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Editorial

Dahalo ou pas dahalo ?

mercredi 12 septembre 2012 | Citoyenne Malgache

Madagascar occupe de nouveau les colonnes des médias internationaux, les photos macabres des tueries dans le Sud inondent les réseaux sociaux, et le sujet monopolise les discussions des réunions familiales et même professionnelles. Impossible de rester à l’écart, même si on essaie de filtrer les informations pour se protéger psychologiquement de toutes ces violences quotidiennes. Les attaques se multiplient et lorsqu’on localise sur la carte chaque nouvelle tuerie, comme lorsqu’on suit la trajectoire d’un cyclone, on a le sentiment que les attaques se rapprochent de Tana...

Les villageois ont donc tué des dahalo pour se défendre nous rapportent les médias. Et cela semble curieux car dans les batailles autour des zébus contre les dahalo, les villageois gagnent rarement. En tous cas pas à cette échelle. Lorsqu’on parcourt les sentiers ruraux, les villageois vous montrent parfois un petit monticule, là où un dahalo attrapé par le fokonolona est enterré, sur le bord du chemin. Un dahalo ou deux… mais pas 56 ni 86 ni une centaine comme ce qui se passe actuellement. Par quel miracle le fokonolona aurait-il brusquement eu le dessus ? Etaient-ce des dahalo ou pas des dahalo ? Cela s’apparente plutôt à des actions de marquage de territoire comme les Foroches dans le nord de Madagascar. Ou pourquoi pas une manœuvre politique pour servir de diversion ?

Ce qui est scandaleux, c’est que les « autorités » prônent l’auto-défense villageoise pour se débarrasser du problème, malgré tous les fonds et équipements attribués à l’armée depuis cette crise.

L’auto-défense a toujours été pratiquée à Madagascar, soit par l’application des dina, ou encore à travers les kalôny (qui vient du mot « colonne » et qui fait participer les villageois dans des patrouilles de nuit et des contrôles pendant les jours de marché des zébus). À l’annonce d’un vol dans le village, les hommes valides doivent faire le manara-dia (suivre les traces des voleurs). Sur les routes, on les reconnait souvent, par petits groupes - armés de sagaie ou de hache - et dont la plupart traînent les pieds. Ce qui est compréhensible devant l’inutilité de la tâche : non seulement ils perdent des journées de travail, mais il arrive que certains périssent sous les balles des dahalo. De plus, les voleurs déclenchent des feux de brousse pour effacer leurs traces.

Mais les dina ont surtout abouti à des excès, notamment au mépris des droits humains. Certes, la loi n° 2001-004 réglemente les dina pour servir l’intérêt collectif et prévoit les dispositions concernant les vols de bœufs. Mais dans la pratique, les panelistes lors d’une conférence sur les Droits de l’Homme ont rapporté que la plupart des dina qui existent ne sont pas homologués et ne respectent pas cette loi. Ils ont surtout été exploités par des personnalités ou pour servir des intérêts particuliers. On peut par exemple voir des dina stipuler l’exécution sommaire et immédiate des supposés voleurs sans aucune forme de procès. Et parmi les promoteurs de ces dina figureraient d’anciens ministres ou encore des chercheurs à l’Université…

Les mesures de compensation prévues par ces dina ont aussi pour conséquence de renforcer le caractère infernal du vol de zébus : le voleur devrait par exemple remplacer par 3 têtes chaque bœuf volé. La Région Ihorombe avait suspendu l’application des dina, mais comment suspendre une convention qui n’est pas homologuée et qui n’est donc pas sous la maîtrise de l’Administration ? En décembre 2011, à Ihosy, on parlait de l’arrivée d’un camion rempli d’hommes pour récupérer 500 zébus, en compensation du vol de 30 têtes qui datait de 2007 !

Bref, auto-défense ou pas, la vraie question est « se défendre contre qui ? ». Comme le mentionne le Dinan’Anosy, les voleurs font partie de la communauté et sont connus par la population. Mais les vols sont souvent organisés par des réseaux de commercialisation clandestins. Ceux qui possèdent un important troupeau s’associent d’une façon ou d’une autre avec les voleurs pour protéger leur troupeau. Et même si le fokonolona repère des bœufs volés sur le marché, les receleurs remis à la justice sont vite relâchés. Avec la reprise récente des exportations des bœufs sur pieds après 10 années de prohibition, il fallait aussi s’attendre à un accroissement du grand banditisme.

On se souvient aussi de l’affaire Ikelihorombe en 2005, où les forces de l’ordre avaient mené une opération tsy minday mody (ne ramener aucun prisonnier vivant) durant laquelle ils avaient massacré tous les hommes d’un village pour un soi disant opération de pacification, mais qui, selon les dires, serait plutôt une vengeance suite à une banale affaire de corruption. Aucune suite n’aurait été donnée à cet assassinat perpetré par les forces de l’ordre.

Le plus triste dans cette problématique de vols de zébus, c’est que les victimes sont toujours les pauvres paysans qui ont durement travaillé pour acquérir leur bétail. Ambohitromby, dans la Région d’Analamanga, est une localité où il y a des zébus comme son nom l’indique : d’année en année, il ne reste plus que 3000 têtes dans toute la Commune alors qu’auparavant, c’était le troupeau d’un seul propriétaire. À Ibity, dans la Région du Vakinankaratra, le cheptel est réduit de 80% et les éleveurs ne sont plus enclins à pratiquer l’élevage.

Le plus inquiétant, c’est quand le Malgache qui tient tellement à la vie et à sa vie (lahitokana ny aina) respecte de moins en moins celle des autres. Madagascar est abolitionniste de fait, même si la peine de mort est toujours prévue par la loi et que le pays n’a pas signé le pacte international de 1989 visant à abolir la peine de mort. Par contre sa population, face à la défaillance de la justice et dans une réaction de survie a de plus en plus recours à sa propre justice : « si on remet les voleurs à la justice, ils sont vite relâchés et ils reviennent pour se venger. Donc, soit c’est nous, soit c’est eux… »

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