
Dans le hall du tribunal d’Anosy, fini le temps où tout un troupeau accompagne la ou les personnes déférées au parquet. Sur le chemin qui y mène, des agents portant des badges occupent l’entrée. La consigne est stricte : “ne laisser passer personne autre que les concernés, ni photographier les lieux sans autorisation spéciale du procureur.” Pourtant, sous l’abri des feuillages des arbustes du parvis du tribunal d’Anosy, une conversation entre un père de famille et une jeune femme dans la quarantaine s’engage de la façon la plus anodine du monde. Ils jouissent du bouclier humain d’une foule réunie providentiellement autour d’eux. Pour la somme de 100 000 Ar, Vony, une rabatteuse ou intermédiaire (mpanera) convainc alors son client. Elle lui dit qu’avec cet argent, son dossier sera définitivement classé. Cela éviterait au client la prison ou de s’acquitter des dommages-intérêts. Et pour se montrer persuasive, la rabatteuse affirme que sa soeur travaille au parquet. Méfiant, l’homme ne se laisse pas tomber dans le piège. Or, l’on raconte que “cette rabatteuse réussit souvent sa mission, au grand malheur de quelques avocats surtout, qui voient leur affaire phagocytée par le phénomène.”
Mpanera
Un journaliste qui a eu le malheur de prendre en photo les agents en train de contrôler l’identité des individus a eu maille à partier avec la justice. Le reporter a été prié de s’expliquer devant le procureur. A première vue, plus aucun moyen de s’infiltrer en catimini au parquet. De plus, l’autre issue où le public avait auparavant l’habitude de circuler en toute liberté est entièrement bouclée. L’objectif est clair. La nouvelle organisation vise à isoler les intermédiaires ou mpanera considérés comme un fléau par les commis de l’Etat. Et pour cause ! Nous nous déplaçons quelques mètres plus loin.
Passoire
Mais il y a pire. L’exemple de la confection du casier judiciaire témoigne qu’en dépit des apparences, le système est une véritable passoire. Dans une autre aile du grand bâtiment, des citoyens endurent souvent un soleil de plomb dans une longue file d’attente avant qu’un agent leur annonce qu’ils doivent revenir le lendemain pour se procurer cette pièce administrative. Or, dans le temps réglementaire, il faut encore attendre une semaine avant d’espérer avoir son casier entre les mains. Inutile de parler de la perte de temps et des inconvénients que cela suppose, surtout lorsqu’on est particulièrement pressé.
Gagne-pain
Là aussi, les rabatteurs entrent en action. Bizarrement, leur mission semble être de faciliter ces tracasseries administratives. Dans un angle du hall, juste à proximité de l’accueil, une intense activité au noir se déroule. Trois ou quatre compères, tous des non-fonctionnaires, proposent leurs services à des clients pressés. Pour la somme de 4000 Ar, ils peuvent se procurer un casier judiciaire. Et cela en l’espace seulement d’une journée. Vous leur donnez une photocopie de votre CIN ou une copie d’un formulaire à remplir. Tout le monde est content car qui espère mieux ? Mais l’on raconte que cela se passe souvent au nez et à la barbe des agents de la plus haute institution anti-corruption du pays (?). Ces exemples montrent que plus l’on instaure une nouvelle organisation visant à éradiquer les rabatteurs et la corruption, plus ils fleurissent. “Toucher au gagne-pain du petit peuple, c’est comme lui déclarer la guerre. Et dans ce cas, malheur à ceux qui se montrent les plus intègres ou plus royalistes que le roi car ventre affamé n’a point d’oreille pour écouter les menaces et les intimidations” , lance un observateur à qui nous avions demandé ses impressions concernant cette triste réalité.