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Environnement

Nosy be, l’île aux parfums... de pétrole ? (suite et fin)

mardi 18 février 2014 | Lalatiana Pitchboule

(Voir la première partie)

L’incitation et la recherche à outrance d’investissements ne peuvent pas faire bon ménage avec la préservation durable de l’environnement.

Le code pétrolier malgache dit « […] Madagascar se doit de disposer un cadre ou un dispositif légal le plus incitatif possible sans pour autant léser les intérêts supérieurs de la nation, notamment la souveraineté de l’État malgache sur ses ressources naturelles…. » Dans un monde concurrentiel, ils s‘agit de faire venir les investisseurs en masse. Certainement pas de leur imposer trop de contraintes… Que ces contraintes soient environnementales ou pas… Et on y parle plus d’intérêt de souveraineté que de sauvegarde des intérêts des populations et de l’environnement.

Bien évidemment on pourra toujours arguer que ces programmes de prospection et d’exploration font l’objet de la plus grande vigilance (hum !) … Que les contrats précisent des études et programmes d’impact environnemental doivent être soumis à avis de l’ONE (Office National de l’Environnement) pour délivrance d’un permis environnemental…

Il existe bien, produit par l’Office National de l’Environnement, un guide sectoriel pour les EIE (études d’impact environnemental) des projets pétroliers « amont » [1]. Il préconise bien la définition par le promoteur d’une « démarche de planification visant à minimiser les effets environnementaux négatifs dès l’étape de la conception […] devant considérer la protection des zones sensibles et à forte biodiversité, favoriser les impacts socio-economiques positifs auprès des populations riveraines, éviter la perturbation des processus écologiques et éviter la contamination et les conflits d’utilisation des eaux de surface et souterraines … » … en bref, ce genre de dossier relève de la déclaration de bonne intention… Peu de contraintes sur ce qui devraient incomber au pollueur dans le cas d’une pollution.

Mais pas de visibilité sur les indicateurs, les seuils, les exigences, les éléments de mesure, les normes… Et puis « favoriser les impacts socio-économiques directs positifs auprès des populations riveraines » reste une incongruité du sous-développement : on va se satisfaire d’engagement de retombées directes, miettes sociales distribuées par les opérateurs au lieu de laisser l’État assumer son rôle régalien et s’occuper de fiscalité et de redistribution.

Parce qu’on ne peut qu’avoir des doutes sur l’engagement environnemental réel de ces opérateurs, vue l’omerta générale. En cas de dégâts de toutes façons, les assurances et réassurances (qui s’en seront mis plein les poches au passage, devront assumer… au prix de longues, longues, longues procédures judiciaires… ☹

Un arsenal juridique approximatif quand à l’offshore pétrolier malgache.

Parce que, à Madagascar, le droit pétrolier et les contrats proposés aux opérateurs sont bien lacunaires sur le sujet, bien évidemment, l’opacité sur ces dossiers ne nous rassure pas quand au respect des logiques de préservation de l’environnement. Sterling lors d’une réunion devant des opérateurs de Nosy Be tenue le 12 février annonçait avoir confié l’Etude d’Impact Environnemental à Artelia, pour une présentation de l’étude en Mars/Avril à l’Office National de l’Environnement (ONE). Il faut préciser qu’à l’actif de Sogreah du groupe Artelia, il y a les études d’environnement de Bemolanga et Tsimiroro. Que ceux qui en sont satisfaits se lèvent [2].

Et quand, dans le contrat modèle offshore passé entre l’OMNIS et un opérateur, on lit « au cas où une où une partie du périmètre est située dans une zone de réserves naturelles, l’Opérateur fournira tous ses efforts pour minimiser les impacts négatifs sur ces réserves naturelles … », on croit rêver : « roooo … vous avez vu que vous êtes borderline là par rapport à la réserve marine ? … ah… vous nous garantissez que les éventuelles marées noires s’arrêteront juste à la limite de la réserve et des zones d’essaime… » … wep… Dans un autre temps, on a voulu nous faire croire que le nuage radio actif de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière française. « ah… c’est passé de l’autre coté ? Mais vous avez fait tous les efforts, alors on va vous pardonner…. C’était quoi d’ailleurs la limite du « minimiser » ? »

Moi qui croyais que l’instauration d’une réserve marine, mieux d’un Parc Naturel National Marin, bénéficierait d’une zone d’exclusion de toutes activités polluantes, ou de prélèvement halieutique… Non… chez nous, on définit le parc pour préserver l’intégrité du site, sa biodiversité, la limpidité de ses eaux et on vend un permis de prospection pétrolière sur le territoire juste voisin…

Il ne s’agit pas de sombrer dans le catastrophisme, l’obsession du complot, le rejet angélique de toute source de revenus miniers et pétroliers sous prétexte de la défense du risque zéro. Il ne s’agit pas plus de tomber dans l’écologisme primaire. Mais face aux potentiels de nuisance du matériau fossile en question, qu’il s’agisse des sables de Bemolanga, des huiles de Tsimiroro ou du pétrole de Juan de Nova Belo profond (celui là est malgache), il reste une question fondamentale : sommes nous bien prêts à prendre en compte le problème dans sa complexité profonde ?

Il s’agit de se préoccuper de cohérence. Le hiatus entre les deux informations (développement du Tourisme VS développement de l’exploitation du pétrole) est inquiétant en terme de gouvernance, de cohérence de l’action politique, de vision moyen long terme qui ramène au premier plan une interrogation en suspens : quelle politique environnementale, quelle vision mettre en œuvre, quelles priorités établir, quels principes poser pour que le développement de l’exploitation de ces ressources en général et OffShore puisse garantir, entre autres, la sauvegarde durable de nos ressources, la préservation de l’intérêt de nos populations… ?

Il ne faut en effet pas oublier que les intérêts sont énormes et que l’engagement des opérateurs pétroliers et gaziers sur l’offshore est désormais « total », sur cette zone, comme sur d’autres. La part de l’offshore est de 25% de la production mondiale pour le pétrole et 30% pour le gaz. En 2016, 30% de la production offshore sera assurée par des puits en profond et très profond (de 500 à 1500 m de profondeurs d’eau). Et l’essentiel du développement des 1 300 puits sous-marins programmés entre 2011 et 2015 est envisagé sur les trois régions Afrique, Brésil et Golfe du Mexique.

C’est dans cette logique que le chairman de Sterling annonçait, en Juillet 2013, l’octroi par le gouvernement malgache de la prolongation de ses licences d’exploration. Cela laisse à Sterling le temps de forer en 2015 un puits d’exploration sur le champ « SIFAKA » et ses 1,2 milliards de barils d’ores et déjà précisément identifiés.

Qui peut croire que ces potentiels feront véritablement cas de contingences environnementales.

En Conclusion

Mais ces logiques, ces enjeux et ces préoccupations ne doivent pas s’attacher au seul domaine du pétrole OffShore. Dans l’ensemble, il s’agit de fixer globalement les lignes directrices du développement de Madagascar en termes d’exploitation de nos ressources.

Au-delà des enjeux de « simple » gouvernance et de lutte contre la corruption, quels doivent être nos choix ? Les capacités de gabegie prouvées jusque là par nos dirigeants successifs, le manque de vision, la pratique du court terme illustrée par ce hiatus « Incitation Tourisme contre Incitation Pétrole » ne doivent elles pas nous inquiéter ?

La définition de ce cadre est urgente. Et ce d’autant qu’il ne faut pas escompter d’un droit international balbutiant qu’il puisse régler à travers des textes tels que la convention d’Abidjan les problèmes de la responsabilité, de l’évaluation et de l’indemnisation des dommages et de règlement des différends en la matière.

Déjà qu’on aurait tout à craindre de cette fameuse « malédiction du pétrole » (cf Économie et pétrole… il y a manne et manne…) qui risquerait d’appauvrir encore plus le pays faute d’une gestion responsable de cette ressource pétrolière et de ses revenus… Sans une vision réelle, sans une politique fixée sur des exigences et des moyens en terme de développement durable et de préservation de l’environnement, on se rend compte qu’on court à la catastrophe plus vite qu’on ne le croit.

Mais, surtout… il est urgent de réaliser que les seuls Investissements Directs Etrangers IDE ne sauraient satisfaire au développement. Sans l’élaboration d’une véritable stratégie nationale de développement, pris isolément, on ne peut pas faire de l’incitatif à outrance : les IDE ne peuvent constituer une fin en soi. Ils doivent s’inscrire dans une vision de l’économie nationale.

Quelle est la vision que vont nous proposer nos dirigeants de demain ?

Il faut seulement espérer qu’elle sera digne, vigilante et responsable.

Mais il nous incombe à nous, individuellement, de nous en assurer.

Bien à vous tous.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule)
Février 2014

Notes

[1« guide sectoriel pour la réalisation d’un étude d’impact environnemental des projets d’opérations pétrolières « amont » » http://www.pnae.mg/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=2&Itemid=2

[2Sur les seules annonces officielles de Madagascar Oil (certainement et naturellement revus sur des scénarios optimistes : 300 barils d’eau pour produire 253 barils de pétrole, contredits par les estimations de l’Alliance Voahary Gasy), les objectifs de production de 10 000 barils/jours exigeraient la consommation quotidienne de 1850 m3 d’eau. Quand on sait que dans le grand Sud, le seau de 20 litres d’eau décantée est vendu 100 ariary...

7 commentaires

Vos commentaires

  • 18 février 2014 à 12:01 | kotofetsy (#4583)

    Très bonne qualité de l’article et de ce réveil citoyen.
    Conclusion de l’éditorial à transmettre rapidement au PRM car il est maintenant le premier responsable de tous les affaires « sensibles » du pays.
    Gardons en tête que nous avons et auront toujours le dernier mot dans les négociations car le pétrole est à nous -dans un système parfait où corruption et lobbyings n’existent pas, où n’ont pas d’effets significatifs sur la prise de décision -, donc rien ne sert à se précipiter.

    Rien à rajouter. Bonne journée à tous.

  • 18 février 2014 à 12:41 | leclercq (#4410)

    Bonjour
    NOSY-BE , l’île aux diverses parfums , vanille sent bon et peut être aujourd’hui pétrole avec tout ce qui en découle !!!les deux senteurs risquent fort d’être nauséabondes !!!

  • 18 février 2014 à 14:57 | Tsisdinika (#3548)

    Je reconfirme mon impression d’hier sur le parti pris trop évident de l’édito pour un moratoire voire une interdiction de l’exploration pétrolière et son corolaire, l’exploitation des ressources identifiées.

    Je réaffirme également que le tourisme n’est une alternative ni suffisante ni préférable en raison de son empreinte écologique qui est plus grande dans le temps et dans l’espace. L’épouvantail de la marée noire ou la malédiction des ressources sont des risques autrement plus gérables qu’une industrie aussi aléatoire et saisonnière que le tourisme.

    Enfin, LA solution extrême, la préservation pure et dure, est tout simplement irréalisable et irréaliste. Veuillez vous référer aux programmes de « Biodiversity Offsets » qui sont des exemples de coopération et d’entente entre conservation et exploitation. Conservation International et Ambatovy ont par exemple coopéré sur un tel programme.

    Pour finir, je ne peux m’empêcher de remarquer que lalatiana appuie particulièrement sur l’expression « à outrance ». Je ne sais si c’est une séquelle traumatique de la 2éme république (surtout si on ajoute « tous azimuts ») ou une volonté délibérée de présenter l’industrie extractive comme quelque chose qui rappelle vaguement ce qu’on abhorre tous dans le tourisme : le tourisme de masse. Il faut savoir que l’industrie pétrolière et minière est un cercle hautement compétitif et sélectif où les amateurs et les aventuriers n’ont pas leur place, ou du moins pas pour bien longtemps. Je vous rassure tout de suite : la vision d’une forêt de derricks et de plate-formes pétrolières bouchant l’horizon à Nosy-be n’est possible que dans un film de science-fiction. Mais si jamais cela se réalise, je suis prêt à manger mon chapeau.

    • 18 février 2014 à 15:35 | Isambilo (#4541) répond à Tsisdinika

      C’est vrai que quelques mots rappellent le passé peu glorieux de nos petits bourgeois des années 70-80. Mais je suis d’accord avec le contenu du texte.
      L’avantage avec le tourisme est qu’on peut l’arrêter à tout moment, tandis que quand un puits flambe, il faut quelques mois de pollution avant de pouvoir l’arrêter.
      Mais c’est surtout sur notre capacité à faire respecter les règles que nous édictons que j’ai des doutes. Déjà si ces règles sont vagues comme le souligne l’auteur...

  • 18 février 2014 à 21:02 | Rakotoasitera Fidy (#2760)

    Voilà les enjeux majeurs , extremement délicats à ’manipuler’

    C’est le noeud gordien de toute l’affaire de cette ex transition

    Nous avons des experts en la matière (pètrole)

    Esperons qu’ils seront nommés aux postes décisionnels

    Et j’insiste , car quelque soit le cadre et le dispositif mis en place : ce seront toujours des hommes et des femmes qui auront la conception et la réalisation

    Si nous ratons , encore , ce rendez vous, Madagasikara risque de glisser définitivement vers des schémas du style africain , des affrontements
    sanglants

    Juste un rappel

    L’Asie consomme deux fois et demi que le reste du monde en énergie

    Les liaisons aeriennes entre La Chine et le reste du monde ont été multipliées par CINQ depuis 2013

    Madagasikara est LE SEUL pays à posséder un produit énérgétique RECHERCHE par les cies aeriennes

    Ce produit (pratiquement pur à 98°/°) diminuerait les couts d’exploitation
    d’une cie comme Air-France de 43°/°

    Vous voyez donc qu’il n’y a pas photos

    Et LES AUTRES n’auront aucun etat d’ame à nous ECRASER

    • 19 février 2014 à 12:26 | bbernard (#6880) répond à Rakotoasitera Fidy

      Je pense qu’il serait malsain et irresponsable de rejeter la prospection pétrolière, puis l’exploitation. Par contre, l’Etat malgache, au travers de ses divers organismes, doit élaborer des contrats très précis concernant le type de prospection et d’exploitation, les mesures de protection environnementales, les mesures de protection des populations, les mesures à prendre en cas d’accident, et surtout les montants des taxes et royalties qui seront versées à l’Etat. Les compagnies pétrolières font beaucoup de promesses mais n’en tiennent pas souvent. La seule chose qui les intéresse, c’est le profit maximum. Qu’elles ne viennent pas pleurnicher que la recherche coûte très cher ! Il suffit de regarder leurs bilans financiers et les sommes versées aux actionnaires chaque année pour voir qu’elles vivent grassement sur le dos des pays où elles exploitent (dans tous les sens du terme) les ressources naturelles. Madagascar dispose de réserves importantes d’un pétrole de qualité (quoi qu’elles essaient de faire croire). Madagascar a donc une carte à jouer pour son développement. Mais il serait bon aussi que des politiciens et techniciens indépendants s’associent pour créer un mouvement de veille sur la corruption.

  • 20 février 2014 à 11:42 | varatraza (#6860)

    Merci pour cet excellent article, qui met en lumière les carences du système face aux mastodontes miniers.

    Pour avoir moi-même travaillé dans le secteur minier dans le nord de Madagascar, je peux vous dire que les dossiers à monter pour obtenir un permis d’exploitation sont une montagne de paperasse qui accouche d’une souris... Oui, il y a des normes environnementales trés strictes et une phraséologie complexe sur le papier, mais quasiment rien de quantifiable, de controlable et finalement de controlé.

    En tout cas c’était le cas à la fin des années 1990 ou j’ai assisté à des mascarades de réunions ubuesque entre « opérateurs miniers » qui mentaient éffrontément et une administration corrompue et laxiste (ou dans le meilleur des cas sans moyens de controle) qui ne se préoccupait que de ce qui serait écrit dans les journaux, avec un repésentant du WWF écoeuré et impuissant devant l’hypocrisie générale et les discours creux...

    Si Madagascar devient comme l’Angola, et ben on est pas sorti de l’auberge !!!
    (A moins de travailler pour une compagnie pétrolière, ou de leur louer des locaux ou des services)

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