Facebook Twitter Google+ Les dernières actualités
mardi 2 décembre 2025
Antananarivo | 07h43
 

Editorial

Entre sursaut moral et dérive théocratique : L’Église au pouvoir ?

mardi 2 décembre | Lalatiana Pitchboule |  1 visite 

On a souvent reproché à la politique malgache de manquer de vision, de naviguer à vue entre deux ajustements structurels et trois promesses de campagne aussi vite oubliées qu’énoncées. Mais le problème est plus profond… On l’a déjà énoncé.
Ce qui manque à la Grande Île ce n’est pas seulement ou du bitume pour ses routes ou des devises pour sa Banque Centrale … Il manque à sa gouvernance une colonne vertébrale … Une éthique… Qui ne soit pas que déclarative.

De fait, si le rapport (voir en pièce jointe) de la commission politique de la concertation nationale chrétienne [1] peut nous faire de manière épidermique hurler au loup d’une dérive théocratique, une analyse plus poussée s’impose… D’autant que le Président confie au FFKM l’organisation des assises nationales.

Ce n’est pas un simple manifeste clérical. Ce document pose le diagnostic clinique d’une nation qui a perdu son âme. Il ne s’agit pas ici seulement de s’alerter de la potentielle montée d’une théocratie pour gouverner la Nation, mais de comprendre ce qui motive les chefs d’Églises quand ils remettent en question le socle constitutionnel actuel.
Face à la faillite morale d’une classe dirigeante rongée par la corruption et l’amateurisme, la concertation dit ne pas proposer une prise de pouvoir, mais une prise de conscience… un électrochoc spirituel pour tenter de réanimer une citoyenneté moribonde.

Le Citoyen-Chrétien : une exigence, pas une exclusion

Il faut relire le texte avec froideur pour ne pas se méprendre sur l’intention.

Lorsque le rapport énonce « Tsy azo sarahina tanteraka ny maha-Kristianina sy ny maha-olom-pirenena », il faut y lire « ton identité chrétienne et ton identité de citoyen font partie d’un même “toi”. Tes choix politiques, professionnels, associatifs, ton rapport à la justice, à la corruption, à la solidarité… doivent être cohérents avec ta foi ».

Et on peut l’étendre … La foi n’est pas enfermée dans le privé ou le culte. Elle appelle le croyant à se préoccuper du bien commun : de justice sociale, de défense des plus vulnérables, de respect des lois justes, de participation à la vie publique. Le “maha-Kristianina” pousse à un “maha-olom-pirenena” responsable. Et le postulat « le fait d’être chrétien et le fait d’être citoyen sont indissociables », ne pose pas une condition d’accès à la nationalité, mais bien une obligation de résultat pour le croyant.

C’est une injonction à sortir des sacristies et des presbytères. Le message est clair : on ne peut pas se dire chrétien le dimanche et piller les caisses de l’État le lundi. C’est un appel à la fin de la schizophrénie malgache… cette capacité effrayante à dissocier la foi privée de l’inconduite publique.

Le projet ne semble par ailleurs pas être un projet d’exclusion : il est explicitement fait mention de la nécessité d’une Église qui « respecte également l’existence des autres religions ».

L’enjeu est ailleurs. Il est semble-t-il dans la quête inquiète d’un nouveau « mindset », d’un changement de mentalité radical. On peut sentir, à travers les lignes, la lassitude des hommes de foi face à l’inefficacité des lois. Et puisque le Code Pénal ne suffit pas à empêcher le vol, puisque les institutions de lutte contre la corruption tournent à vide, on invoque désormais une instance morale supérieure.

Quant à la référence à Zachée « Ny “Zakaiosy” dia fampibebahana, tsy sazy ; mila rafitra tsy mivadika amin’izany. », elle est peut-être loin d’être anodine.

Elle va en hérisser quelques-uns qui ne verront dans cet appel à la transformation et à la repentance du coupable plutôt qu’à sa sanction brutale que a) une tentative d’absolution des pourris de l’ancien régime b) un vœu pieu (un pieu vieux ?) de re-moralisation des méchants …
Mais il faut quand même avoir à l’esprit que Zachée, dans l’Évangile, ne se contente pas de demander pardon ; il rend ce qu’il a volé, au quadruple… On est sûrs de renflouer les caisses avec ce principe… S’il est appliqué…

Transposé à la politique malgache, ce principe de réparation est révolutionnaire. Imaginez un instant nos élites politiques et économique passées et actuelles soumises à cette exigence : « On vous menace non pas de la prison, qui ne répare rien, mais de la restitution … Au quadruple … Et de la transformation de l’état d’esprit… ».
L’idée pourrait être séduisante. Elle touche à quelque chose de profondément ancré dans notre culture mais qu’il serait temps d’actualiser : cette référence sempiternelle au Fihavanana qui, sous l’alibi de la concorde, masque en fait la complaisance et la compromission. On passerait peut-être à l’adoption de vrais mécanismes de vérité et de transparence…

Et puis abandonner le système de la sanction brutale et froide devrait soulager la surpopulation carcérale. L’enjeu de ce principe de réparation redevient alors un enjeu de gouvernance et d’organisation judiciaire.

La tentation de la vertu par décret

Cependant, et c’est ici que l’analyste doit reprendre sa place face au moraliste… Le chemin de « l’enfer » est pavé de bonnes intentions… surtout quand elles se prétendent constitutionnelles…

Le modèle laïc importé de l’occident, pour n’avoir jamais réussi à empêcher nos dérives, a effectivement montré sa vacuité. Mais le remède brutal d’un virage théologique de la gouvernance du pays peut être des plus dangereux.
Le rapport de la commission politique de la concertation semble suggérer de « supprimer la laïcité » pour asseoir l’État sur des « valeurs chrétiennes ». C’est un gros double saut périlleux avec salto qu’il s’agit de réaliser… Si certaines valeurs chrétiennes sont universelles, graver la morale dans le marbre de la Constitution, c’est CONFONDRE LE PECHE ET LE DELIT.

C’est prendre le risque de transformer l’État, la maison commune, en un tribunal des consciences… On rêve d’un virage idéologique et de la construction d’une nouvelle conscience citoyenne… Mais pas d’un système d’aliénation des masses sous couvert de la pureté d’une doctrine morale à défendre… Pol Pot ne serait pas loin, même habillé de blanc clérical. On ne peut passer brutalement d’une république sans foi ni loi à une république à trop de foi et trop de loi…

L’idée d’introduire des « sentinelles » chrétiennes au sein des structures de l’État part d’une certaine logique : celle d’avoir des gardiens de l’intégrité, des vigies éthiques. Mais comment ne pas voir le danger opérationnel ? Qui gardera les gardiens ? On sait malheureusement ce que sont capables de faire des « gardiens de la révolution » dans l’histoire contemporaine.
Dans un pays où le Fifanajana (respect mutuel) est déjà mis à mal par les luttes partisanes, donner un mandat de surveillance morale à une institution religieuse, c’est ouvrir une grosse boîte de Pandore.

Le risque serait au pire l’instauration d’une théocratie brutale à l’iranienne, et au mieux le glissement vers une « démocratie de la dévotion » où l’apparence de la piété deviendrait le critère ultime de la compétence.
On énonce que seules des personnes « justes et intègres, préalablement éprouvées » peuvent accéder aux responsabilités. Sur le papier, qui serait contre ? Mais dans la réalité de nos jeux de pouvoir, qui délivrera le certificat d’intégrité ? … Si ce n’est pas comme cela qu’on crée une nouvelle oligarchie, non plus basée sur l’argent ou le parti, mais sur la proximité avec l’autel…:-(

Vers une laïcité contextuelle ou une impasse constitutionnelle ?

Face à ce risque, les travaux de Lalao Tsiarify nous proposent une clé de lecture apaisée. Elle propose d’inventer une « laïcité contextuelle » qui, fondée sur les réalités culturelles locales, obligera à intégrer dans le champ public d’autres croyances, notamment l’Islam (dont le rôle politique grandit) et les religions traditionnelles. Cette reconnaissance du pluralisme agirait ainsi comme un contre-pouvoir : une théocratie s’installe difficilement dans un système qui reconnait officiellement la diversité et l’égalité de multiples croyances … Et de la tradition.

La concertation a raison de dire que les constitutions précédentes étaient des « copiés-collés » déconnectés du réel malgache. Nous avons besoin de penser l’État avec nos propres catégories, notre propre langue, notre propre rapport au sacré. Mais cette reconstruction identitaire ne doit pas se faire par exclusion.
Si l’objectif est de bâtir un Fanjakana Malagasy solide, il doit pouvoir abriter le chrétien fervent, le musulman pieux, et le traditionaliste attaché aux razana… Et le laïc farouche… Et les acteurs de la Société Civile.

La morale qu’on semble appeler de nos vœux est une « morale civique » d’inspiration chrétienne. Si l’Église parvient à insuffler cette exigence d’intégrité dans la société civile, par l’éducation et la sensibilisation, elle aura rempli sa mission prophétique.
Si elle cherche à l’imposer par des verrous constitutionnels et des prestations de serment obligatoires devant Dieu, elle risque de détruire ce qu’elle veut sauver.

La politique est un métier, pas seulement une vocation. Elle requiert de la technicité, du compromis, et une gestion du profane qui s’accommode mal des absolus théologiques.
Vouloir que la théologie « éclaire et corrige » l’exercice du pouvoir est une ambition intellectuelle intéressante… Mais le pouvoir, par nature, a tendance à corrompre tout ce qu’il touche… y compris la théologie. L’enfer est toujours pavé de belles intentions … Et les gens en blanc devraient avoir l’humilité et la sagesse de le reconnaitre.

Conclusion

Le diagnostic de la concertation est un miroir tendu à notre propre décadence : nous avons construit une République sans républicains, un État de droit sans justice. L’appel à un sursaut moral, à ce « nouveau mindset », est salutaire, voire vital.
Mais attention à ne pas confondre la fin et les moyens. On ne légifère pas sur les âmes comme on légifère sur la TVA.

Le véritable défi de cette reconstruction n’est pas d’inscrire Dieu dans la Constitution, mais de faire en sorte que l’homme politique, qu’il jure sur la Bible ou sur l’Honneur, ait enfin peur de trahir la parole donnée au peuple. C’est là, et nulle part ailleurs, que réside la véritable sacralité de la fonction publique.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 30/11/2025
Les Chroniques de Ragidro

Références
Tsiarify, L. S. A. (2013). L’imbrication du politique et du spirituel à Madagascar : un défi pour la laïcité. Chrétiens et sociétés.
Commission Politique de la concertation nationale chrétienne. (2025). Rapport Final. Version malagasy et traduction
Mandat du président au FFKM. Version malagasy et traduction

-----

Notes

[1ou le mandat du président au FFKM pour piloter les Consultations Régionales et les Assises Nationales (voir en pièce jointe)

Réagir à l'article

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, merci de vous connecter avec l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Publicité




Newsletter

[ Flux RSS ]

Suivez-nous

Madagascar-Tribune sur FACEBOOK  Madagascar-Tribune sur TWITTER  Madagascar-Tribune sur GOOGLE +  Madagascar-Tribune RSS 
 
{#URL_PAGE{archives}}