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Editorial

Ces classes moyennes qui tuent la démocratie

mercredi 31 mars 2010 | Patrick A.

Finalement, c’est quoi la démocratie ? m’interrogeait-je à l’issue de l’éditorial précédent. Cette question, on ne se la pose pas uniquement à Madagascar.

On a déjà largement évoqué la résurgence des coups d’État dans les pays africains, de la Mauritanie au Niger en passant par la Guinée et Madagascar. Et à constater suffisamment souvent que l’alternance n’a pas apporté de changement dans les pratiques de gouvernance, on se sera fait une opinion sur la vanité ou la réalité des espoirs mis dans des changements brusques.

Cette situation se retrouve cependant ailleurs qu’en Afrique. Il n’est pas besoin d’être un habitué de la ligne aérienne Tana-Bangkok pour retrouver quelques similitudes dans certains comportements des acteurs politiques des deux rives de l’Océan Indien. La Thaïlande était considérée dans les années 90 comme une des plus prometteuses jeunes démocraties dans le monde. Elle jouissait d’une Constitution particulièrement ouverte, de médias libres et d’une société civile bien structurée à travers de puissantes ONGs.

Suite à la crise financière asiatique de 1997, un milliardaire des télécommunications, Thaksin Shinawatra a remporté les élections de 2001, et ce sur la promesse de redresser l’économie et de mettre en place des programmes sociaux destinés aux pauvres. Thaksin [1] avait su surfer sur le sentiment de frustration d’une classe défavorisée qui ressentait durement un certain mépris affiché par l’élite politique traditionnelle thaï.

Cependant, arrivé au pouvoir, Thaksin mit également à mal l’administration et le système judiciaire. Remplaçant les personnalités indépendantes par des proches à lui, il arriva à se dépêtrer de diverses accusations de corruption et de détournement de fonds public, et incita ses alliés à racheter les médias pour faire taire les voix dissonantes. Sa famille prit ainsi le contrôle financier de la seule chaîne de télévision indépendante et 21 journalistes furent renvoyés après avoir critiqué le contrôle exercé sur la ligne éditoriale. Au nom d’une guerre contre la drogue, enlèvements et exécutions extra-judiciaires par les forces de l’ordre se multiplièrent et firent au moins 2500 victimes, notamment parmi les musulmans radicaux de la partie sud du pays.

En assiégeant alors le Parlement et en appelant à une prise de pouvoir par les militaires, une partie de la classe moyenne urbaine manifesta qu’elle estimait préférable à la continuation des pratiques de Thaksin une mise entre parenthèses des institutions. C’était pourtant cette même classe moyenne qui avait le plus à gagner de l’égalité des chances permise par des institutions démocratiques.

Suite à la contestation et à des élections anticipées boycottées par l’opposition, Thaksin démissionna le 5 avril 2006. Il fut remplacé provisoirement par son vice-Premier ministre. Il fut finalement renversé par un coup d’État militaire le 19 septembre 2006 alors qu’il se trouvait à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies. Élément clé dans un pays où tous les coups d’État qui ont réussi au cours des 60 dernières années ont reçu l’appui du Roi [2], le souverain Bhumibol avalisa par un décret royal le nouveau gouvernement militaire.

La classe moyenne avait donc obtenu ce qu’elle voulait : Thaksin est en exil, ses opposants sont au pouvoir. Mais la démocratie Thaï est en ruine et l’instabilité politique perdure. Nommé en 2008 pour un mandat de quatre ans, le Premier ministre Abhisit Vejjajiva doit faire face à une contestation soutenue par les partisans du retour de Thaksin, les chemises rouges et reste sous pression des anti-Thaksin, les chemise jaunes dont les espoirs sont déçus.

Un coup d’État n’intervient que très rarement sans l’assentiment d’une partie de la population et des acteurs économiques. Au Niger, tout le monde n’était pas fâché de voir partir le président Mamadou Tandja et ses pratiques autocratiques. Les militaires nigériens affirment vouloir renouer rapidement avec la démocratie, mais faut-il les croire ? Les plus de 600 arrestations opérées au cours des dernières 48 heures, combinées avec celles de 17 anciens ministres, autorisent en tout cas un certain scepticisme.

Quoi qu’il en soit, les coups portés à la démocratie par des membres des classes moyennes ont l’inconvénient de faire tomber les barrières mentales dans d’autres milieux sociaux. En Thaïlande, des foules de manifestants généralement pauvres ont lancé à leur tour des manifestations violentes qui visent les classes moyennes opposées à Thaksin. Aux Philippines, les milieux défavorisés fournissent l’essentiel des foules en colère qui réclament le retour d’un Joseph Estrada empêché par la Cour Suprême. En Amérique du Sud, on retrouve les mêmes parfums de lutte de classe entre pro et anti-Evo Morales ou pro et anti-Hugo Chávez.

Combien d’années, si ce n’est de décennies, seront nécessaires pour reconstruire des administrations et des institutions judiciaires ayant en leur sein suffisamment de personnes à la fois compétentes et impartiales pour assurer la crédibilité de ces institutions aux yeux de tous ? Comment également dépolitiser des médias qui se sont transformés trop souvent en automates réagissant uniquement par rapport à telle ou telle personne ? Pour ce qui est de Madagascar, le dernier rapport d’International Crisis Group ne propose pas pour l’ensemble des structures des solutions similaires à celles qu’il suggère pour l’armée et pour la police. Il reste donc aux Malgaches, à chaque Malgache, à s’y mettre. Et ce n’est pas trop tôt à la veille de 50 ans de proclamation d’indépendance.

P.-S.

Merci à Joshua Kurlantzick, du Council on Foreign Relations, pour certaines idées qui ont inspiré cet article.

Notes

[1Un peu comme les Malgaches, les Thaïlandais utilisent facilement le prénom plutôt que le nom de famille.

[2Les tentatives échouées de 1981 et 1985 n’ont pas bénéficié de cet aval.

7 commentaires

Vos commentaires

  • 31 mars 2010 à 10:00 | lalatiana (#1016)

    Ouufff ... Joli papier Patrick.

    Merci de l’info. Plutôt tournés vers l’Ouest (l’Afrique), on ne regarde pas assez à l’Est ... qui fonde pourtant partiellement nos origines ... on le devrait.

    Sur la le thème de la « lutte des classes » ...
    L’exemplarité, oui ... Mais n’a t on pas, systématiquement derrière ces mouvements des classes populaires, des manipulations reflétant les rivalités entre franges de la bourgeoisie ?

    Je reformule : les mouvements de foule du 13 mai (et du 7 février) étaient ils totalement spontanés ?

  • 31 mars 2010 à 10:20 | Rainivoanjo (#1030)

    Il n’y a pas de « démocratie » unique et chaque pays a sa particularité. Autant les partis ou individus sont à arme égale dans les pays comme l’Angleterre pour arriver au pouvoir, autant dans d’autres pays, tout est muselé pour que seuls ceux qui ont les moyens financiers et de propagande peuvent arriver au pouvoir. Ce n’est pas pour rien que dans beaucoup pays d’Afrique, avec des élections « libres », les dirigeants sont élus depuis des décennies et peuvent modifier à leur guise la constitution, tout aussi légalement. Les Etats-Unis ont franchi le pas avec le non-plafonnement des subventions des hommes et partis politiques par les entreprises, mais ce sera toujours une démocratie ! Eclairez les gens au lieu de ne parler que de démocratie virtuelle, car à vous lire, les thaïlandais ont eu tort de s’être débarrassé de leur ex-pm ! Il est certain qu’il y a une certaine ressemblance avec le cas ...malgache !

  • 31 mars 2010 à 11:05 | philippe (#4053)

    Que signifie le terme « démocratie » ?
    Que tout le monde ait l’opportunité de se faire entendre, le bien-être pour tous, l’harmonie entre les conservateurs et les extrémistes, un commerce équitable au lieu de libre-échange, connaître nos devoirs et nos droits, et enfin avoir la liberté d`expression.
    Vivre en démocratie est certainement la chose la plus difficile à réaliser. Les plus puissants auront toujours la tentation de vouloir tout le pouvoir, tout centraliser et surtout tout contrôler. Un pays démocratique a besoin d’un régime politique où majorité et opposition puissent s’exprimer en toute liberté. Il faut également garantir la liberté de la presse, rouage essentiel dans une démocratie, et enfin respecter la volonté populaire quand elle s’exprime dans les urnes, à condition bien sûre que les élections soient libres et transparentes ! Une justice indépendante sera le gage essentiel de la liberté individuelle. Amis malgaches, la balle est dans votre camp, il faut imposer au régime en place les conditions d’élections libres, c’est à ce prix que vous aurez la reconnaissance des grandes puissances étrangères. Tous mes voeux de réussite.

  • 31 mars 2010 à 12:53 | Patriote (#1382)

    Il y a démocratie et démocratie. Voyez par exemple comme elle fonctionne aux USA ou en France. Mais à la base, il y a toujours un dénominateur commun à savoir le choix du peuple, le vahoaka que nos politicards met à toutes leurs sauces, qui désigne ceux qu’il estime en mesure de répondre à leurs attentes. Or,ce peuple dans sa grande majorité n’a pas une maturité politique suffisante, état de fait qui n’est pas leur faute. Pêle-mêle : ils sont analphabètes (Cf. à la campagne d’alphabétisation organisée dans les années 60 par le régime PSD dont l’objectif était d’apprendre aux paysans à écrire son nom et à signer à des fins électorialistes)ou n’ont pas atteint un niveau scolaire leur permettant de lire et comprendre ; L’information sur la vie politique nationale ne leur arrive qu’à travers un canal unique, celui des gouvernants du moment ; il n’y a plus à ma connaissance d’instruction civique dans le programme des écoles.
    Il faut ajouter que le choix du peuple ne se fait plus sur la base d’idéaux(pour ne pas dire d’idéologie). Il vote par rapport à un individu (leader) en prenant en compte plusieurs sensibilités ou paramètres (origine, historique, religion,...), faute de mieux (tout le monde promet dans ses discours les mêmes choses).
    Il faut voir aussi comment se déroulent les élections. Une bonne élection ne se mesure pas uniquement par rapport à ce qui se passe le jour du scrutin. Il faut analyser le processus électoral dans son ensemble (avant, pendant et après). Tout ceci pour dire que nous sommes encore mal partis.

  • 31 mars 2010 à 13:47 | râleur (#3702)

    cela fait 3000 ans que les grecs l’ont inventée. On a philosophé dessus depuis et tant mieux.

    La meilleure façon c’est de commencer à l’appliquer. La liberté de penser et de s’exprimer en fait partie.

    Quand on voit que la justice malgache peut condamner (même avec sursis), le simple fait d’avoir des tracts dans sa voiture, c’est tout sauf de la démocratie.

    Toutes les excuses, gere peuple pas mature, blabla,.. en sont valables que pour des régimes à tendance totalitaire

  • 31 mars 2010 à 19:08 | Balita (#216)

    Lisez Tatu Vanhanen 2009 pour avoir la réponse à la première question de l’article.

  • 31 mars 2010 à 22:00 | Rakotoasitera Fidy (#2760)

    Evidemment la question que je vais poser n’aura aucun lien avec la démocratie ...quoique

    En effet j’ai entendu et vu sur FR3 des médecins français déclarer que la ou le chikoungougna (ortographe non garanti) a fait plusieurs milliers de morts chez nous

    Je vais demander à Patrick ou Ndimby ou Georges de vérifier l’exactitude de ces dires

    Et c’est tres tres étonnant que des foza si prompts à ’sauter’ sur des fausses com (si c’est de l’intox) ne réagissent point

    Par contre si c’est vrai ......

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