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Opinions

Genre humain et politique

samedi 16 février 2013 | Jean-Pierre Domenichini

Il existe, traduite de l’anglais, une constitution qui dit : dans le monde, il y a les gens qui dominent et qui enseignent et les gens qui obéissent et qui apprennent. Comment cette constitution est-elle appliquée à Madagascar ?

Un papier d’Agnès Ratsimiala sur « les 10 crises économiques africaines » que nous fait suivre un relais malgache, nous enseigne que « tous les indicateurs économiques de la Grande Île sont actuellement dans le rouge : une croissance négative (-2% en 2010), un IDH faible, un RNB par habitant faible, un Etat défaillant et une crise de confiance de la part des investisseurs étrangers depuis la prise de pouvoir de l’ancien maire de la capitale, Andry Rajoelina, en mars 2009. La perspective de croissance en 2011 est également faible aux yeux du FMI.

« Le potentiel économique de Madagascar est inexploité malgré des ressources naturelles abondantes. A la campagne, la population vit toujours de la culture sur brûlis, aggravant le problème de la déforestation ; sur les côtes et dans les réserves naturelles, les touristes se font attendre ; et plus généralement, les forces vives du pays préfèrent attendre le retour à la stabilité politique pour se lancer dans des projets ».

Voilà un travail de cabinet dont la fenêtre ne s’ouvre pas sur la réalité du pays et qui ignore notamment que dans les hautes terres où vit une très grande partie de la population, cela fait des siècles que la région est déforestée et que les paysans ne continuent pas à vivre de la culture sur brûlis. Quant à la population des grandes villes, et notamment de la conurbation d’Antananarivo, elle ne se nourrit pas des seuls vary tanety et varin’ala produits par la culture sur brûlis de la région forestière. Alors comment comprendre ce texte que l’on nous invite à méditer ?

Pour ce faire, il faut déchiffrer dans ce qui est l’air de notre temps. Ecrit par Agnès Ratsimiala et publié dans les médias vazaha de l’autre côté (any an-dafy), ce papier, du point de vue de certains Malgaches, est utile et utilisé pour taper sur le petit horribilissime. Du point de vue du groupe vazaha qui l’écrit et le diffuse, son intérêt est autre. Il est là pour affirmer que Madagascar est dans la mouise et que ce pays ne s’en sortira pas sans l’enseignement et l’aide vazaha. C’est ce que, actualisée pour le 21e siècle, j’appellerai l’attitude missionnaire. Au 19e siècle, de la même façon, les missionnaires qui condamnaient l’esclavage, en exagéraient abusivement l’importance. Ranavalona Reniny aurait repris la traite négrière à laquelle Radama aurait mis fin. L’importation de bois d’ébène n’aurait pu se faire en dehors de sa politique et sans l’appui des gouverneurs et des officiers du Royaume. Lorsque Ranavalona ii décida en 1877 de libérer tous les Masombika, il apparut que les estimations des missionnaires étaient fausses, ayant au moins décuplé le nombre des Masombika présents à Madagascar. Les journalistes, économistes et polygraphes de notre temps n’agissent pas autrement. Ce sont, aidés de leurs catéchistes, les nouveaux missionnaires qui veulent « Civiliser » notre économie.

Or qu’en est-il aujourd’hui ? Madagascar, selon les estimations d’instances internationales, aura cette année une croissance entre 2,9 et 4,5%. L’économie ne se porte pas mal à voir le succès des manifestations économiques qui sont organisées dans la capitale. C’est le cas dans la construction. Quand le bâtiment va, tout va, dit-on. De la fenêtre de mon cabinet, je vois toutes ces nouvelles constructions et toutes ces extensions, comme ces petites maisons basses qui s’ajoutent deux ou trois étages, souvent avec des échelles de meunier extérieures pour monter à l’étage, car dans la maison, une cage d’escalier suivant les normes (manara-penitra) occuperait presque tout l’espace intérieur. C’est aussi le cas du domaine des nouvelles technologies, les Ntic, et aussi celui des énergies renouvelables.

Quant à l’agriculture, elle ne s’est pas mal portée depuis 2009. Et les besoins sont tels sur toute cette terre que les clients potentiels sont prêts à acheter ce que nous produirions. Ce que l’agriculture attend, c’est ce que pourraient faire les « forces vives du pays » et tous les nationaux qui, avec leurs paysans et dans un cadre d’économie solidaire, investiraient un tout petit peu des capitaux qu’ils utilisent pour enrichir leur parc de nouveaux Touareg et autres 4x4 de luxe et, pour le grand bien de tous, se mettraient à travailler leurs terres ancestrales en accord avec leurs métayers qui, quant à eux, se moquent pas mal de l’instabilité politique. La stabilité politique à venir ne changera pas la nature des rapports entre ceux qui travaillent la terre et ceux qui en sont propriétaires. La Constitution que j’ai citée était celle, inécrite mais visible dans l’espace vécu, du fanjakana avant 1897. A la campagne, rien n’a beaucoup changé et le temps des guérillas et des guerres de libération qui voulaient donner la terre à ceux qui la travaillaient semble bien fini aujourd’hui.

Le domaine du textile peut sembler en panne, mais non de façon absolue. Même sans l’Agoa, le textile a réembauché une bonne partie des personnels licenciés en 2009. Quand il y eut des investisseurs qui fermèrent leurs usines et embarquèrent leurs matériels – comme disait ma grand-mère, Bon voyage et bon vent, La paille au cul et le feu dedans –, des patrons d’entreprises dans ce secteur, prirent leur bâton de pèlerin, cherchèrent d’autres marchés et d’autres acheteurs et les trouvèrent. Je pense ici à des patrons vazaha et je ne sais si des patrons malgaches firent de même. Ce serait intéressant à connaître pour savoir lesquels sont les plus réactifs.

Avec leur Bonne Parole, les missionnaires économiques et leurs catéchistes se placent en notre temps comme des gouvernants qui nous enseignent et nous serions les gouvernés qui apprendrions et qui obéirions. Dans le théâtre de ce monde, accepterons-nous de jouer les rôles qu’ils veulent nous imposer ?

Jean Pierre Domenichini

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