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Editorial

Air Madagascar : qui est responsable de la situation ?

lundi 24 décembre 2012 | Ndimby A.

Il ne se passe plus une seule journée sans que les mésaventures des passagers d’Air Madagascar ne fassent la une des médias sociaux. La blogueuse Mialy-s’en-fout laisse éclater sa colère sur Facebook : « Air Mad m’a fait poireauter toute la nuit. Vol prévu à 11h du matin, puis 18h, puis 20h, puis 23h, puis 3h du matin, et finalement parti à 4h30 ». Un site consacré au transport aérien dans le monde relate la rébellion de passagers bloqués à la Réunion pendant quatre jours. Sylvain R., une référence depuis des décennies dans le domaine de la communication à Madagascar se pose également des questions sur Facebook : « Même pas foutus de développer une communication de crise : c’est à se demander si finalement il y a une stratégie de communication dans cette compagnie nationale... ». Ce qui est sûr c’est qu’elle a une agence de communication, qui a poussé pour que la Compagnie dépense une fortune dans le renouvellement non urgent des tenues du personnel (uniformes manara-penitra), et qui a fait organiser le 50ème anniversaire d’Air Madagascar dans une … boîte de nuit. La classe... À quand des abonnements aux salons de massage body-body pour les membres du programme de fidélité ?

Beaucoup s’étonnent des problèmes actuels de la Compagnie nationale. Pour ma part, je m’étonne de leur étonnement, car ce qui est en train de se passer était prévisible. Dès le 27 avril 2009, un mois après le coup d’État, je posais une question dérangeante dans l’édito Air Madagascar, bientôt les ailes brisées ? La formule qui permettait de prévoir de façon aussi certaine que 1+1 = 2 pouvait être résumée ainsi :

Difficultés mondiale du transport aérien + impacts économiques de la crise politique + fragilité inhérente à son statut de Compagnie nationale + faiblesse de la capacité à affronter la mondialisation + corporatisme et syndicalisme = risque de faillite à cause du coup d’État Mars 2009.

Esory ny vazaha fa vitan’ny gasy io e !

Pour les griots de la Révolution orange, dans l’enthousiasme imbécile d’avoir réussi leur coup d’État, le coupable des difficultés de la Compagnie nationale était déjà trouvé : Marc Ravalomanana. Mais malgré les problèmes décrits à l’époque, le style écrevisse promettait de résoudre tout cela. La révolution orange allait amener la démocratie. La révolution orange allait amener la bonne gouvernance. La révolution orange allait amener la liberté de la presse. La révolution orange allait effacer la pauvreté. Et bien entendu, la révolution orange allait redresser Air Madagascar. Car après l’épisode des Allemands de Lufthansa et de Lahmeyer (pour la JIRAMA), le discours officiel sous couvert de nationalisme et de patriotisme était le suivant : « esory ny vazaha fa vitan’ny Gasy io e ». Mais miala vazaha, misolo vazaha (comme le train, un vazaha peut en cacher un autre). Écarter les Allemands, c’etait juste pour préparer la voie royale aux Français.

Depuis ces quatre ans, de l’air a coulé sous les ailes des avions. On a vu s’accumuler peu à peu les actions démontrant un amateurisme dans la gestion du milieu du transport aérien à Madagascar. Cela a commencé par la rupture en 2011 du contrat passé avec la SRDI (fin 2010) dans le domaine de la sûreté aéroportuaire. Puis l’annonce d’une perte de 94 Milliards d’ariary pour Air Madagascar (exercice 2011). Entre-temps, honte suprême qui n’est jamais arrivée dans l’histoire de la Compagnie nationale, Air Madagascar se voit placée en avril 2011 (deux ans après l’édito rappelé ci-dessus) dans la liste noire des transporteurs aériens faisant l’objet d’une interdiction d’exploitation dans l’espace aérien de l’Union européenne. Et pour finir, une décision stupide sur le plan technique mais imposée pour des motivations politiques par un ex-DJ qui voulait faire plaisir à la France, et qui a cru par la même occasion faire un geste de bonne volonté envers l’Union européenne en achetant un de ses avions. Comme si cela allait effacer les exigences et conditionnalités des Accords de Cotonou en matière de démocratie.

Revenons à cet achat de deux Airbus A340, type d’avion dont plus aucune compagnie aérienne ne veut, à cause de sa trop grande gourmandise en carburant à un moment où ce consommable devient hors de prix. Air France était donc à la recherche de compagnies suffisamment nigaudes pour se débarrasser de quelques exemplaires. Air Madagascar, compagnie nationale d’un pays dont les dirigeants putschistes devaient illustrer de façon concrète leur reconnaissance envers ceux qui leur ont permis, directement ou indirectement, d’accéder au pouvoir, se sont donc empressés de dire « oui, vazaha, bien vazaha » devant les manoeuvres de Jean-Marc Châtaignier au bénéfice d’Air France. Vente-location de deux appareils A340 à un tarif faramineux, contrat ACMI (incluant Avion, Équipage, Maintenance et Assurance) au bénéfice d’Air France : il n’en fallait pas plus pour que la trésorerie de la Compagnie entre dans une zone de turbulences. Et certaines sources bien informées susurrent qu’un nouveau projet d’achat d’Airbus moyen-courrier (gamme des A318, A319, A320 ou A321) est en cours pour février ou mars 2013, afin de remplacer les B737. En effet, Air France continue à avoir besoin de se débarrasser de ses vieilleries.

Mais l’arrivée de ces A340, présentée à l’époque comme étant une condition pour l’effacement du nom d’Air Madagascar dans la liste noire européenne, n’a toujours rien changé. Conclusions des courses : Air Madagascar se ruine par ces achats d’avions pourtant inadaptés à ses moyens et en étant obligé de payer les services annexes (équipages techniques et commerciaux, et service de maintenance [1]) ; mais jusqu’à aujourd’hui, Air Madagascar reste encore sous liste noire, et Rajoelina toujours à quémander la reconnaissance internationale. Sans vouloir être vulgaire, mais sur ce coup-là, il me semble qu’Air Madagascar s’est faite avoir jusqu’à la gorge par sa « grande sœur » de l’ex-puissance coloniale. Et sans vaseline.

J’ai demandé à un Chef de cabine principal (le sommet de la hiérarchie des pilotes et hôtesses) comment se passait la collaboration des deux PNC (personnel navigant commercial) malgaches intégrés dans les équipages d’Air France dans Airbus aux couleurs malgaches. Sa réponse : la fonction essentielle donnée par les équipages d’Air France aux PNC d’Air Madagascar est de ... servir le sakay pendant les repas. No comment.

Toutefois, si Jean-Marc Châtaignier et Air France ont réussi à faire avancer les intérêts de la France, on ne peut pas leur en vouloir, car ils sont payés pour cela. Le problème est plutôt les Malgaches qui, à divers niveaux (politique, mais aussi au sein d’Air Madagascar), ont agi par incompétence, par complicité ou par inertie pour en arriver à cette situation. Je me permets alors de rappeler l’éditorial Auto-dérision (7 mars 2009), dans lequel je pointais du doigt notre habitude à chercher chez autrui (de préférence les étrangers), les causes de nos propres erreurs. Revenons donc sur les sources des problèmes d’Air Madagascar.

Le personnel doit faire face à ses responsabilités.

Dans Air Madagascar, bientôt les ailes brisées ?, je lançais un avertissement : « Son personnel vit avec ses lauriers (…) La force des syndicats crée également un corporatisme de mauvais aloi, qui fait que Air Madagascar est difficilement manœuvrable. (…) Quant au personnel de la Compagnie, il a passé les 7 dernières années à rechercher et préparer l’après-Lufthansa. Manque de participation, absence d’esprit d’équipe, coups bas, conflits internes, guéguerres intestines à coup de grèves sous divers prétextes, mauvais esprit de collaboration : le résultat est là. Aujourd’hui, ce sont les mêmes employés malgaches qui risquent de se retrouver sur le carreau. La situation illustre le dicton Malgache qui dit « Mandrora mantsilany » (cracher en étant allongé, cela ne peut que retomber sur vous) ».

Le personnel d’Air Madagascar a souvent montré un visage peu favorable à la cohésion et à la solidarité face aux défis de la Compagnie. Il y a quelques semaines, une lettre anonyme (une pratique « culturelle » chez le personnel d’Air Madagascar) est publiée par un pilote chez Tananews, qui sous couvert du courage qu’offre cet anonymat, joue au faiseur de roi repenti : « Comme mes autres collègues pilotes, j’ai souhaité et milité pour qu’un de nos pairs arrive à la tête d’Air Mad. C’est chose faite après moult lobbying et pressions. (…) Au lieu de redresser la Compagnie, il a multiplié bourdes et mauvaises décisions. (…) Le départ annoncé d’une quinzaine de mes collègues est un signe que la Compagnie est au bord du gouffre. Même si l’herbe n’est pas toujours forcement plus verte sous d’autres cieux, je pense sérieusement à rejoindre mes collègues qui sont partis … au moins là-bas, j’exécuterai plus sereinement mon plan de vol sans risques de crash d’avion ni de crash de la compagnie ! Et promis juré ! Je ne m’aventurerai jamais plus à pousser un des nôtres à la tête d’une quelconque Compagnie ! ».

Cette lettre appelle à un petit commentaire de textes. De source auprès de plusieurs membres du personnel au sol, il y a actuellement une grande rancœur au sein de la Compagnie nationale contre les pilotes. C’est leur syndicat (SPNT) qui a commencé il y a quelques années à déstabiliser la compagnie à coups de grèves, sous prétexte de revendication salariales. Or, il semble selon des confidences qu’en fait, la véritable raison de la guéguerre enclenchée par les pilotes contre la Direction générale était un conflit de personnes avec le Directeur des pilotes de l’époque, dont ils voulaient obtenir le limogeage. N’ayant pas eu gain de cause, ils ont alors multiplié les actes de déstabilisation. Des grèves et menaces de grèves leur ont permis d’obtenir des avantages faramineux qui ont contribué à mettre à mal la trésorerie de la Compagnie, tout en accroissant l’écart avec le personnel au sol, et en définitive, ont donc affaibli dangereusement Air Madagascar [2].

Voyant la déliquescence de la situation à laquelle ils avaient pourtant grandement contribuée, beaucoup de ces pilotes syndicalistes sont alors allés s’expatrier pour aller travailler sous les couleurs d’Ethiopian Airlines, des compagnies du Golfe persique, ou encore au Togo. Quel comble, quand on se souvient de la campagne de dénigrement que les pilotes d’Air Madagascar avaient faite à l’époque contre leurs collègues pilotes expatriés, en particulier les Camerounais et les Maghrébins. « Un clan de jeunes pilotes a pourri la Compagnie, et puis ils sont allés travailler ailleurs quand ils ont vu qu’Air Madagascar plongeait vers la catastrophe. Et nous, personnel au sol, on ne peut qu’attendre (miandry izay figadony). Ils nous ont vraiment fait un sale coup » nous a dit, les larmes aux yeux, un cadre qui affiche plus de vingt ans de Compagnie.

Il y a quelques jours, les syndicats d’Air Madagascar ont envoyé une lettre aux dirigeants de la transition, avec copie à la presse, et dans laquelle ils demandaient le limogeage de l’actuel Directeur général, et la mise en place d’un comité de gestion. Toujours cette manie de vouloir faire la révolution, et de croire que la mise en place d’un comité de gestion participatif va pouvoir remettre la Compagnie sur les rails. Idem pour une entreprise : depuis la chute de l’URSS, vouloir d’une direction collégiale aux mains du peuple des employés relève d’un anachronisme crasse. Grève, revendications de limogeage et autres actions d’illuminés : on a vu l’impact de mars 2009. Mbola tsy fay ihany ve….

En attendant, de plus en plus de passagers commencent à se demander si les problèmes de trésorerie et la démotivation du personnel permettent encore d’assurer une maintenance correcte des avions, et donc des vols sûrs. La succession de vols annulés et retards pour cause de problèmes techniques n’est pas faite pour rassurer. Alors, au lieu de perdre son énergie à créer une autre crise interne et à vouloir mettre en place un comité de gestion qui sent le communisme et le populisme, le personnel au sol devrait plutôt se mobiliser pour faire face en regagnant la confiance des clients, que ce soit en termes de ponctualité, de sécurité et de gestion des crises. « La seule révolution possible, c’est d’essayer de s’améliorer soi-même, en espérant que les autres fassent la même démarche. Le monde ira mieux alors » disait Georges. Pas l’Oncle du samedi, mais l’autre appelé Brassens.

P.-S.

(27/12/2012) Selon la direction générale d’Air Madagascar, les syndicats et délégués du personnel ont démenti formellement que la lettre dont la presse a reçu copie émanait d’eux. Concernant les salaires des pilotes, tout en soulignant que ce sujet relevait du confidentiel, Air Madagascar déclare ne pouvoir se permettre en ce moment de s’aligner aux conditions du marché ; d’ailleurs elle a vu partir ces derniers mois une dizaine de pilotes. Air Madagascar déclare également que l’étude du renouvellement de la flotte se poursuit et que depuis Noël, les vols ont presque tous repris leur cours normal.


Rien à avoir avec l’édito, mais petit cadeau pour Noël : ceux qui aiment le rugby peuvent regarder ici une vidéo des lapins crétins faisant le haka. Comme quoi le concept peut s’exporter...

Notes

[1Petite anecdote : il y a quelques mois, un des A340 d’Air Madagascar a été bloqué à Marseille, pour cause d’arriérés de factures de kérosène. Un passager de ce vol m’a raconté que finalement, l’avion a pu partir car le Commandant de bord (fourni par Air France) avait payé le carburant sur sa carte bancaire personnelle. L’hôtesse ne s’est pas privée d’en faire l’annonce en cabine.

[2Selon des syndicalistes que j’ai rencontré avant-hier, des pilotes sont maintenant payés à plus de 30 millions d’ariary (PS du 27/12 : chiffre également cité dans la lettre attribuée aux syndicats dans Tananews). Les pilotes représenteraient environ 8% de l’effectif du personnel de la Compagnie, et 50% de la masse salariale

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