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Journal de droit

Le dernier rempart de la démocratie

jeudi 7 juillet 2016 | Loïc H. Kwan

Panique au sujet de l’adoption éventuelle du Code de la communication par l’Assemblée Nationale. La démocratie malgache déjà bien fragile se meurt. Une seule personne pourra la sauver des griffes parlementaires maintenant… un survivant… un dernier espoir : la HCC.

Que fait le Président de la HCC à côté d’Harry Potter, Luke Skywalker, et Jon Snow ? Et bien à part prouver que je suis un gros geek, il y a un côté humoristique issu de l’improbabilité d’une telle réunion dans l’image. Et je suis toujours prompt à un peu d’humour. Mais je tenais également à mettre en exergue de manière dramatique leur point commun qui est leur rôle dans la défense de leur univers respectif. Entre Harry Potter, dernier rempart contre Voldemort dans son monde de sorcier, Luke Skywalker dernier rempart contre l’Empereur dans sa galaxie très très lointaine, et Jon Snow, dernier rempart contre les whitewalkers à Westeros, se tient enfin Jean-Éric Rakotoarisoa, dernier rempart contre le législatif et l’exécutif réuni dans notre petit Madagascar à nous.

Je veux bien sur parler de la lutte contre la promulgation du Code de la communication.

Depuis quelques semaines, les mondes journalistique et facebookien [1] malgaches s’embrasent au sujet de l’adoption probable du nouveau Code de la communication. L’Express de Madagascar a consacré une page entière à retranscrire les articles les plus liberticides du Code et force est de constater que les législateurs n’y sont pas allés de main morte avec le dos de la petite cuillère. Le Code protège ouvertement les dirigeants politiques [2] et sanctionne sans trop se gêner les facebookiens [3]. J’aurais apprécié disposer du projet de texte afin de pouvoir écrire dessus, mais les journalistes ayant très bien fait leur lobbying, tout a déjà été dit par tout le monde.

Il semblerait cependant que malgré toute l’indignation qu’il suscite, le projet de texte poursuit son bonhomme de chemin et, déposé aujourd’hui devant l’Assemblée nationale, est très proche de l’adoption. Catastrophe ! On prophétise la mort de la déjà faible démocratie malgache et l’Express de Madagascar s’est carrément mis aux couleurs du deuil [4] ! Assiste-t-on ainsi la fin de la démocratie malgache avec la venue du Code de la communication tel que les USA assistent à la fin de la leur avec la venue de Trump ?

Eh bien non. Car heureusement, nous avons des garde-fous posés par la Constitution quant à la confection des lois afin d’éviter les abus des législateurs trop imaginatifs. Voyez plutôt.

Maman ? Comment qu’on fait des lois ?

1 – Le projet d’avoir un bébé-loi

Tout d’abord, est créé un projet de texte législatif qui, conformément aux dispositions de l’article 86 de la Constitution, est à l’initiative du Premier ministre, des députés ou des sénateurs. Chacune de ces 3 institutions peut décider de travailler sur la règlementation d’une matière. Lorsque le projet est initié par le gouvernement, il s’agit d’un « projet de loi ». Lorsque le projet est initié par un parlementaire, il s’agit d’une « proposition de loi ». La distinction est importante, car chacun, par leur nature, va être soumis à une procédure qui lui est propre. Le « projet de loi », initiative gouvernementale doit être délibéré en Conseil des ministres avant d’être déposé dans l’une des deux chambres parlementaires ; la « proposition de loi », initiative parlementaire, doit être portée à la connaissance du gouvernement qui va formuler ses observations.

2 – Les galipettes législatives !

Une fois le projet de texte rédigé dans sa généralité, il est déposé devant le Sénat ou l’AN, ce qui sonnera, conformément à l’article 96 de la Constitution, le début de la « navette parlementaire ». Comme son nom l’indique, le projet de texte va faire le va-et-vient entre le Sénat et l’AN afin que chacun puisse le juger et apporter les modifications opportunes jusqu’à ce qu’ils soient d’accord sur un texte unique. Le projet du Code de la communication se trouve actuellement à cette étape. Il a été adopté par le Sénat et requiert maintenant l’adoption de l’AN pour la poursuite de la procédure.

3 – L’accouchement présidentiel sous surveillance juridictionnelle

Après l’adoption d’un texte commun par les deux chambres parlementaires, la loi adoptée va être transmise à la Présidence qui va enclencher la procédure de promulgation. L’article 59 de la Constitution dispose que :

« Le Président de la République promulgue les lois dans les 3 semaines qui suivent la transmission pour l’Assemblée nationale de la loi définitivement adoptée. Avant l’expiration de ce délai, le Président de la République peut demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ces articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. »

Toutefois, au cours de ces 3 semaines, entre en jeu la HCC. L’article 117 de la Constitution dispose que :
« Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution.
Une disposition jugée inconstitutionnelle ne peut être promulguée. Dans ce cas, le Président de la République peut décider, soit de promulguer les autres dispositions de la loi ou de l’ordonnance, soit de soumettre l’ensemble du texte à une nouvelle délibération du Parlement ou du Conseil des ministres selon le cas, soit de ne pas procéder à la promulgation.
Dans les cas prévus ci-dessus, la saisine de la Haute Cour constitutionnelle suspend le délai de promulgation des lois.
 »

Ainsi, ce n’est qu’après un contrôle positif de constitutionnalité que le Président est autorisé à promulguer la loi. Elles auront alors « force exécutoire » : elles doivent être exécutées. Mais ce n’est pas tout à fait fini.

4 – Le faire-part de naissance

La promulgation atteste de l’existence de la loi et de la régularité de la procédure législative. Il détermine également le moment où l’exécutif travaille à faire exécuter cette loi. Cependant, à ce moment précis, aucun citoyen n’est encore au courant de l’existence de cette nouvelle loi [5]. Or, il faut que les citoyens aient la possibilité de connaître leurs nouveaux droits et obligations. Ainsi, il faut encore attendre une dernière étape avant que la loi ne soit définitivement entrée en vigueur : sa publication au « journal officiel ». Ce n’est qu’après cette publication, lorsque tout le monde peut accéder au contenu de la loi, que l’adage juridique « Nul n’est censé ignorer la loi » peut s’appliquer.

Le pouvoir présidentiel d’enquiquiner

Si vous m’avez bien suivi, le Président de la République dispose d’une possibilité constitutionnelle de contrecarrer le texte définitivement adopté par le Parlement.

Article 59 de la Constitution :
« Avant l’expiration [du délai de Promulgation], le Président de la République peut demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ces articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. »

La Constitution est claire : le Prezy le peut. Mais le fera-t-il ? Je ne suppose rien de sa volonté ou pas de voir le Code promulgué en l’état. Peut être se dressera-t-il héroïquement contre l’AN et son propre gouvernement dans une annonce sensationnelle, mais j’en doute. Ce pouvoir est méconnu du grand public, car il est peu utilisé et à juste titre. C’est un pouvoir important à l’encontre du Parlement. Une utilisation parcimonieuse de cette prérogative peut assurer au Président un contrôle en dernier recours des lois qu’il jugerait trop farfelues, mais une utilisation répétée de celle-ci entraîne nécessairement un déséquilibre des pouvoirs. En conséquence, rares sont les recours à cette disposition. Les présidents de la 5ème République française ne l’ont utilisé que 3 fois : en 1983, 1985 et en février 2003 [6].

N’y plaçons donc pas trop d’espoir, mais n’oublions pas non plus qu’elle existe et qu’il est toujours possible de faire un Sit-in [7] sur la pelouse de Iavoloha jusqu’à ce que le Prezy craque et l’applique.

Le pouvoir juridictionnel d’enquiquiner

Article 117 de la Constitution :
« Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. Une disposition jugée inconstitutionnelle ne peut être promulguée. »

La voilà notre vrai dernier espoir ! Le dernier rempart de la démocratie ! La HCC !

En dépit de l’exceptionnelle médiatisation de celle-ci, la situation n’est pas nouvelle : le parlement adopte de temps à autre des lois… pas très légitimes. Après tout, ce qui est légitime pour certains ne l’est pas forcément pour d’autres. Lorsqu’un député estime – et adopte une loi dans ce sens – qu’il est légitimé de recevoir un 4*4 pour assurer son mandat électoral, il se peut que des gens du sud jugent plus légitime d’utiliser ce budget afin de ne pas mourir de faim. Qui a raison ? Qui a tort ? C’est vrai qu’un 4*4 c’est joli.

Il apparaît alors nécessaire qu’une tierce personne puisse décider de ce qui est légitime ou pas au regard de la volonté générale. Volonté générale qui est formulée dans le contrat social qui est la Constitution. Entre en jeu la HCC qui est spécifiquement mandatée par le peuple malgache afin de préserver scrupuleusement cette volonté. Celle-ci va effectuer un contrôle de constitutionnalité des textes à caractère législatifs [8] que lui soumet le Président afin de s’assurer que la volonté du peuple malgache retranscrite dans la Constitution est respectée.

Et si mon ancien professeur de droit constitutionnel n’a pas perdu son temps dans mon enseignement, il me semble qu’un certain nombre de dispositions ne passerait pas ce contrôle. Voici quelques exemples d’interdits du Code qui posent de sérieux problèmes de constitutionnalité :

ARTICLE 15 – Emploi de tout appareil photographique, d’enregistrement en cours de procès

Éventuellement une atteinte à la liberté de presse [9] alors qu’il n’y a aucune contrepartie justifiant cette interdiction. Par exemple, cela pose le problème de retranscription des procès alors que la présence d’un magnétophone ne change pourtant rien à la présomption d’innocence.

ARTICLE 19 – Publication non autorisée des débats à huis clos, des rapports ou tout autre document tenus ou établis au sein des institutions de la République pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale dont l’appréciation relève des juridictions.

Très manifestement une atteinte à la liberté de communication, de presse et d’information. Le Code de la communication sanctionne les publications pouvant [10] – idée de susceptibilité, même pas de probabilité – compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale, alors que la Constitution exige que les libertés de communication, de presse et d’information ne puissent être limités, entre autres, que par l’impératif de sauvegarde [11] – idée de nécessité absolue – de l’ordre public et de la sécurité de l’État. Les mots sont ici importants, car le Code étend une exception que la Constitution limite fortement.

Et ne parlons pas de la partie « dont l’appréciation relève des juridictions » qui indique qu’il y aura des poursuites à tout bout de champ

ARTICLE 20 – Atteinte à la vie privée et divulgation de l’intimité de la vie privée d’autrui, même lorsqu’il assume des fonctions ou un rôle politique par la captation, l’enregistrement, la conservation, la transmission ou la publication, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées, des images, des photos ou des vidéos à titre privé ou confidentiel ;

Vraisemblablement une atteinte à la liberté de communication, de presse et d’information. Il y a nécessairement un droit à la vie privée auquel tout le monde, même les politiciens peuvent prétendre. Toutefois, le mandat politique étant un mandat public, tout politicien devient un personnage public qui doit rendre compte de l’exécution de sa mission à ses électeurs. Il a le droit de préserver ce qui relève réellement de sa vie privée, mais est soumis à un devoir de transparence sur ce qui relève de sa mission de service public, même si elle concerne en partie sa vie privée, que cela ait été dit ou fait en public ou dans la confidentialité. Or, la disposition du Code de la communication lui donnera une occasion de se venger des personnes qui auraient rapporté au public de manière objective et neutre – hors diffamation donc – ses abus.

Pression sur la HCC !

Je ne pense pas qu’il ait grand-chose à attendre de l’AN à ce sujet. Ils ont un intérêt certain, avec le Sénat, à adopter le texte. Le Prézy pourrait éventuellement se servir de son super pouvoir constitutionnel, mais il n’a aucune raison de le faire à part augmenter très légèrement sa cote de popularité auprès des journalistes.

En conséquence, il n’y a à attendre de réaction digne d’intérêt que de la part de la HCC. Voici pourquoi : tout d’abord, il y a un travail juridique et intellectuel atypique et enthousiasmant à vérifier ; après tout, ce projet de Code de la communication a pris, dit-on, une quinzaine d’années avant de donner quelque chose de consistant et, semblerait-il, est une œuvre originale, entièrement libre d’inspiration [12] française. Ensuite, le fait qu’il s’agisse, pour une fois, d’un évènement hyper médiatisé sans fond de crise politique, mais purement juridique n’est pas pour déplaire. Enfin, c’est une occasion parfaite pour la HCC de se positionner au-dessus de la masse politique, d’affirmer son indépendance, sa compétence et son autorité. Pour peu qu’elle aille dans le sens de la liberté et du droit, elle a tout à gagner. Fort heureusement, la HCC de Rakotoarisoa, dans les décisions que j’ai pu étudier en tout cas, semble aller dans ce sens, même si elle prenait parfois des raccourcis.

L’auteur Loïc H. Kwan est juriste et fondateur du site Lexxika

Article en collaboration avec le journal de droit www.lexxika.com

Notes

[1Très vraisemblablement nourri par les articles journalistiques

[2Article 20 : Atteinte à la vie privée « même lorsqu’il assure des fonctions ou un rôle politique »

[3Atteintes à la vie privée par la diffusion de la toile

[4joli coup marketing en passant

[5en théorie

[7sitting ?

[8lois et ordonnances

[9article 10 et 11 de la Constitution

[10article 19

[11Article 10 de la Constitution

[12par inspiration, je veux parler du copier-coller

9 commentaires

Vos commentaires

  • 7 juillet 2016 à 12:15 | Isambilo (#4541)

    Très bien. C’est la forme.
    Tout autre est la réalité dans un pays où la démocratie, dans sa conception européenne, n’est qu’un décor.

    • 9 juillet 2016 à 09:24 | Bernard (#2019) répond à Isambilo

      Ca sera de plus en plus normal, l’ Europe cède doucement la place à la Chine. Mais n’est-ce pas le choix de l’ élite malagasy ?
      Madagascar avait trois choix :
      Le pragmatisme anglo-saxon.
      Le réalisme chinois.
      L’ humanisme européen.
      Avec chaque choix, en correspond un autre celui de la démocratie qui va avec.
      Bonne journée.

  • 7 juillet 2016 à 12:22 | Gérard (#7761)

    voilà un article aussi drôle que pédagogique !

    les galipettes législatives, sont tout particulièrement réjouissantes

    contrairement à l’auteur il me semble que si les députés veulent, pour un fois montrer qu’ils peuvent être utiles à autre chose que trafiquer du rongony , des devises, ou des tortues, ils pourraient en trouver ici l’occasion

  • 7 juillet 2016 à 12:34 | Ibalitakely (#9342)

    Claire, nette, précise & presque complète votre exposé même pour un public non juriste sauf que ce mouvement actuel de journalistes & de miara-manonja en fin de compte est-il donc favorable à la liberté facebookienne càd pouvoir dire n’importe quoi sur n’importe qui & n’importe comment, même sans preuve valable, sur des réseaux sociaux ? N’y aura t-il pas de « au dessus de la loi » donc ?

  • 7 juillet 2016 à 12:41 | Ibalitakely (#9342)

    Claire, nette, précise & presque complète votre tentative d’exposé même pour un public non juriste sauf que ce mouvement actuel de journalistes & de miara-manonja en fin de compte est-il donc favorable à la liberté facebookienne [article 20] càd pouvoir dire n’importe quoi sur n’importe qui & n’importe comment, même sans preuve valable, sur des réseaux sociaux ? N’y aura t-il pas de « au dessus de la loi » donc ?

    • 7 juillet 2016 à 12:51 | Ibalitakely (#9342) répond à Ibalitakely

      Car dans notre code pénal, à juste titre que l’insulte ou toute forme de violence morale verbale, la diffamation publique est punissable.

  • 7 juillet 2016 à 12:50 | Vohitra (#7654)

    La HCC pourrait bien intervenir en recommandant aux acteurs institutionnels de s’engager dans un « pacte de solidarité » avec les médias, pour se conformer avec ce qu’elle a déjà fait auparavant avec le fameux « pacte de stabilité » pour sauver le régime après le vote de la motion de déchéance par l’Assemblée Nationale.

    il est déjà loin le temps où JER s’était posé en fervent défenseur de la démocratie et de l’état de droit parmi ses collègues au sein de la SEFAFI, le pacte des mallettes ayant eu le temps de faire ses oeuvres

  • 8 juillet 2016 à 10:05 | sanois (#8546)

    un malgache intelligent devrait emigrer

  • 8 juillet 2016 à 13:10 | takaka (#8449)

    Étrange !
    Ce juriste aurait du mettre en évidence les aspects dualistes des textes malgaches selon leurs niveaux, des décrets qui abrogent des lois, etc.
    Et il serait préférable de parler de stabilité politique dans ce contexte.
    Et il faut savoir que des journaleux font partie de leur clan. Quid des désinformations ?
    Et ce sont toujours ces journalistes qui ne veulent pas divulguer leurs sources alors qu’ils incriminent le secret des instructions judiciaires.
    Étrange !

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