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lundi 6 octobre 2025
Antananarivo | 14h38
 

Editorial

Robots et fantômes : quand le pouvoir nie jusqu’à l’existence de ses propres citoyens

lundi 6 octobre | Lalatiana Pitchboule |  471 visites  | 6 commentaires 

L’allocution du président malgache de ce début d’après-midi m’a évidemment fait rire… Probablement comme beaucoup à en voir la floraison de caricatures et de mots d’esprit qui lui ont aussitôt répondu sur la toile … même si je gardais de l’inquiétude en arrière pensée des menaces à peine voilées que contenait son discours.

Mais à lire le dernier communiqué du régime, ce qui pourrait être une mauvaise farce cyberpunk (c’est à la mode ici) m’a profondément irrité [1].

La farce cyberpunk qui tourne au tragique

Parce qu’en fait, que sont les contestations sociales ? Ce seraient donc de simples « robots », des « cyberattaques » téléguidées de l’étranger, des « intelligences artificielles » injectées par des puissances obscures (ou maléfiques, au choix). C’est donc tout… sauf la réalité : des jeunes (et des moins jeunes) qui en ont assez des coupures, de la misère, de l’injustice, de la corruption … et dont les vies restent suspendues à l’espérance d’un avenir plus digne. Ceux là n’existent pas… « Vous avez vu des contestataires avec des revendications légitimes ? Moi pas … »

Mais la farce tourne au tragique. Car ce communiqué révèle que ce discours n’est pas une maladresse isolée d’un dirigeant dont on dénonce depuis quinze ans l’hubris. Ce discours est répété, scandé par les membres du gouvernement… Y compris ceux qu’on croyait les plus brillants… Récital de l’absurde, où le délire de toute puissance du chef devient la partition obligatoire d’un orchestre désormais muet.

Le manuel du déni

Et c’est là que l’ironie se change en danger. Car ce qui pouvait passer pour une maladresse isolée devient une véritable méthode, presque un catéchisme. On n’est plus dans l’erreur, mais dans une stratégie, une pédagogie du déni que l’on décline dans le manuel du pouvoir en cinq leçons :

Leçon 1 – Le déni de réalité : rien n’est vrai, sauf le complot. Les coupures d’eau, le prix du riz, les délestages, la misère urbaine ? Balayés : Illusions fabriquées par l’étranger.

Leçon n°2 – La paranoïa sécuritaire : l’ennemi est partout… surtout là où il n’est pas. Chaque jeune manifestant devient un agent infiltré.

Leçon n°3 – La diabolisation des opposants : Ce ne sont pas des citoyens, mais des pantins téléguidés, des marionnettes de forces obscures (maléfiques).

Leçon n°4 La stratégie de diversion : quand la misère hurle, on parle d’algorithmes maléfiques. Les coupures d’eau deviennent un « bug » géopolitique.

Leçon n° 5 – L’alignement obligé : interdiction aux membres du gouvernement de rompre la chorale. Le délire du chef devient la vérité de tous.

Déjà vu ailleurs

Mais on l’a trop souvent vu dérouler ce manuel. Car ce discours n’est pas nouveau. Il porte la marque de régimes fragilisés, qui choisissent la fuite en avant.

Qu’il s’agisse du Zimbabwe de Mugabe, du Cameroun 2019 , de Guinée 2020, de Tunisie 2011, d’Iran, de la Russie, de la Chine, ce sont les mêmes rengaines et les mêmes caricatures … Ce ne sont jamais les décennies d’incompétence, de clientélisme et de corruption que l’on remettra en question pour caractériser les manifestations … On attribuera les troubles à d’obscures manipulations étrangères, à des agitateurs financés de l’extérieur, à des extrémistes manipulés… Ou à des traîtres. « On en a même les preuves … Fournies par nos experts en cybersécurité » « … Preuves que bien sûr personne ne verra jamais.

Toujours le même schéma : externalise la responsabilité, délégitime la contestation, tu justifieras mieux de la répression. Mais derrière cette mécanique répétée se cache quelque d’extrêmement grave : la négation même de l’existence de l’autre.

Nier l’autre pour mieux l’effacer

Ce qui rend la chose insupportable, ce n’est pas seulement l’absurdité du discours. C’est la violence symbolique radicale qu’il contient : nier l’altérité. L’autre n’est plus un citoyen qui souffre, mais un objet manipulé. Il n’a plus de voix, plus de droits, plus de dignité. Il est réduit à une fonction : celle de menace.

Philosophiquement. L’autre n’est plus un visage, mais une ombre. Politiquement, c’est la déshumanisation : on gouverne plus facilement contre des « agents » que contre des voisins. Psychologiquement, c’est un évitement : si l’autre n’existe pas, je n’ai pas à répondre de son malheur.

Et historiquement, c’est la première étape de toutes les violences de masse : avant de frapper, on efface. Avant de tuer, on nie. Dachau et Gaza et d’autres drames sont là pour nous rappeler que « nier l’existence de l’autre, c’est déjà commencer à vouloir le faire disparaître. »

GEN Z, cible et espoir

Cette mécanique n’appartient pas qu’au passé : elle s’actualise sous nos yeux. Et aujourd’hui, c’est notre jeunesse malgache, la GEN Z, qui se retrouve directement visée par cette intimidation de la part du régime.

Ces jeunes qui n’ont pas grandi avec 2009, qui ne portent pas nos vieilles rancunes, mais qui veulent simplement vivre autrement, le pouvoir les traite comme des robots, des avatars, des fantômes. L’intimidation est claire : vous n’êtes rien.

Comment peuvent-ils (doivent-ils) résister à cette négation ?

GEN Z n’a pas besoin de mode d’emploi. Elle sait déjà que pour survivre, il faut raconter sa vérité face aux fables officielles, tenir ensemble quand la peur cherche à isoler, et s’ancrer dans la vie quotidienne des familles et des quartiers pour ne pas rester enfermée dans l’image de « jeunes rebelles ».

Elle a compris aussi que le numérique est à la fois un terrain d’attaque et une arme de défense, qu’il faut manier avec prudence, inventivité et humour. Et surtout, elle sait qu’elle ne doit pas se laisser entraîner dans les pièges de la violence : l’art, le rire, les symboles détournés frappent plus fort que les pierres. Enfin, elle n’est pas seule : la diaspora, les ONG, les regards extérieurs savent reconnaître en elle non pas une marionnette, mais une génération debout.

Elle n’est pas seule. Derrière elle se tiennent les générations qui l’ont précédée, : les baby- boomers, la génération X des désillusions, les Y et les millénials qui ont porté les contradictions d’un monde en crise. A eux d’accompagner, à elle d’inventer.

Et si le régime voit des robots, des algorithmes, des fantômes, c’est peut-être parce qu’il n’ose plus regarder en face les personnes de chair et de sang qu’il a trahies.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) – 03/10/25
Les Chroniques de Ragidro

Notes

[1Pour écrire deux papiers en trois jours, il fallait que je sois fâché

6 commentaires

Vos commentaires

  • 6 octobre à 10:46 | Yet another Rabe (#4812)

    Bonjour Lalatiana,

    Et si le régime voit des robots, des algorithmes, des fantômes, c’est peut-être parce qu’il n’ose plus regarder en face les personnes de chair et de sang qu’il a trahies.

    Patrick, ce n’ est pas peut-être, c’ est CERTAINEMENT, et le déni de l’ altérité, le déni de l’ existence de l’ autre et des opinions de ce dernier, c’est comme vous l’ avez si bien dit :

      • Et historiquement, c’est la première étape de toutes les violences de masse : avant de frapper, on efface. Avant de tuer, on nie. Dachau et Gaza et d’autres drames sont là pour nous rappeler que « nier l’existence de l’autre, c’est déjà commencer à vouloir le faire disparaître.

    Cordialement

    Répondre

  • 6 octobre à 10:48 | umberto (#10893)

    Donc les gens Z ne sont pas le PEUPLE : bizarre !!
    Qui sont-ils ??

    Répondre

    • 6 octobre à 11:57 | bekily (#9403) répond à umberto

      La majorité des GEN Z a un QI nettement supérieur à ceux d’un DJ et d"une marchande de poisson comme. LALATIANA BEMOLOTRA.
      Soit des patriotes face à des gangsters mafieux

      La vie.publique n’est pas faite que de slogans ni de déclarations tonitruantes....armes coutumières en fozaland.

      La GEN Z agit avec son cœur et son.ame pour réparer toutes les meurtrissures causées par ce dirigeant veule , mafieux et corrompu sans aucun scrupule....
      ex PUTSCHISTE DE SURCROIT et parfait magouilleur et manipulatrur.Bien conseille par la francafrique.

      SANS AUCUNE LEGITIMITE RÉPUBLICAINE
      Les canons de la démocratie étant tordus à chaque élection.volée....

  • 6 octobre à 11:24 | Vohitra (#7654)

    Je ne crois plus que ce soit un acte de « déni » ou encore une énième tentative de « désinformations »...

    C’est une volonté claire et nette de s’engager délibérément dans la voie de la « suppression, à la fois du mobile et des porteurs de revendications » !

    Se donner d’arguments fallacieux avant de procéder à l’élimination physique progressive des voies discordantes...

    Bref, jetter à la fois l’eau du bain et le bébé avec...

    Un acte d’un fou furieux et irresponsable, un dangereux meurtrier psychopathe...

    Répondre

  • 6 octobre à 13:25 | citoyendumonde (#4292)

    Ratsiraka voyait les impérialistes partout et le clown actuel une puissance étrangère qui attaque avec le cyber.
    Il faut l’interner pour qu’on le soigne.

    Répondre

  • 6 octobre à 13:36 | Isandra (#7070)

    SELON LES DETRACTEURS GASIGASY, LA ROUMANIE EST DANS LE DENI.

    "La Cour constitutionnelle roumaine, après s’être réunie « pour s’assurer de la validité et de la légalité » du scrutin, a décidé, le 6 décembre 2024, d’annuler le premier tour de l’élection présidentielle. « L’intégralité du processus électoral » devra donc recommencer depuis le début.

    La juridiction a pris cette décision après avoir pris connaissance de notes des services de renseignement. Selon ces documents, Calin Georgescu, le candidat d’extrême droite prorusse, serait au cœur d’une opération d’envergure sur TikTok visant à mettre sa campagne électorale en avant à l’aide de plusieurs influenceurs. Il est arrivé, contre toute attente, en tête du premier tour avec près de 23 % des voix devant la candidate centriste pro-européenne, Elena Lasconi (19 %).

    Critique vis-à-vis de l’OTAN et opposé à l’aide militaire à l’Ukraine, cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans a dénoncé une forme de « coup d’Etat organisé » après l’annonce de l’annulation du scrutin. Calin Georgescu a déposé plusieurs recours en justice, dont l’un auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, et a appelé ses partisans à manifester régulièrement pour contester la décision de la Cour constitutionnelle.

    Selon les services de renseignement roumains, sont en effet arrivés à manipuler les algorithmes de TikTok avec une telle efficacité que les vidéos du candidat qu’ils soutiennent ont réussi, en quelques semaines, à envahir les téléphones des 9 millions d’utilisateurs roumains du réseau chinois, à en faire la neuvième tendance au niveau mondial, et à convertir les dizaines de millions de vues virtuelles en plus de 2 millions de voix bien réelles dans un pays de 19 millions d’habitants.

    Répondre

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