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Reportage

Ilakaka

Exploitation du saphir : le début de la fin (4/4)

vendredi 22 juin 2007 | R. L.

Evidemment, la ville champignon d’Ilakaka n’aurait jamais atteint son envergure actuelle sans la présence des asiatiques spécialisés dans l’achat (au rabais) des pierres précieuses. Ainsi la présence d’une grosse communauté d’origine étrangère constitue le moteur financier d’Ilakaka. On trouve à Ilakaka un fort regroupement de sri lankais et de thaïlandais.

Les thaïlandais travaillent dans le cadre d’une structure organisée. Ils sont généralement soit salariés de sociétés bien établies à Bangkok soit travaillent à leur compte mais sont généralement mandatés par d’autres sociétés. Ils sont de ce fait assez respectueux de la loi. Ils ne prennent aucun risque financier. Ils achètent en fonction d’un bon de commande émanant de leur mandataire à Bangkok. Ils connaissent leur prix de vente. Le prix d’achat est fixé localement par la concurrence. Quand il y a beaucoup d’acheteurs, les prix montent sur Ilakaka. Les marges qu’ils prennent restent cependant raisonnables et tournent entre 10 et 30% par rapport au prix de vente en brut sur Bangkok. Le marché est très segmenté. Un thaïlandais se spécialisera sur une gamme de produits (Rose, fancy ou bleu, ….). Un shop regroupera 3 ou 4 thaïlandais qui achèteront chacun un produit différent. A moins d’un retournement dramatique du marché sur Bangkok, ils ne peuvent pas perdre d’argent. A la limite ils peuvent perdre leur temps.

Des sri lankais sans vergogne

Les sri lankais sont généralement à leur compte. Ils sont plus à la recherche des grosses pierres que des petites. Il y a les grosses sociétés telles que World Gems, Zam Saphir, Ramzi Gems ou la Terrasse. Ensuite il y a les autres sri lankais, les tout petits dont on ne connaît même pas le nom et qui essayent d’exister par tous les moyens. Ils sont là pour faire un coup. Ils attendent toute la journée l’arrivée d’un mineur trop naïf qui va leur apporter. La pierre qui changera définitivement leur statut. Ce petit sri lankais veut être calife et il est prêt à tout.

Là, l’image du vazaha prend une sévère déculottée. Ce petit sri lankais vient pour trois mois avec généralement un visa touristique. Généralement, il a très peu de moyens. En attendant la bonne fortune, il essaye de subsister comme il peut. Il mange chez les uns et dort chez les autres. Il constitue la proie idéale et facile pour tous les fonctionnaires grands et petits qui veulent arrondir leur fin de mois. Quand la police de l’immigration de Fianarantsoa ou d’Antananarivo fait une descente de contrôle sur Ilakaka, le petit sri lankais est du pain béni. Lors de ces fameuses descentes qui durent parfois plus d’une semaine, on assiste souvent le soir à un défilé de sri lankais à l’hôtel Friends, devenu quartier général de la police de l’immigration. D’âpres négociations ont lieu en cet amical établissement. On finit toujours par s’entendre. Il y a généralement beaucoup d’appelés mais très peu d’expulsés.

Un « namana » corrupteur

Les thaïlandais, par contre, sont généralement en règle quant à leur visa. Les gros sri lankais, dans le cas improbable où ils ne seraient pas en règle, sont protégés en haut lieu donc intouchables. Le petit sri lankais avec son visa touristique est forcément dans la clandestinité et aura donc besoin de mécanisme de protection. Par l’intermédiaire d’une compagne malgache ou d’un salarié lui aussi malgache officiant sous le titre pompeux de « body guard », il nouera délibérément des relations utiles avec un gendarme ou un policier. A leur insu ils deviennent des comparses qui, passivement ou activement, alertent du danger. Notre petit sri lankais dès son arrivée à Ivato veut être l’ami de tout le monde. D’ailleurs son premier mot à l’égard des douaniers et la police des frontières sera « namana », mon ami. Même s’il n’a rien à se reprocher, il essayera de corrompre car il sait que son fonds de commerce dépendra des relations de connivence qu’il saura nouer utilement partout où il va. Il dénature toutes les relations sociales qui sont fondées sur la défiance et la dissimulation. Son maître mot est « corruption ».

Le petit sri lankais sert de rabatteur pour les gros sri lankais et les thaïlandais. Depuis 2 ou trois ans, il a pris la place du démarcheur malgache mettant ce dernier hors circuit.

L’insécurité a toujours été une donnée inhérente à la vie d’Ilakaka. Elle atteint, régulièrement, un pic avant les fêtes de l’indépendance et de noël. Cependant avec la baisse de la production et un recentrage des activités de négoce vers les petits sri lankais, des milliers de jeunes démarcheurs malgaches ayant perdu leur source de revenu se retrouvent aux abois. Face aux comportements ostentatoires de certains sri lankais, attitude apparemment indispensable à l’exercice du métier de négociant, des sentiments d’envie et d’injustice peuvent servir d’autojustification au fait de se servir directement chez le voisin.

Une sécurité sélective

La demande de sécurité a toujours été très forte de la part des opérateurs du secteur minier. Cela explique sans doute la présence de plus d’une cinquantaine de gendarmes et de militaires en « détachement » des compagnies d’Ihosy ou de Sakaraha. Si le militaire se loue à 150.000 Ar par mois, le gendarme est un peu plus cher (Ils sont bien sûrs nourris et logés). Cela n’inclut évidemment pas la part des supérieurs hiérarchiques d’un montant d’un minimum de 200.000 Ar par militaire ou par gendarme. Etre commandant de compagnie à Ihosy ou Sakaraha est un poste très envié. Tous les gros sri lankais ont chez eux au moins un militaire ou un gendarme. La présence d’un élément des forces de l’ordre chez soi est effectivement dissuasive. Les thaïlandais et les petits commerçants malgaches sont les cibles privilégiées des agressions. Le 29 mai 2007, un thaïlandais s’est fait agresser et blesser grièvement chez lui en pleine nuit. Evidemment, dans un tel cas d’agression, la réaction des forces de l’ordre est toujours tardive. Trouver les malfaiteurs relève du miracle. Aujourd’hui le message que veulent faire passer les agresseurs et les forces de l’ordre pourrait se décoder de la manière suivante ; pour ne pas se faire agresser il est indispensable d’avoir un militaire ou un gendarme chez soi. La multiplication des actes d’agression ces derniers mois a rendu la demande de sécurité beaucoup plus pressante. Encore plus grave, l’insécurité déborde du cadre des sites d’exploitation du saphir. Le parc national de l’isalo qui ne se trouve qu’à 25 km d’Ilakaka, constitue aujourd’hui une extension naturelle des zones d’activité des bandits. Avec ses 33.000 visiteurs en 2005, l’Isalo est le parc qui attire le plus de touristes à Madagascar. Il est bien sûr moins risqué de s’attaquer à des touristes sans armes qu’à des sri lankais ou à des thaïlandais au fait des risques de la vie à Ilakaka. On peut donc penser aujourd’hui sans vouloir jouer au Cassandre, qu’une explosion de la délinquance sur Ilakaka fragiliserait l’essor de l’activité touristique du pays.

Complicité des forces de l’ordre

Ilakaka, avec son potentiel minier quasi-unique devrait s’inscrire dans une logique de développement durable pour le pays. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, l’incertitude demeure concernant la rentabilité des exploitations mécanisées. Les mineurs commencent à considérer ce travail comme une activité de subsistance. Durant ces huit années d’exploitation anarchique, l’activité a été livrée à elle-même, le pouvoir a déserté. Ni Andranodambo, Vatomandry, Andilamena ou Ambodronife du côté de Diégo, sites d’exploitation aujourd’hui presque abandonnés, n’ont permis de dégager de modèle de développement intégrant des principes et des objectifs viables en termes de redistribution des ressources, de contribution aux dépenses communes, de respect de l’environnement et des valeurs traditionnelles. Aucun de ces sites n’ont permis de densifier le tissu économique que ce soit au niveau de la région ou encore moins au niveau national. Ilakaka est aujourd’hui comme une immense verrue au milieu de la figure malgache. L’agression dans l’Isalo des 16 touristes leaders français à 200 mètres de la RN7 au mois de mai dernier met en lumière au premier plan de l’actualité nationale une réalité difficile à cacher. Ilakaka, aujourd’hui, est le royaume de la corruption. Les forces de l’ordre participent activement à installer le désordre. Il y a trois mois, des malfrats poursuivis par des policiers de Ranohira ont failli s’échapper avec la complicité active de gendarmes qui ont tenté de les convoyer dans un taxi-brousse de location hors de la ville en forçant un barrage de policiers. Et que dire du gendarme qui exécuta sur une place d’un marché de village, un pauvre hère suspecté de vol et dénoncé par un passant. Le supposé malfaiteur sera enfoui dans un trou de mineurs sans autre forme de procès. Sa seule faute aura été soit d’être au mauvais endroit au mauvais moment ou effectivement d’être un bandit qui n’a pas su nouer les bonnes relations avec les bonnes personnes. L’impunité et le laxisme face à de tels actes ne peuvent que les banaliser. Les comportements ostentatoires des malfrats ne peuvent qu’inciter une certaine frange de jeunes sans repères à l’imitation, le plus gros risque restant le débordement de l’insécurité sur un secteur touristique en pleine vitalité. Cependant, les solutions ne sont pas vraiment compliquées à mettre en œuvre. Dans la région, les malfaiteurs sont identifiés pour la plupart. Il suffirait juste d’arrêter la partie de Colin Maillard.

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