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Paradis fiscaux

Panama Papers et Afrique : Quelles priorités ?

jeudi 21 avril 2016

L’affaire des « Panama papers » révélée par le Consortium International de Journalistes d’Investigation a suscité une indignation immense. En Afrique, de nombreux noms ont été sortis. Le sujet est explosif et nécessite donc une réflexion posée.

On a d’abord crié au scandale sans effectuer la distinction nécessaire et importante entre optimisation et évasion fiscale. La première est parfaitement légale et consiste à adapter au mieux la structure juridique d’un montage pour économiser en impôts. La deuxième est illégale. Ensuite, autre confusion : dénoncer les « riches » qui « planquent leur argent », sans différencier riches entrepreneurs créatifs des riches corrompus accaparant les rentes de leur pays. Bref, la sentence populaire a rapidement tout mis dans le même sac. Une analyse plus objective que celle qui s’étale à longueur d’émissions télévisées et de commentaires s’impose donc. Et, comme bien souvent, c’est le concept d’état de droit qui permettra de faire la part des choses.

En premier lieu, si le monde était un parfait état de droit, les paradis fiscaux seraient sans doute condamnables. Malheureusement, avec moins d’une trentaine de démocraties, et pour une bonne partie tout de même corrompues, le monde est malheureusement très loin d’un état de droit. Dans ce contexte, se pose alors légitimement la question du rôle de « refuge »que jouent ces paradis fiscaux pour la partie des riches et moins riches qui ont mérité leur argent et tenté de le protéger.

Quand la législation fiscale peut changer d’une minute à l’autre ou qu’elle peut ponctionner les revenus à des niveaux parfaitement punitifs, tout cela en fonction des caprices d’un gouvernement peu soucieux de préserver les incitations productives de ses citoyens, sans parler même de préserver un semblant de justice fiscale, effectivement les paradis fiscaux jouent alors le rôle, dans ce contexte précis, de soupape de sécurité. Ils permettent même en réalité que le monde tourne toujours, offrant aux créateurs un asile pour que leurs affaires puissent perdurer. Quand un entrepreneur congolais, russe ou chinois peut se faire confisquer son capital en un clin d’œil, il cherche évidemment à le sauvegarder.

À l’inverse, les paradis fiscaux deviennent problématiques lorsque des personnes en charge ou proche du pouvoir politique sont impliquées dans un détournement pur et simple de ressources nationales. Or, de l’ancien président du Soudan à la sœur du Président Kabila de RDC, en passant par le fils aîné Moubarak, le fils de l’ancien Président Kuofor au Ghana, la veuve de l’ancien président Conté de Guinée, le Ministre du pétrole angolais ou encore le Ministre de l’industrie et des mines algérien, et on en passe, la liste est bien longue des noms cités dans les papiers du Panama. Dans l’hypothèse où ces cas sont effectivement ceux de détournements avérés, le problème ne vient pas des paradis fiscaux mais bien de la corruption politique dans les pays en question.

On pourrait s’attendre à ce que les démocraties invitent ces pays à faire le ménage dans leurs pratiques opaques, avant de critiquer l’opacité des États-paradis fiscaux. Malheureusement les kleptocrates qui s’accaparent les rentes de leur pays sont bien souvent soutenus par les pays dits « démocratiques ». Un autocrate comme Denis Sassou Nguesso est notoirement soutenu par les politiciens français depuis des lustres. C’est même son « ami » Chirac qui l’a remis au pouvoir en 1997... Le type de « rentes » en question est au centre de ces amitiés peu avouables, que cela soit, du côté des démocraties, pour un accès privilégié à certaines ressources ou pour le financement de la vie politique de certaines « démocraties ».

Les nations africaines, où la corruption est notoire, ne sont donc pas les seules à poser problème. En premier lieu, les démocraties doivent se doter d’outils réels de transparence dans leurs relations avec les kleptocrates. Ensuite, même au sein les « démocraties » l’état de droit fait aussi défaut. On se souvient en France par exemple, « démocratie » qui n’est pas avare quand il s’agit de donner des leçons de morale, que le ministre en charge de la fraude fiscale, Jérôme Cahuzac, était lui-même un fraudeur invétéré, et que les Panama Papers citent d’ailleurs son nom. La suspicion à l’égard d’un corps politique qui crée des lois fiscales iniques pour mieux s’en exonérer n’est plus, semble-t-il, limitée aux autocraties.

Venons-en donc, en troisième lieu, à l’état de droiten matière fiscale plus spécifiquement. L’instabilité et l’étouffement fiscal ne sont pas l’apanage des autocraties malheureusement. La notion de paradis fiscal ne se comprend d’ailleurs qu’à l’aune de son contraire : l’enfer fiscal. De ce point de vue, il s’agirait donc de s’indigner en urgence contre l’inquiétante inefficacité de la dépense publique d’une caste décisionnaire publique, qui se traduit en niveaux confiscatoires de pression fiscale dans les démocraties elles-mêmes. Le silence est malheureusement assourdissant : les manifestants prennent la transparence et la redevabilité démocratique, ainsi qu’une gestion saine de l’argent public, pour acquises alors qu’elles sont très loin de l’être. (Dans ce cadre, dire que le déficit budgétaire d’une démocratie serait épongé si ses riches étaient empêchés de placer leur fortune offshore constitue un jugement tout à fait naïf de la part de gens qui sont d’ailleurs bien souvent très heureux de travailler au noir ou d’économiser en taxes.)

Militer pour une transparence des paradis fiscaux, dans l’objectif d’éviter l’amalgame entre l’argent propre et l’argent sale et ainsi lutter contre la corruption et les flux financiers illicites, parait être une bonne chose. Il faut en revanche respecter la fiscalité attractive de ces États, qui permet en réalité de maintenir une concurrence fiscale qui exerce une saine pression sur les États trop budgétivores. Mais il s’agit également et surtout d’exiger parallèlement transparence et redevabilité de la part des dirigeants des autres pays, et ce, même dans les « démocraties ».

Emmanuel Martin, docteur en économie.

Article publié en collaboration avec le projet Libre Afrique

7 commentaires

Vos commentaires

  • 21 avril 2016 à 10:36 | Jipo (#4988)

    • 21 avril 2016 à 13:10 | toky (#8231) répond à Jipo

      La charité bien ordonnée commence par soi-même. Avant d’étaler la liste des toutes les personnes impliquées dans cette histoire, commençons d’abord à s’occuper de notre cas à Madagsacr qui appauvrit le peuple.
      - la somme 110 milliards détournée par Mme Claudine et le nouveau PM ; pire que l’affaire Panama. Car Volam-bahoaka. Mais pourquoi le Bianco, la présidence, surtout le peuple se taisent ? Ils sont tous complices ???
      Mais quand il s’agit de mpangaroposy et compagnie : tout de suite la vindicte populaire. Pourtant le mpangaroposy n’arrive pas à voler plus de 20 millions fmg mais qui oserait balader avec 20 millions ? Tout le monde sait c’est injuste et inadmissible que certaines personnes dépositaire d’autorité publique volent l’argent publique. Si c’e genre de vol était commis durant la première république, elles seraient déjà à Nosy Lava.
      - la somme de 175 milliards transféré illégalement à l’extérieur citée par le journal la Gazette de la grande île ??? pire que l’affaire Panama car c’est l’argent de contribuable non ? C’est pas à Rajao, ni MMe Claudine ni au PM. L’argent du peuple gasy qui est tellement pauvre !
      Réveillons-nous.
      Tsy rariny Tsy rariny !

  • 21 avril 2016 à 10:51 | Turping (#1235)

    Un article très intéressant :
     !
    La kleptocratie est devenue kleptomanie !
    - Oui ,quand on dénonce les pratiques des dirigeants africains y compris Madagascar en fermant les yeux sans analyser la causalité de toutes les décadences ,c’est de la mauvaise foi.
    - Certes ,sans dédouaner l’irresponsabilité de nos dirigeants ,leur gabegie à gérer le problème interne ,il est scandaleux de voir les pays démocratiquement avancés qui soutiennent les voyous à leur connivence ,leurs intérêts car les politicards étrangers sont aussi des voyous.
    - Le fait d’accepter le blanchiment d’argent sale en provenance des pays sous développés qui quémandent des aides détournées ,....alors que le peuple crève est inadmissible .Les prêts octroyés par le FMI ,BM qui ne sont pas des institutions institutionnalisés créent des endettements perpétuels .Le contre exemple du cépamafotisme est là ,car les pays puissants sont aussi responsables du « non avancement » .S’ils collaborent réellement contre ce fléau ,c’est du gagnant-gagnant .

  • 21 avril 2016 à 11:00 | Albatros (#234)

    Je suis assez d’accord avec de nombreux arguments de Mr Emmanuel Martin mais quand il dit :

    « Dans ce contexte, se pose alors légitimement la question du rôle de « refuge »que jouent ces paradis fiscaux pour la partie des riches et moins riches qui ont mérité leur argent et tenté de le protéger. »

    j’aimerai lui rappeler qu’il y a des travailleurs, des ouvriers, des paysans, qui, EUX AUSSI, ont mérité leur argent mais n’ont pas les moyens d’optimiser leurs revenus dans des paradis fiscaux.
    L’impôt « confiscatoire » dont il parle, les petits ne peuvent y échapper.

    Si les revenus, comme les impôts, étaient plus progressifs et avec une échelle de différences moins importante (ne serait ce que de 1 à 100 !) les problèmes d’optimisation et de fraude fiscale se poseraient moins.

  • 21 avril 2016 à 11:22 | Isambilo (#4541)

    Article spécieux dans la droite ligne de l’idéologie néo-libérale dominante actuelle. Les slogans du style impôts confiscatoires, « gouvernement peu soucieux de préserver les incitations productives de ses citoyens », me font rire.
    Un gouvernement est toujours au service du pouvoir qui l’a mis en place. C’est sa fonction première.
    L’auteur passe sous silence le fait qu’une proportion importante de cet argent planqué appartient avant tout à des personnes physiques ou sociétés qui veulent blanchir leurs magots (trafics d’armes, traite de personnes, drogues).
    Quand on gagne de l’argent on doit payer des impôts pour financer les infrastructures qu’on utilise soit même.
    Les paradis fiscaux sont une tare du libéralisme. C’est moralement inacceptable. Et pernicieux pour une économie.

  • 21 avril 2016 à 14:08 | takaka (#8449)

    Saoudi papers and Geneva papers pour dénicher ANR et tous les Foza devenus Langoustes avec le coup d’État et la révolution orange, les trafics douteux, etc.

  • 21 avril 2016 à 19:38 | Vohitra (#7654)

    Pour le cas de Madagascar, il est plus qu’urgent que l’organisation ICIJ continue leur investigation et nous offre un événement du genre « France papers », « Dubai papers », et « Maurice papers ».
    On demande à ICIJ de le faire ne serait-ce que pour sauver un pays dont 92 % de la population sont victimes d’accumulation de biens mal acquis et détournement de bien publics cachés auprès de ces trois pays perpétrés par de nombreux détenteurs d’autorités publiques

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