À la veille du 14 octobre, jour de commémoration de la Ière République déclaré férié, et à deux mois du 11 décembre, jour de commémoration de l’entrée en vigueur de la Constitution de la Quatrième République déclaré férié lui aussi, le SeFaFi constate un manque de volonté politique évident, de la part des dirigeants, pour la mise en place effective de cette IVe République. Votée en 2010, la Constitution a dû attendre la proclamation des résultats des élections de 2013 et l’investiture des premiers élus en 2014 pour commencer à entrer en vigueur. Malgré ses imperfections, elle contient des éléments auxquels tiennent l’opposition et la société civile : une meilleure répartition des pouvoirs entre les différentes composantes de la République, une moindre suprématie de l’exécutif et du Président qui en est le chef, et le renforcement de la place et du rôle de l’opposition.
Des institutions tronquées
Dès son premier communiqué de 2014, le SeFaFi a appelé à la mise en place des institutions de la République [1]. Force est de constater, sept mois plus tard, que des trois composantes principales de l’État, seul l’exécutif est pleinement en place. Au législatif, manque la Chambre haute, le Sénat, censée être plus réduite, plus sélective, plus technique et moins populiste que la Chambre basse, l’Assemblée nationale. Une grande partie du judiciaire n’est toujours pas en place : la Haute cour constitutionnelle (HCC), composée de 9 membres, n’en compte que 3 dont le mandat n’est pas expiré depuis 2009 [2]. La Haute cour de justice (HCJ) est inexistante et la loi organique nécessaire à sa mise en place n’est toujours pas en vue. Seule la Cour suprême est installée, mais il est de notoriété publique que certaines chambres, telle la Cour des comptes, ne fonctionnent pas encore comme il le faudrait. Par ailleurs, le mandat des élus communaux a expiré depuis trois ans, bien que la Constitution impose que les dirigeants des collectivités territoriales décentralisées (CTD) soient élus par le peuple.
Outre ces organes de l’État, la Constitution prévoit la création d’institutions qui attendent, elles aussi, que soient votées les lois organiques nécessaires à leur mise en place. Citons le Haut conseil pour la défense de la démocratie et de l’État de droit, que la journée de la Démocratie a oublié et dont deux membres siègent à la HCJ (art. 43), le Haut conseil de la défense nationale (art. 56), le Conseil économique, social et culturel (art. 105), et, paradoxalement (car inclut dans les dispositions transitoires et au tout dernier article de la Constitution), le Conseil du Fampihavanana malagasy (Réconciliation malgache) (art. 168). Par contre, et contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu des cérémonies officielles, ni la CENI-T (Commission électorale nationale indépendante de la Transition) ni la future CENI ne sont une institution de l’État, la Constitution n’en faisant aucune mention [3].
Enfin, beaucoup se seraient battus, du moins verbalement, pour qu’un statut spécial soit réservé à l’opposition. Était-ce juste une revendication pour attaquer le Président précédent, ou l’expression d’un souci sincère d’améliorer la gouvernance de la République ? La société civile ne peut que s’étonner de l’inexistence de l’opposition aujourd’hui, alors que 46,5% des électeurs avaient voté contre l’actuel président, et que les principaux partis politiques de l’Assemblée nationale s’opposaient au Président élu le même jour que les députés. Cela trahit une lâcheté surprenante et un gâchis incompréhensible, la Constitution et le statut de l’opposition conférant à son chef des privilèges et des protections considérables [4]. L’inexistence aujourd’hui d’une opposition officielle montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de voter les lois et de créer des institutions, mais de les animer de manière à ce qu’elles jouent pleinement leur rôle dans le cadre d’une République forte.
Que pouvons-nous en conclure ? La Transition et toute la souffrance qui en a résulté ont-elles été vaines ? Que le sacrifice de deux jours travaillés (un mardi et un jeudi) est un gaspillage total, voire une farce ? Le discours d’investiture du Président de la République, promettant la mise en place de l’État de droit, donnait-il une promesse vide de contenu réel ? L’attention semble plutôt tournée vers la consolidation du pouvoir du nouveau parti présidentiel HVM, après qu’il ait renié le MAPAR et la famille politique qui a permis son accession au pouvoir. Une consolidation qui pourrait se faire plus facilement s’il y avait une action concrète de mise en place des institutions.
Un exécutif défaillant
Le deuxième pilier de la sortie de crise consiste en la relance économique du pays. Là encore, la lenteur d’actions des nouveaux élus laisse incrédule. Le 25 septembre 2013, le SeFaFi avait publié un questionnaire évoquant dix thèmes à l’attention des candidats à l’élection présidentielle [5]. Sur 41 candidatures, cinq [6] réponses ont été recueillies et publiées. Cette initiative avait pour but d’aider les électeurs à faire un choix sur la base des programmes proposés, indépendamment des personnalités concernées. Nous ne sommes pas naïfs, tant les mauvaises habitudes sont difficiles à changer, mais nous espérions un nouveau départ pour la IVe République, aussi imparfaite soit-elle.
Aujourd’hui, les Malgaches (et les chancelleries) constatent à quel point les élections ont souffert de l’absence de débats d’idée et de choix de programmes. Le document sur la PGE (Politique générale de l’État), concocté à la va-vite et à la légère, a témoigné du manque de sérieux de l’exécutif, seule composante de l’État entièrement installée ! À l’évidence, il est difficile de mettre en place un plan national de développement (PND), dont le contenu reste inconnu du grand public et sans doute aussi de l’ « opposition » - qui pourtant devrait élaborer une politique alternative. Ce PND, qui devrait être l’œuvre du parti majoritaire, aurait dû inspirer la PGE et toutes les politiques et stratégies sectorielles. Or la loi de finances pour 2015, qui doit être présentée au parlement le troisième mardi du mois d’octobre [7], soit le 21 octobre 2014, est la traduction budgétaire de cette politique et de ce plan. Aussi la société civile demande-t-elle la publication du budget de l’État avant ou en même temps que sa transmission au Parlement - ce qui se fait dans toutes les démocraties du monde.
Le renforcement de la double dépendance du Premier Ministre vis-à-vis du Président de la République et vis-à-vis du Parlement constitue une innovation de la IVe République. Le système bicéphale français a été maintenu, selon lequel l’exécutif a deux têtes, le chef de l’État (Président) et le chef du gouvernement (Premier ministre), mais les articles 54 [8], 99 [9] et 103 [10] de la Constitution renforcent la responsabilité du Premier ministre devant l’Assemblée nationale. Le Président donne les grandes orientations et le Premier ministre met en œuvre le programme pour les réaliser, et il revient au Parlement d’approuver, de refuser ou de modifier ce programme, notamment par le vote du budget de l’Etat.
Mais le manque de vision présidentielle est maintenant devenu flagrant ; et comme le chef de gouvernement ne semble pas comprendre son rôle de coordination et d’arbitrage, les ministères agissent en électrons libres, associant des actions ponctuelles à l’élaboration de nouveaux textes de qualité suspecte - à l’instar des lois sur la décentralisation dénoncées par le SeFaFi [11] le mois dernier. Après une Transition qui a été une période d’État de non-droit total, la première action du gouvernement aurait dû consister à faire appliquer les textes tels qu’ils existent ; de ne procéder que dans un deuxième temps à des réformes identifiées dans le cadre du PND, en concertation avec les parties prenantes - dont la société civile ; enfin et surtout, d’en débattre de manière professionnelle au sein du Parlement. De toute manière, ces réformes n’auraient pas dû devancer la finalisation du PND. À l’inverse, il paraît aujourd’hui que le gouvernement ne gouverne pas, que la fin de la Transition ne soit pas évidente, et que les mauvaises pratiques qui se sont instaurées durant cette période continuent à polluer le climat politique et les espoirs de développement économique.
Sortir de l’inaction
Si le SeFaFi dénonce la situation actuelle, ce n’est ni pour s’ériger en opposition de facto ni pour le plaisir de dénoncer le pouvoir. Il s’exprime pour exiger mieux et dénoncer la médiocrité. Ainsi, la mise en place seulement partielle de la HCJ ou de la HCC serait une honte : quel message cette pratique envoie-t-elle à la jeunesse malgache sur le respect strict de la règle de droit ? La conséquence de l’inaction et du manque de courage politique est de donner au peuple malgache, qui ne le mérite pas, une République bancale. Il reste à voir si le PND inclut un calendrier pour la mise en place de toutes les institutions de la République, dont le président de la République est pourtant garant du « fonctionnement régulier et continu » (art. 45) et dont la promesse de mise en place de l’État de droit, qui commence avec le respect de la Constitution, avait été centrale à son discours d’investiture du 25 janvier 2014.
Sur le volet économique, l’action est toute aussi défaillante : le désordre semble régner, laissant paraître une Primature incapable de faire son devoir premier qui est de « conduire la politique générale de l’État » (art. 65). Cette dernière est en effet un document d’apparence électorale, plein de promesses mais sans aucune méthodologie ni calendrier pour la mise en œuvre de ses promesses. Par contre, les ébauches de visions et de programmes d’actions gouvernementales, ainsi que la difficulté avec laquelle le PND semble prendre - ou pas prendre - forme, trahissent un manque de compétences inquiétant. Il est temps que le président de la République décide, et que le Premier ministre et les ministres gouvernent. Et le projet de loi de finances 2015, rendu public au plus vite, devra traduire ces deux grandes priorités en engagements budgétaires. Les citoyens attendent une communication sérieuse et crédible sur la mise en place de la IVe République et sur les politiques de développement orientant les programmes du gouvernement à venir. Ainsi, et à ces conditions seulement, seront honorés les deux jours de commémoration de la Ière République malgache née en 1958, et de la IVe République payée par les sacrifices de la Transition.
Antananarivo, 4 octobre 2014
Vos commentaires
7 octobre 2014 à 13:27 | RAMAHEFARISOA Basile (#6111)
Bientôt le 14 Octobre,anniversaire de la :
« Déclaration de la Première République Malgache ».
Qu’en pensent-ils les spécialistes de SEFAFI :
Faut-il l’honorer ou Pas ???
« TOUJOURS UNE REPUBLIQUE BANCALE ».
Basile RAMAHEFARISOA-1943
b.ramahefarisoa@gmail.com
7 octobre 2014 à 13:58 | Turping (#1235)
Un pouvoir exécutif absent ,pouvoir legislatif fantôme ,...pouvoirs qui se repousent sur aucune base structurelle de fonctionnement !
Les pouvoirs se reposant sur des conflits d’intérêts assoiffés de l’opportunisme ,...de corruption où chacun fait ce qui lui semble bon sans s’occuper des vraies affaires courantes ,les urgences que les malgaches attendent impatiemment ????de l’argent ,l’argent avant même de dresser un vrai programme de PND qui tient la route ?
SEFAFI,FFKM ,FFM ,feuille de route ,....sont des entités qui tirent les sonnettes d’alarme sans être entendus alors que le mutisme ,les dialogues de sourd sont d’actualité.
Le parlement ,comme dans le gouvernement composés par des chasseurs d’intérêts et de conflits personnels ne vont changer rééllement les donnes tant que le pouvoir exécutif controle tout en l’absence des parlementaires qui jouent le vrai rôle de l’opposition.
7 octobre 2014 à 13:59 | Turping (#1235)
....pouvoirs qui se reposent..
7 octobre 2014 à 16:37 | betoko (#413)
Une république bancale et bananière
7 octobre 2014 à 21:23 | jansi (#6474) répond à betoko
Une république bananière et bancale que Mapar continue à soutenir.
C’est Mapar qui est lui même bancal non ?