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Editorial

En route vers les élections mora ?

mardi 15 janvier 2013 | Ndimby A.

Il y a quelques semaines, la SADC avait réussi à arracher l’engagement à contre-cœur de Marc Ravalomanana de ne pas se présenter aux prochaines présidentielles, et ce afin de donner une chance à l’apaisement à travers la solution « ni-ni ». C’était sans compter avec les atermoiements du Président de la transition (PT), qui, depuis un certain temps entretient le flou non artistique sur sa décision, à l’image du côté brouillon de son comportement à la tête du pays depuis 2009.

Après avoir pris l’engagement en mai 2010 de ne pas se présenter, puis après avoir renié cet engagement pour des prétextes fallacieux en mai 2011, il a commencé à préparer le contexte à coups d’inaugurations tape-à-l’œil et de discours arrogants. Objectif : commencer à distiller dans les esprits l’annonce de sa candidature comme étant une évidence. Et dans la mesure où l’expérience depuis 2009 a démontré, non seulement l’incompétence du clan qui a volé le pouvoir il y a quatre ans, mais également son manque de scrupules , il est probable que si Rajoelina se présente, il sera élu. Non pas qu’il soit tout à coup devenu populaire, ou que sa gestion désastreuse des affaires du pays ait fini par convaincre les citoyens sur ses quelconques aptitudes d’ex-DJ. Mais tout simplement parce qu’il faudra s’attendre à ce que ces élections reflètent une éthique plutôt approximative, cependant cautionnée par l’existence d’une CENI-T qui sert juste de faire-valoir aux hâtifs, mais sans véritables moyens pour les rendre vraiment propres. Pour Rajoelina donc, peu importe la manière, c’est le résultat qui comptera : démontrer par la voie des urnes la légitimité de sa prise de pouvoir par la voie des armes. Peu importe le vin, pourvu qu’il ait l’ivresse !

L’expérience des manipulations électorales acquise depuis des décennies par les régiments de retourneurs de veste professionnels dans la classe politique et l’administration publique peut donc être mise à profit. Rajoelina et sa clique ont déjà démontré ce dont ils sont capables en matière de démocratie, de droits civiques et de bonne gouvernance. Répressions de manifestations ; arrestations arbitraires d’opposants et de journalistes sous des motifs fallacieux ; fermeture de radios ; racket du secteur privé dénoncé courageusement par le Groupement des entreprises de Madagascar ; absence de gestion de l’insécurité croissante (par inconscience, incompétence ou complicité ?) ; État de droit à géométrie variable, qui n’ose pas réprimer les vrais auteurs de diffamation, et se rabat sur les journalistes qui se permettent de reporter l’information : une façon d’avertir qu’il vaut mieux éviter de parler de sujets qui fâchent, pour éviter que la Miss Tick de service n’enfourche son balai dare-dare pour vous jeter un mauvais sort. Et ainsi de suite. Et c’est sur les tenanciers de ce boui-boui que certains placent l’espoir d’élections fiables, transparentes avec des résultats qui s’imposent à tous ?

Si de plus en plus de monde commence à se faire à l’idée d’une candidature du moracrate et d’une proclamation de victoire au premier tour (si ce n’est à 0,5 tour ; juste pour dire qu’il a fait mieux que Ravalomanana), on entend également des commentaires bizarres : « le peuple n’acceptera jamais cela », « l’opposition n’acceptera jamais cela », « la communauté internationale n’acceptera jamais cela ». Sans oublier ceux qui croient au Père Noel, et escomptent un sursaut de conscience du DJ. Sur ce dernier point, soulignons que pour avoir un sursaut de conscience, il faut commencer par en avoir une.

Le peuple et l’opposition n’accepteraient pas une candidature de Rajoelina ou des élections truquées : cette vision me fait ricaner. Depuis 2009, que n’a-t-on vu comme choses incroyables, inacceptables, inadmissibles et invraisemblables, mais que ni le peuple, ni l’opposition, ni la communauté internationale n’ont été en mesure d’empêcher ? Dans un système politique, chacun doit jouer son rôle. Si la société civile (au nombre de laquelle figurent les médias en général et les éditorialistes en particulier) doit animer le débat d’idée, c’est aux politiciens de mener le combat politique, de manière si possible intelligente. Or la majorité de la classe politique s’est empressée d’aller émarger sur les registres hâtifs, au titre du Conseil supérieur de la transition ou du Congrès de la transition. D’un autre côté, la participation des pro-Ravalomanana à la gestion de la Transition n’a pas réussi à faire revenir leur chef d’exil, et aucun des opposants présents dans le pays n’a su s’imposer. L’opposition est donc en manque de leader, les pro-Ravalomanana espérant ad vitam aeternam le retour de leur Dada, et les autres n’ayant que des tocards et des hongres [1] à aligner dans cette course au leadership. Par conséquent, non seulement il n’y a aucune alternative crédible qui se pointe à l’horizon, mais en plus il n’y a aucune balise capable d’imposer un comportement honorable à une clique déjà a priori sans scrupules. On ne va pas attendre de quelqu’un qui ne s’est pas embarrassé de beaucoup de moralité pour faire un coup d’État, d’agir ensuite en champion de la démocratie. Il n’y a pas de démocrate qui se déshonore à faire de coup d’État. Point barre, comme dirait mon ami forumiste Basile Ramahefarisoa.

Ensuite, qui va encore se bercer d’illusions sur la capacité de la communauté internationale à ramener le régime de transition sur le droit chemin quand elle fronce les sourcils ? Elle s’est discréditée peu à peu, et est la seule à se bercer d’illusions sur sa capacité à servir d’épouvantail. Or, elle a échoué à faire appliquer Maputo, elle peine à faire appliquer la Feuille de route, et elle est en passe de rater à imposer le « ni-ni ». Comment expliquer cet échec de la communauté internationale à se faire respecter par les hâtifs ? Les raisons sont multiples. À cause de la diplomatie française sous Sarkozy qui a tripatouillé la situation pour protéger son poulain et ses intérêts contre de vraies sanctions internationales. À cause d’un mauvais choix de médiateurs, les organisations africaines étant loin d’être le meilleur choix par rapport à l’histoire commune de Madagascar et de l’Afrique. À cause de la Chine qui a fermé les yeux en se pinçant le nez sur la ponction des ressources minières et forestières dont ses entreprises étaient bénéficiaires. À cause des pays, qui, en espérant que cela allait être une motivation suffisante pour encourager le PT, ont multiplié les gestes de reconnaissance (présentation de lettres de créance etc.). À cause des institutions qui ont octroyé des financements sous prétexte de raisons humanitaires. À cause de l’ONU qui a multiplié les invitations du PT à ses Sommets internationaux. Et tutti quanti.

Ces incohérences dans le comportement des différents agents du système international ont créé des brèches qui ont allégé la pression, et ont gâché le potentiel de la communauté internationale à se faire entendre de manière claire par le régime hâtif, et donc à se faire respecter. Si toutes les entités s’étaient alignées sur la SADC ou les Américains, ou encore sur les sanctions de l’Union africain contre les 109 apparatchiks, on n’en serait sans doute pas là. Mais comme chaque entité du système international a voulu faire son petit malin pendant quatre ans en essayant de tirer son épingle du jeu, la communauté internationale se retrouve à faire semblant d’être étonnée de ce qui se passe début janvier 2013, et de faire la vierge effarouchée devant les déclarations souverainistes et les menaces de recherche de partenaires non traditionnels. Dans la mesure où le PT n’a pas donné de précision, on peut se poser la question : envisage-t-il de se tourner vers les narco-dollars, la mafia, ou encore les réseaux islamistes ? Car il y a effectivement des entités internationales qui ne s’embarrassent pas de principes moraux, et qui ne seraient pas gênées par l’amitié intéressée d’un putschiste.

Rappelons des phrases écrites il y a presque un an dans Je te lèche, je te lâche, je te lynche, et qui présentent un intérêt. En effet, les redevances minières ont été présentées par le PT dans son dernier discours à Iavoloha comme étant ce qui allait lui servir à se passer de la communauté internationale. Le jackpot est en train de commencer à tomber, et le PT, dont la qualité de vision est bien connue, va penser que cela peut l’autoriser à jouer à l’Hugo Chavez de l’Océan indien.

« Il n’y a plus que quelques forumistes à la vision rendue floue par une distance de 10.000 kms qui continuent à se faire les griots d’un régime en pleine décrépitude. Mais celui-ci fait le gros dos et espère pouvoir tenir par la force et les manigances jusqu’à l’arrivée des redevances minières. Celles-ci lui permettront alors d’avoir la bouteille d’oxygène nécessaire pour arroser les contestataires et faire taire les revendications. Vary mora, trano mora, Airbus mora, fifidianana mora et autres opérations permettront alors de bâtir une popularité factice auprès de la plèbe, et à la winning coalition de s’accrocher au pouvoir comme un morpion à son poil » (4 mai 2012).

Le PT et la mafia politico-économique qui l’entoure sont donc en train de préparer le boulevard, si ce n’est le désert, pour que l’élection de Rajoelina se déroule avec toute l’apparence trompeuse de respectabilité. Cela impliquera de mettre l’opposition au pas, limiter (voire briser par une utilisation abusive de la loi) les capacités des rivaux potentiels à faire de l’ombre, intimider la presse etc. Cela peut passer de la fermeture de radios au débarquement intempestif d’un certain agité du képi qui va vous accuser de fabriquer des bombinettes artisanales dans votre pot de chambre. « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde » disait Paul Valéry. Cela est encore plus vrai dans notre pays en voie de sous-développement, dans lequel les armes aux ordres des généraux mora sont loyalement à la disposition de la main qui les nourrit (et qui signe leur promotion).

Mais ces perspectives peu engageantes signifient-elles qu’il faut baisser les bras ? Non. Dans le monde, il y a de nombreuses expériences de défaites du tenant du pouvoir, malgré un contexte totalitaire et corrompu. Toutefois, cela passe impérativement par une stratégie intelligente de l’opposition et des alliances autour d’une personnalité crédible, aussi bien sur le plan national et international. Et c’est là qu’on verra si on a de vrais politiciens capables de convaincre les citoyens, au-delà des bonimenteurs de place publique.

La seule chance pour l’opposition serait donc de se fédérer dès maintenant derrière un leader qui ait le courage et les moyens d’affronter le candidat d’État. Autrement dit, trouver la réplique du Ravalomanana de 2002 ou du Rajoelina de 2009 pour bouter par les urnes celui qui s’est invité par les armes en mars 2009. Mais la classe politique corrompue sera-t-elle capable de s’entendre sur ce nom unique, et sera-t-elle intéressée à choisir quelqu’un d’honorable qui risque de ne pas être très flexible sur les distributions de prébendes, postes et avantages ? Je me demande à titre d’exemple si les femmes peuvent mobiliser leur poids démographique pour soutenir Sarah Georget, au lieu de fantasmer sur l’adolescent attardé de service. L’opposition sera-t-elle capable de résister face aux intimidations qui vont fleurir pour protéger le PT des vents mauvais ?

Autant de questions dont l’absence de réponses appropriées risque de dérouler le tapis rouge de la légitimité électorale sous les pas de celui qui rêve de se faire appeler « président élu ». En attendant peut-être de se faire couronner empereur comme Bokassa, vu sa propension à s’habiller comme au carnaval dans les cérémonies officielles et à fréquenter le Palais de la Reine.

P.-S.

Après recoupement auprès de sources proches du dossier, il est vrai que le FMI a suspendu sa collaboration avec Madagascar à la fin de l’année 2008, car le Ministère des finances n’avait pu fournir de réponse satisfaisante à certaines demandes d’explication sur le deuxième avion Air Force One, les exonérations de Tiko et le projet de société nationale pétrolière. Mais le coup d’État avait aggravé la situation en ne permettant pas la poursuite des discussions avec un État légal. Voilà ce que disait le 9 mai 2009 (donc après l’arrivée de Rajoelina au pouvoir) Pierre van den Boogaerde, son Représentant résident dans le pays : « plus de la moitié des 186 membres du Fonds monétaire international (FMI) ne reconnaissent pas les nouvelles autorités de transition à Madagascar, aussi le FMI ne peut-il qu’apporter son assistance technique au ministère et à la Banque centrale. Tous les autres programmes sont ainsi suspendus car il faut attendre la décision du Conseil d’Administration pour validation » (http://www.madagascar-tribune.com/Tous-les-projets-et-financements,11892.html). Le folklore du PT pour dire qu’il n’est pour rien dans la récente décision du FMI concernant Madagascar n’est donc qu’un artifice de plus pour rechercher un bouc émissaire à ses propres turpitudes. Mais bon, après l’avoir fréquenté depuis quatre ans, le peuple malgache ne va pas encore s’étonner d’un tel comportement éhonté.

Notes

[1Hongre = cheval castré (autrement dit, pour parler vulgairement, sans c...)

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