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Editorial

Auscultation sommaire d’un grand corps malade

Faiblesses techniques et conceptuelles de la magistrature malgache

jeudi 25 février 2010 | Anthony Ramarolahihaingonirainy

Des Magistrats fonctionnaires…

Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires. Ils assurent certes le fonctionnement d’un service public, celui de la justice, cela n’en fait pas pour autant des fonctionnaires. À la différence de ces derniers qui tiennent leurs pouvoirs d’une délégation du Gouvernement par le biais de dispositions législatives et règlementaires diverses, les magistrats puisent directement leurs missions et pouvoirs de la Constitution au même titre que les membres du gouvernement et les parlementaires. La fonction de juger est une mission constitutionnelle qui revient directement aux magistrats, sans délégation aucune du Gouvernement ou du Parlement.

Leur considération comme fonctionnaire entraîne nombre de fâcheuses conséquences mais citons juste les deux qui sont les plus évidentes : l’obéissance hiérarchique (de droit pour les magistrats du parquet et de fait pour les autres), et la possibilité d’immixtion du ministère de la justice dans la gestion de leur carrière.

Répertoriés dans les grilles d’échelle des fonctionnaires de la catégorie 9 et plus tard des Cadre A, les magistrats sont peut-être parmi les hauts fonctionnaires sauf que cela ne leur épargne pas l’obéissance hiérarchique propre à tous les fonctionnaires. Le statut particulier n’y fait rien. D’ailleurs dans ce statut, la qualité de fonctionnaires des magistrats est formellement reconnue par l’article 23 (…). De même, la manière avec laquelle le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) gère leur carrière n’a rien à envier avec celle des fonctionnaires affiliés au Ministère de la fonction publique (système d’avancement, classification etc.). La seule différence réside dans le fait que ladite gestion relève d’un organe particulier : le CSM. Sauf que le Ministre de la Justice se trouve à la tête de celui-ci. La situation offre toute latitude au Ministre, fort de son statut politique élevé, de peser de tout son poids pour orienter les décisions du Conseil dans un sens ou dans un autre quelle que soit la composition de ce dernier. Dans une telle configuration, l’inamovibilité, garantie tant vantée de l’indépendance des magistrats du siège a-t-elle encore un sens ? Par ailleurs, la situation crée une certaine confusion. Les membres du gouvernement et les parlementaires snobent les magistrats pourtant sensés les baliser tandis que les autres fonctionnaires croient à torts être leurs égaux.

Dans la conception anglo-saxonne, les magistrats ne sont pas des fonctionnaires. Ils occupent le même rang constitutionnel que les membres du gouvernement et les parlementaires. Ils traitent et sont traités d’égal-à-égal avec ces derniers. Membres du gouvernement, parlementaires comme simples citoyens les perçoivent ainsi. Est-il étonnant de ce fait si dans ces pays l’indépendance de la magistrature vis-à-vis de l’Exécutif et du Parlement est mieux perçue par les citoyens lambda et n’est pas aussi contestée que dans les pays dit de Civil law ? Dans les travaux préparatoires du comité de réflexion sur l’indépendance de la magistrature française (Rapport Truche, 1997), un sondage rapporte que 82% des Français doutent de l’indépendance de la justice française contre seulement 21% dans un sondage du même type effectué au Canada quasiment à la même époque (Rapport Friedland, 1995).

À force de considérer les magistrats comme des fonctionnaires, tout le monde finit par oublier que les magistrats représentent une entité constitutionnelle distincte : le pouvoir ou l’autorité judiciaire.

Puisque les questions hautement techniques relatives aux répartitions des pouvoirs etc. dépassent les non initiés, parlons pour illustrer l’absurdité de la situation d’un point que tout le monde est en mesure de comprendre : le salaire. À ce sujet, le débat se perd sur le nombre d’années d’études et le mode de recrutement des juges au détriment de la considération de la position et de la mission constitutionnelle des magistrats et de la Justice. « Comment vont réagir les autres corps de fonctionnaires ? » C’est l’expédient habituellement utilisé par le gouvernement dès que la reforme salariale des magistrats est évoquée. Les autres hauts fonctionnaires de l’État manifestent en effet leur réticence en arguant des modes de recrutement et un nombre d’années d’études assez proches. Récemment, les médecins se réfèrent aux années d’études des magistrats dans leur revendication pour un statut particulier. C’est de bonne guerre. N’empêche que cela serait tout simplement risible sous d’autres cieux. Ailleurs, de tels propos ne se tiennent même pas. L’argument est pourtant défendable à Madagascar dans l’état actuel des choses car les magistrats sont des fonctionnaires parmi tant d’autres et au même titre que les coursiers ou les femmes de ménages des ministères, les administrateurs civils, les policiers, les infirmiers, les Inspecteurs des domaines, les instituteurs etc.

Pire, les magistrats eux même mettent en avant des propos faisant allusion à ces paramètres pour comparer l’aberration de l’allocation de salaire gonflée aux forces de l’ordre par rapport à la leur. Pourtant, c’est comparer l’incomparable car si les autres fonctionnaires sont des prolongements du pouvoir régalien, c’est-à-dire, les mains agissantes de l’exécutif, les magistrats représentent une entité constitutionnelle distincte : le pouvoir ou l’autorité judiciaire. Ils se trouvent ainsi sur le même pied d’égalité que les parlementaires et les membres du gouvernement. Quelqu’un a-t-il déjà fait allusion au nombre d’années d’études de nos députés (dont certains n’ont même pas le CEPE) pour comparer leurs pouvoirs et leurs avantages avec ceux des autres fonctionnaires ? Pourquoi ne pas prendre pour acquis l’évidence que les magistrats aussi disposent d’un rang constitutionnel ?

Pour information, les juges canadiens de quelque niveau qu’ils soient touchent un salaire comparable à celui du Premier Ministre et des membres de son cabinet soit dans les environs de 200.000 à 250.000 dollars par année et un peu moins que celui des parlementaires (le Canada est dans un régime parlementaire). Le principe est simple : à rang égal, pouvoirs et avantages égaux. Motivés, les juges canadiens le sont. Efficaces suite à cette motivation, ils le sont. Respectés, ils le sont également. Ils jouissent d’un respect digne de leur rang de la part de tous, surtout des autres tenants de pouvoir lesquels n’ont aucun complexe de supériorité comme ce qui aurait pu être le cas s’ils étaient mieux payés que les premiers. Les recherches et ouvrages sur l’indépendance judiciaire ne tarissent pas d’éloge sur la magistrature canadienne, généralement citée parmi les crèmes en matière d’efficacité et de probité. La décence de leur salaire a annihilé tout penchant vers des dérives morales liées à l’esprit de lucre (corruption, abus de position dominant, délit d’initié etc.). Le principe est envisageable certainement mais insuffisant pour le cas des magistrats malgaches. La défaillance morale de certains dépasse l’imaginaire au point qu’un solide dispositif de contrôle et de sanction serait souhaitable en accompagnement.

Le mythe de l’inamovibilité et la considération « minimaliste » du concept dans la conception continentale

Dans la conception continentale et à Madagascar, l’inamovibilité du juge du siège est la garantie généralement citée (la seule d’ailleurs) dès l’évocation du sujet de l’indépendance de la magistrature. Déjà l’inamovibilité n’est qu’un mythe dans la pratique. Demandez aux magistrats malgaches s’ils se sentent à l’abri d’une affectation intempestive ou arbitraire (affectation sanction dans les deux sens du terme : punition ou promotion exceptionnelle « pour service rendu ») et soyez-en sûr qu’ils vous répondront en cœur NON ! La menace d’une affectation (disciplinaire) dans une juridiction de brousse demeure encore une arme efficace pour influencer un juge parent d’enfants en bas âge ou dont le conjoint travaille dans des sociétés privées situées dans les grands centres urbains etc.

En outre, son contenu minimaliste limité aux questions relatives aux affectations dans cette conception la vide de tout intérêt. Dans la conception anglo saxonne, l’inamovibilité du juge touche l’ensemble de la sécurité de sa charge et de sa carrière, c’est-à-dire, toutes incidences concernant sa carrière en général telles que les affectations, la mise à la retraite, la suspension, la dégradation d’échelon, la révocation etc. La différence est flagrante : en plus d’une protection déjà défaillante relativement aux affectations, les magistrats malgaches se trouvent totalement démunis pour tout le reste (mise à la retraite d’office, suspension, révocation etc.). Les événements jonchant la dernière décennie démontrent d’ailleurs que les politiciens ne se sont pas privés des mises en retraite d’office, des suspensions temporaires voir de la révocation pour mettre au pas certains magistrats récalcitrants ou peu « coopératifs ».

Une gestion de carrière propice à toute ingérence de l’exécutif

Dans l’état actuel du droit, la gestion de carrière des juges incombe au CSM. En apparence, la nouvelle composition de la structure laisse penser que l’exécutif n’y est plus prépondérant. Pourtant, la présence du Garde des Sceaux dans la composition du CSM et le rattachement de son bureau à la Présidence laissent à désirer. D’une part, la situation permet à la Présidence de peser de tout son poids sur cette instance. D’autre part, dans les faits, on imagine mal les autres membres oser défier le Ministre de la justice lors des prises de décision.

La fixation de la politique pénale par le Gouvernement

En principe, les magistrats ne devraient pas recevoir d’ordre d’aucune sorte et de quiconque dans leur mission de rendre la justice. Seules la loi et leur conscience devraient les guider dans leurs décisions.

La fixation de la politique pénale par le Gouvernement n’est-elle pas en contradiction avec ce principe ? La politique ainsi fixée ne constitue-t-elle pas autant de contraintes, voir d’ordres auxquels les Magistrats doivent se conformer dans leurs prises de décisions ? Les anglo-saxons n’adhèrent pas à une telle disposition.


À suivre la troisième et dernière partie sur les derniers points faibles et sur des esquisses de solutions.

5 commentaires

Vos commentaires

  • 25 février 2010 à 10:23 | Rainivoanjo (#1030)

    « En principe, les magistrats ne devraient pas recevoir d’ordre d’aucune sorte et de quiconque dans leur mission de rendre la justice. Seules la loi et leur conscience devraient les guider dans leurs décisions » : justement, à cause de cela, des magistrats en ont abusé. Quand une personne quelconque n’a de compte à rendre à personne sauf à « sa conscience », c’est la possibilité à tout abus. Sinon, tout ce que vous dites est vrai : salaires insuffisants, indépendance, etc, etc.Mais ne comparez pas aussi Madagascar avec les autres pays, le Canada par exemple. A moins que vous connaissiez des cas au Canada où des personnes accusées d’avoir perpétré des kidnappings ont été libérées, sans parler d’autres cas encore plus graves un peu partout à Madagascar.La justice n’est pas la dernière institution à avoir besoin de « nettoyage » pour avoir un état vraiment de droit.

  • 25 février 2010 à 10:42 | Basile RAMAHEFARISOA (#417)

    Pour le commun des « MORTELS »,les magistrats sont des fonctionnaires.

    J’ai fréquenté la justice dès l’âge de 9 ans (neuf ans),je vais être direct pour dire que la justice est une affaire de fric (il faut des avocats pour être bien défendu ou être bien traité)et de la patience car ceux d’en face sont des fonctionnaires qui ne sont pas pressés.

    Basile RAMAHEFARISOA

  • 25 février 2010 à 13:28 | hafatra (#1895)

    Raha miresaka amin’ny olona tsotra ianao , indrindra moa fa ny any ambanivohitra , dia ny lalána , ny fitsarana sy ny fanjakana ary ny fitondrana dia mitovy daholo.

    Etsy andanin’izany dia ireo votanisan’i mpanoratra ireo daholo ny lesoka nisy hatramin’izay.

    Fa ny loza dia ny fomba fiheveran’ireo izay nitondra firenena ny fitsarana sy ny famnpiharana ny lalána .

    Raha atao faho be dia isika rehetra mihitsy no mila mikaroka izay karazana fitsarana mifanaraka amin’ny toe-tsaintsika sy ny fahafahanao sy enti-manao misy eo amintsika.
    Izaho manokana dia mirona any amin’ny fomba anglo-saxonne

  • 25 février 2010 à 17:20 | Rakotoasitera Fidy (#2760)

    En attendant la derniére partie ...

    Un grand merci à monsieur Anthony Ramarolahihaingonirainy

    Il serait interessant d’entendre d’autres sons de cloche

  • 28 février 2010 à 19:46 | el che (#344)

    Bonjour mr Anthony,

    J’approuve dans son ensemble votre excellent exposé sur le besoin d’indépendance des juges d’une part, et les moyens de rendre effective cette indépendance.

    Par contre, il y a un flou dans vos propos, quand il faut distinguer les magistrats du parquet (« magistrats debout »), ceux du siège « magistrats assis » qui par principe bénéficient de l’inamovibilité.

    Pensez vous que ces deux corps de la magistrature devraient bénéficier du même statut ?

    Ensuite, vous dîtes que les magistrats ne sont pas des fonctionnaires, et devraient, si je vous ai bien compris, bénéficier du même rang que les députés, et avoir leur salaires aligné sur ceux-ci .

    Mais voilà, le juges ne sont pas des membres élus, dans ces conditions, il est difficile de leur donner les mêmes prérogatives que les députés, dont la légitimité émane du peuple.

    Enfin, puisque vous citez en exemple la juridiction française, je constate que le Conseil des Prud’hommes, composé de patrons et de salariés, et d’un juge du siège comme président, fonctionne bien, mêmes si les magistrats civils ne sont salarié par l’ordre judiciaire.
    Cela relativise la nécessite de payer confortablement les juges pour qu’ils soient justes et impartiaux.

    En ce qui concernant Les USA et le CANADA, je remarque les faits saillants suivants :

    - Le scandale de la guerre de l’Irak n’a pas été dénoncé par la justice américaine. Donc le lobbyisme économique pervertit aussi la justice américaine

    - Quand au Canada, aucun procès concernant l’amiante n’a abouti, pour des raisons aussi économiques. Ce produit est pourtant reconnu pour être hautement cancérigène, et cause dans le monde des millions de cas de cancer, au présent comme à l’avenir.

    Dans ce système de juridiction, la justice à deux vitesses est encore beaucoup plus apparente.

    Qu’en pensez-vous ?

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