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Editorial

No we can’t

jeudi 8 novembre 2012 | Ndimby A.

Je suis un peu étonné et amusé de la vague obamaniaque qui a animé la blogosphère malagasy depuis quelques jours, et encore plus depuis l’annonce de la victoire de Barack Obama. Comment s’expliquer cet engouement de la part de Malgaches non-résidents aux États-Unis, et encore moins électeurs dans ce pays ?

On a vu des Malgaches de Dago demander à des Malgaches séjournant aux États-Unis (ou y ayant déjà été) de voter ou de s’engager pour lui. On a lu des facebookers avec des statuts aux couleurs américaines et écrire Vote Obama. Et depuis 24 heures, on a vu des posts s’extasiant, jubilant, s’enthousiasmant pour cette victoire. Surfant sur cette dynamique, l’ambassade américaine à Madagascar s’est même fendue du post suivant sur Facebook : « YES WE CAN...AGAIN - Inona no tianao ho ataon’i Filoha Barack Obama mandritra ny taom-piasany manaraka izao ? ». En tant que Malgache et ne résidant pas en territoire américain, j’ai presque envie de répondre : He won, and so what ? (il a gagné, et alors ?)

Photo : with-eyes-closed on flickrLa grille de lecture immédiate de cette obamania couleur tropicale peut être liée à la crise malgache, et à son traitement par les grandes puissances. Le comportement de la France sous l’ère Sarkozy a été compris par beaucoup de Malgaches comme étant un soutien sournois à Andry Rajoelina, tandis que celui de l’administration Obama a été ressenti comme une opposition franche au leader du coup d’État de 2009, et par une extension un peu réductrice, comme un soutien à Marc Ravalomanana. À partir de diverses règles qui veulent que les ennemis de nos ennemis deviennent nos amis, et que celui qui n’est pas avec soi est contre soi, les opposants à Rajoelina ont donc manifesté leur satisfaction de la défaite de Sarkozy, et par la suite de la victoire d’Obama [1]. Quant aux hâtifs et leurs griots , ils font grise mine, après avoir secrètement espéré la victoire de Romney.

Au cours de la crise malgache, on reconnaîtra sans marchander que parmi les Grandes puissances, les États-Unis ont été les seuls à avoir un comportement cohérent, constant et en définitive méritant vis-à-vis des principes de la démocratie, même si on peut par ailleurs se demander si son comportement vis-à-vis des principes du développement social est tout aussi méritoire. La suspension de l’AGOA a entraîné la faillite de plusieurs entreprises et jeté des milliers de Malgaches dans le chômage. Toutefois, il faut également que les auteurs du coup d’État admettent leurs responsabilités : on ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre, et espérer garder l’aide et les facilités offertes par les États-Unis (ou l’Union européenne) tout en ne respectant pas les règles de gouvernance et de démocratie qui étaient pourtant claires et annoncées d’avance.

L’utilisation par les putschistes militaro-civils d’arguments appelant à considérer la population victime des sanctions est donc non seulement infantile, mais surtout stupide. Car sans leur coup d’État, il n’y aurait pas eu sanctions contre Madagascar. Toutefois, on soulignera également que les intérêts géopolitiques des États-Unis à Madagascar ne sont pas ceux de la France, ce qui permet aux États-Unis de rester fermes sur des principes démocratiques vertueux (qu’ils peuvent oublier un peu en Afghanistan, en Irak ou en Syrie), tandis que l’Hexagone est obligé d’être plus conciliant avec ceux qui sont au pouvoir à Madagascar, y compris même si cela signifie devoir s’abaisser à fricoter avec le diable.

On notera également que la diplomatie culturelle américaine a été très efficace pour préparer les esprits à cette élection américaine de 2012, et a mis à profit le talent de tous ceux qui ont été choisis un jour ou l’autre pour bénéficier de voyages d’études ou de bourses aux États-Unis. Ce sont ces Malgaches qui ont maintenu l’attention à Madagascar sur les élections américaines, et qui ont contribué à en faire un événement majeur au sens médiatique du terme pour des Malgaches qui se trouvent à des dizaines de milliers de kilomètres des États-Unis. Il n’y a qu’à étudier le comportement sur Facebook de certains de ceux qui ont bénéficié à un moment ou à un autre d’invitations à découvrir les États-Unis pour constater combien le valim-babena a fonctionné.

La véritable question qui se pose est de se demander si cette obamania de certains malgaches peut être rationnellement sous-tendue par un espoir ou une conviction que la réélection de Barak Obama va changer quelque chose pour Madagascar ou la vie des Malgaches. À part le cas précis des entreprises et des ouvriers des entreprises franches qui espèrent la reprise de l’accès à l’AGOA, je ne vois pas trop ce que cela va changer. Mais tous les démocrates anti-coup d’État par principe (comme votre serviteur) se réjouiront légitimement de la victoire de quelqu’un qui a eu le courage de traiter les putschistes comme ils le méritaient.

On terminera en enfonçant une porte ouverte depuis longtemps. La surexposition de l’élection présidentielle américaine 2012 dans les médias malgaches (y compris sur les médias sociaux) ne peut que nous rendre envieux de cette démocratie américaine. Une démocratie qui se joue sur le terrain et qui se gagne par les urnes ; qui se bâtit sur des principes de débat, d’idées et d’arguments ; qui nécessite un cursus politique affirmé avant d’oser se présenter devant les urnes ; et qui fait que la qualité de l’organisation des élections et surtout la règle de droit font que le résultat est accepté par tous.

Les États-Unis ne sont pas un pays où le moindre bonimenteur de place publique peut obtenir le pouvoir en dehors de toutes règles constitutionnelles ; où il suffit d’arroser de billets quelques bidasses pour provoquer une mutinerie bien utile ; où n’importe qui et n’importe quoi peut arriver dans les institutions au pouvoir ; et où ceux qui ne trouvent pas les résultats électoraux à leur avantage se précipitent pour monter des KMSB (Komity miaro ny safidim-bahoaka), espèces de comités pour enclencher grèves, contestation et revendications. Les Américains peuvent donc se réjouir de vivre une démocratie, contrairement aux Malgaches qui, faute de grives parmi les politiciens, doivent se contenter de ... merles. Unfortunately, no, we can’t.

Notes

[1Il faut cependant reconnaître que le comportement de beaucoup de Malgaches à l’égard de la France dénote une certaine schizophrénie chronique. D’un côté, certains vitupèrent contre l’ingérence politique (réelle ou supposée) de l’ancienne puissance coloniale ; contre le comportement arrogant de certains français à Madagascar ; contre les tracasseries des services du consulat français dans la délivrance des visas ; contre la prépondérance de l’utilisation de la langue française dans la communication entre Malgaches (ou dans l’éducation). Mais de l’autre côté, ce sont pratiquement les mêmes qui exhibent fièrement leur carton d’invitation pour le 14 juillet à Ivandry ; qui espèrent être décorés de la Légion d’honneur française (si ce n’est déjà fait) ; qui se suent aux quatre veines pour envoyer leurs enfants étudier en France, après les avoir mis au Lycée français ou dans les établissements homologués par l’éducation nationale française ; et qui s’enorgueillissent de leurs diplômes français. Je ne parle même pas de ceux qui veulent s’expatrier en France, ou qui l’on fait, ou de ceux qui rêvent d’acquérir la nationalité française, ou qui l’ont obtenue, et qui continuent à adopter un comportement anti-France tout en s’abreuvant goulûment aux mamelles de la Sécurité sociale française. Et je n’aborderai même pas, pour éviter de choquer les âmes sensibles, la fierté de ceux pour qui le nahazaka vazaha en est une.

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