey olona ê ! f’angaha tsy mba didy navoakan’ny mpitsara ilay tany Toliara ê !
    Ka nahoana no novonoina ny sasany ! Aza mba miangatra moa ê !

  • 22 mars 2012 à 23:33 | Lefona (#4584)

    Au lieu de nous poser la question SUR CE QUE LA JUSTICE QU’UNE RÉPUBLIQUE NOUS DOIT réellement, il faut déjà qu’on soit IRRÉPROCHABLE !

    Tout citoyen peut voir si les lois sont injustes, une fois qu’il aura vécu le parcours du combattant d’un procès. Mais que dire des ces citoyens magouilleurs, calculateurs et embrassant un système dont ils acceptent les règles du jeu, pour....assoir leur nom ou ce que vous voulez et dans un but précis : le pouvoir ?

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