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Tribune libre

Réguler le financement politique

jeudi 9 juillet 2009

Par Rija Rakotonirina

A Madagascar, la question du financement politique est cruciale. En effet, malgré la grande précarité qui sévit, les campagnes électorales se chiffrent en millions de dollars. Des coûts faramineux qui s’expliquent par des pratiques inacceptables, tel l’achat des voix. Les candidats qui remportent les élections sont généralement ceux qui ont les moyens de distribuer des produits de première nécessité (riz, huile, savon..) à des milliers de personnes et qui monopolisent l’espace médiatique.

D’après La Gazette de la Grande Ile, dans son édition du 3 juillet 2009, Roland Ratsiraka, neveu de l’ancien président Didier Ratsiraka, a reconnu avoir utilisé ces moyens, notamment au cours des présidentielles de 2006. Interviewé par RFI, le 25 juin 2009, Andry Rajoelina, Président de la Haute Autorité de Transition (HAT), a déclaré qu’il se donne pour mission de mettre en place un système électoral libre et transparent [1].

Comment est-il possible de garantir un tel système ? En tout premier lieu, le régime de financement politique doit être fondé sur quatre piliers fondamentaux :
- La transparence à l’égard des citoyens
- La professionnalisation de l’équipe de campagne et des permanents des partis politiques, et plus particulièrement dans la tenue des comptes de campagne
- La mise en place d’un système administratif pragmatique
- L’exécution de sanctions exemplaires et efficaces, en cas de non-respect des règles

Ces quatre piliers sont indispensables à la régulation des financements politiques. Les problèmes bureaucratiques doivent être évités ou minimisés par la création d’une administration spécifique, qui se présenterait sous les traits d’une Commission Electorale Indépendante. Les sanctions se doivent, quant à elles, d’être véritablement et suffisamment dissuasives. Enfin, un standard professionnel du système des comptes de campagne faciliterait un audit externe, bien que la mise en place et la tenue de ces comptes soient à la discrétion complète des candidats et des partis politiques.

1. Pré-requis de base pour un contrôle public

En 2001, Marc Ravalomanana se faisait le chantre d’une refonte totale du code électoral. Mais, une fois installé au pouvoir, malgré les recommandations des autres forces politiques et plus encore de la société civile, son gouvernement a maintenu la loi électorale qui lui permettait de dominer toutes les élections, à n’importe quel échelon, national ou local, tant elle favorisait le parti au pouvoir.

Pour mettre un terme à ces dérives, un système de régulation de la société, que l’on désigne généralement par l’expression « rule of law » (le gouvernement du droit, le règne de la loi), s’avère indispensable. La plupart des démocraties ont attendu qu’un scandale éclate pour mettre en vigueur des règles de financements politiques. Telle doit être, sans plus attendre, la priorité de la HAT.

a) Un Etat de droit

Il est troublant de constater que depuis 1972, toutes les crises qui ont frappé Madagascar ont engendré des mouvements de contestation qui invitaient le peuple à enfreindre les règles. La crise actuelle, marquée notamment par une querelle sans fin entre les partisans de la légalité (il faut respecter la légalité de l’élection de l’ancien président) et ceux de la légitimité (il faut prendre en compte l’aspiration au changement du vahoaka, c’est-à-dire le peuple), montre à quel point, Madagascar doit installer au plus vite un Etat de droit.

Et combien de fois, les gouvernements ne se sont-ils pas réfugiés derrière la loi pour mener une politique d’oppression et de répression qui ne dit pas son nom ? Qu’est-ce qu’une légalité qui bafoue les libertés fondamentales et les principes mêmes de la justice, sinon l’instrument du despotisme ou de la tyrannie ? Et qu’est-ce qu’une légitimité faisant appel à la liberté sans aucune barrière institutionnelle, sinon de l’anarchie ?

Au sein des démocraties bien établies, l’Etat de droit est considéré comme un postulat. Nous en sommes encore loin à Madagascar. Je souhaite vivement que les différentes assises, régionales et nationales, aboutissent à l’émergence d’une démocratie mature, solide et apaisée. De nouvelles institutions doivent être clairement définies, reconnues et respectées. Le développement de notre pays en dépend.

L’Etat de droit est un pré-requis incontournable. De même que le respect des libertés fondamentales, à l’image des pays de longue tradition démocratique. Outre la liberté d’expression et d’information, la presse doit se libérer de certains financements, afin de participer à l’essor d’un débat public sain et constructif.

b) Une volonté politique

Historiquement, dans la plupart des pays de longue tradition démocratique, la question du financement politique ne s’est pas posée, étant donné que les partis politiques sont considérés comme une expression de la liberté d’association. C’est la raison pour laquelle, en France, les partis politiques sont reconnus par la Constitution de 1958. Cependant, les règles concernant leur financement se sont avérés nécessaires et ont été édictées, trente ans plus tard, en 1988.

De même, en Allemagne, il a fallu attendre 1967, soit 18 ans après la création de la République Fédérale d’Allemagne. Quant aux Etats-Unis, le scandale du Watergate a obligé le Congrès à voter une législation : le « Federal Election Campaign Act » (FECA), en 1974. Celle-ci impose une tenue et une publication des comptes de campagne, un plafond de financement [2] , des subventions publiques et une agence indépendante de contrôle des élections.

Dans le monde politique, les bonnes intentions côtoient les intérêts personnels. Ainsi, l’institution des règles du financement politique et leur mise en application a besoin, a priori, d’une véritable volonté politique. Il est temps, et même urgent de garantir une réelle transparence. Après les taux d’abstention très élevés lors des dernières élections législatives et régionales à Madagascar, le peuple doit être rassuré sur le système, afin de retrouver l’envie et l’intérêt de voter.

En ce sens, je me réjouis de l’implication toujours plus importante de la société civile, au travers d’organisations comme le Sefafi (Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena ; Observatoire de la vie publique), le CNOE (Comité National d’Observation des Elections), ou plus récemment encore, le CCOC (Collectif des Citoyens et des Organisations Citoyennes).

c) Financement public

Bien que les finances de l’Etat malgache ne permettent pas actuellement une allocation importante, une légère participation publique pourrait contribuer à un renforcement des contrôles concernant les flux monétaires au sein des différents partis politiques. Une telle participation réduirait également les éventuelles contributions en provenance de l’étranger et permettrait une plus grande transparence concernant l’origine des fonds de campagne.

2. Les moyens permettant la régulation du financement politique

a) Nommer un responsable des fonds de campagne

Sans responsable, pas de sanctions possibles. Le modèle anglo-saxon a délégué à une agence le soin de nommer un responsable de toutes les opérations financières, pour le compte d’un candidat. Au Canada chaque parti politique doit avoir un « Chief Agent », chaque candidat un « Official Agent », et chaque entité, autre qu’un parti politique et qui participe à une élection (association, groupe de pression…) un « Financial Agent ». Ces trois personnes doivent fournir un bilan annuel et un rapport consécutif à chaque élection.

En France, on a adopté un système similaire : tout financement d’un candidat ou d’un parti politique doit se faire via un mandataire qui peut être un individu ou une association de financement. Et les comptes publiés par le mandataire ou l’association de financement doivent être certifiés par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques - CNCCFP), de sorte que ces financements soient fiscalement déductibles. Chaque parti politique et chaque candidat ne peut avoir qu’un seul mandataire.

A noter en outre qu’il est possible d’avoir des Comités locaux de soutien, dont les dons récoltés ne sont pas comptés dans le total des financements du parti ou du candidat. Au Japon, la prolifération de ces Comités locaux de soutien semblent poser un problème (kôenkai). D’autres pays comme l’Allemagne ont opté pour la solution qui rend le trésorier fédéral du parti, responsable des comptes et de leur publication de toutes les branches du parti (au niveau national, régional, ou local).

b) La tenue et la publication des comptes

Les restrictions sur les différentes donations sont fréquentes mais ne semblent pas efficace dans les pays de longue tradition démocratique. Pour contourner les règles, les partis politiques ont créé de multiples organisations dont les contributions sont d’un montant relativement faible. Néanmoins, la tenue des comptes et leur publication sont les fondements de base d’une politique qui assure la transparence des financements politiques, et permettant par la même, aux électeurs, d’être bien informés.

L’objectif de transparence revêt plusieurs aspects. Il est impératif que le public puisse avoir à disposition un relevé des revenus et des dépenses, dont la publication doit être régulière et fréquente. La provenance des dons importants aux partis politiques ou aux candidats doit être clairement identifiée en publiant les noms des donateurs, individuels ou institutionnels et le montant correspondant.

De plus, il est nécessaire d’instituer un montant plancher à partir duquel des règles précises de publication doivent être instaurées. Actuellement, aucune règle n’existe à Madagascar et le Sefafi n’a eu de cesse d’interpeller les principaux candidats à l’occasion des différentes élections qui se sont tenues depuis 2001.

Enfin, le temps pendant lequel l’information sur les donateurs est publiée est aussi très important. En Allemagne, les informations sur les dons de plus de 51 000 $ sont publiées pendant une période de trois mois.

Bien évidemment, la mise en place d’un système transparent a un coût (charges administratives liées à la tenue professionnelle des comptes ; dépenses des agences publiques en charge des élections et de la vérification du respect du processus électoral,… etc.). Par conséquent, le niveau de contrôle doit être suffisamment élevé pour rassurer les citoyens et protéger la démocratie, tout en étant raisonnable pour ne pas devenir une dérive économique en soi.

Par ailleurs, le rôle de l’Etat est de protéger sans pour autant décourager. Les anciens pays communistes illustrent très bien la contre-productivité d’un contrôle excessif. Les donateurs qui financent les partis d’opposition n’ont pas envie d’avoir maille à partir avec le Gouvernement ou les Services Secrets. De toute évidence, l’application sélective de la loi provoque la suspicion quant à l’impartialité d’une loi sur les financements politiques.

Le délicat processus de démocratisation exige par conséquent de protéger la vie privée des citoyens militants ou donateurs, et par-dessus tout, d’écarter toute possibilité de menace et de harcèlement de la part du Gouvernement.

c) Une Commission Electorale Indépendante

Une fois que nous avons mis en évidence l’importance d’une régulation stricte dotée d’un système de sanction efficace et efficient, il s’avère nécessaire de prévoir les moyens adéquats de sa mise en œuvre. Il semble qu’il y ait actuellement un consensus sur la nécessité de mettre en place une Commission Electorale Indépendante, dotée de moyens suffisants pour jouer le rôle de superviseur et de contrôleur du processus électoral. Celle-ci remplacerait alors le Conseil National Electoral (CNE), qui était totalement contrôlé par le pouvoir exécutif sous la présidence de Marc Ravalomanana.

Notes

[1Interview d’Andry Rajoelina sur RFI, 25 juin 2009 (Ecoutez).

[2En 1976, un arrêt de la Cour Suprême a atténué le plafonnement des dépenses, au motif que la dépense à des fins politiques est un corollaire de la liberté d’expression, un droit garanti par la Constitution fédérale.

5 commentaires

Vos commentaires

  • 9 juillet 2009 à 06:52 | rakoto09 (#1735)

    L’article de Rija RAKOTONIRINA démontre et nous montre que Madagascar est encore très loin des uses et coutumes politiques pratiqués dans les grands pays démocratiques. C’est à nous, avec toute l’énergie qu’il faut, d’avancer en faisant de l’autodérision.

    • 9 juillet 2009 à 10:36 | Madagascan (#1869) répond à rakoto09

      Cet article illustre magnifiquement un thème que j’ai plusieurs fois développé sur d’autres supports (ai-je le droit de citer madanight ?).
      Je suis tout à fait pour des lois électorales qui instituent une professionnalisation des partis et une transparence des financements.

      J’aimerai que ces lois électorales incorporent un volet « légal », qui contraigne les partis à respecter la légalité. Si un parti appelle à la désobéisance institutionnelle, son financement est coupé, voire interdiction du parti.
      J’aimerai également un volet « politique », qui impose le dépot d’une profession de foi des candidats, et d’un programme économique, politique, et social. Ceci afin de forcer les partis à se positionner politiquement.

      Le grand problème de cette hypothétique loi électorale, c’est la confiance que l’on peut porter dans l’Etat et la capacité de l’Etat à agir objectivement, et non pas en faveur (ou en défaveur) d’un parti/un candidat.

    • 9 juillet 2009 à 14:52 | lalatiana (#1016) répond à Madagascan

      Complètement d’accord avec vous sur la nécessité d’une loi électorale qui fixe de manière équitable à la fois le financement, l’éventuelle (nécessaire ?) part publique des financements, la transparence de ces financements et la responsabilisation (professionalisation) des partis ...

      Quant à la nécessité de la mise en place d’une Commission Electorale ...??? Nous faut il vraiment une juridiction supplémentaire (syndrome de l’usine à gaz) ... Cette compétence ne doit elle pas revenir à une VERITABLE Cour Constitutionnelle à la COMPETENCE et à l’INDEPENDANCE avérées, garante définitivement de la règle de droit, de sa conformité et de son respect ?

      On a déja du mal à garantir l’indépendance de la juridiction suprême, alors même qu’on a besoin de références stables ... Alors en créer de nouvelles ??? ... C’est juste une question pour le débat ...

      Bien à vous ...

      ps : On n’y coupera pas de toutes façons quant une VRAIE assistance internationale pour la bonne réalisation des prochaines élections (et sur un bon moment pour essayer de rétablir la confiance mutuelle) : observateurs internationaux sur la campagne, sur les financements, sur le déroulement et le dépouillement ...

  • 9 juillet 2009 à 16:02 | da fily (#2745)

    Cela nous paraît naturel, je suis de cet avis. Si le système actuel de financement a démontré ses errements et ses lacunes, combien de pays on mis en place des lois sur le financement des partis politiques ? Cela ne se voit que dans les « grandes » démocraties car non seulement les sommes en jeu atteignent des sommets astronomiques, mais la concurrence entre les candidats est féroce. Donc il faut reguler tout cela, et le moyen ad hoc est légiférer.

    Mais nous ne sommes pas encore une « grande » démocratie, il m’en coûte de l’admettre. Pour légiférer, il faut une justice majuscule, garante des lois et de ses applications. Avons-nous seulement aujourd’hui l’outil adéquat quant à notre justice ? Peut-on, même sommairement,compter sur sa fiabilité ?

    Il est à craindre que non, nous sommes coutumier du bricolage législatif. On a,l’impression que l’accession à la fonction suprême, autorise le gagnant à tripoter impunément la loi.

    Cela doit déja être dénoncé et interdit.
    L’impartialité de notre justice a toujours été mise en doute, il y beaucoup de raisons à celà. C’est la condition prioritaire avant tout chantier, il est impératif de remettre sur les rails de la droiture notre système judiciaire.Il bannir à jamais
    toute les interférence avec la politique, et espérer que la justice ne soit plus inféodée au pouvoir en place.

    On peut rêver : le « mahitahita » et le « maizimaizina » sont encrés dans la mentalité du malagasy moderne, ces « réflexes » orchestrent son quotidien, ils lui donnent l’impression qu’il maîtrise la situation dans laquelle il baigne jusqu’au cou.
    Toutes les couches sont atteinte du syndrome, BIANCO efficace ou non, il aura freiné ou plutôt refreiné ce reflexe de la corruption facile que l’on a acquis à Mada.

    Je suis enclin à prioriser ce volet ainsi que celui juridico-législatif, le reste qu’il nous tarde à apprivoiser viendra comme une étape acceptable pour tous. Il en va de la survie de ce pays qui est presque aux abois, quoiqu’en disent les farouches défenseurs du changement à n’importe quel prix !

    • 9 juillet 2009 à 18:14 | Rabila (#1379) répond à da fily

      Certes il faut que les choix des citoyens soient éclairés par des campagnes électorales. La société doit prendre en charge une grosse partie de cette dépense. La logistique démocratique releve de la responsabilité de la société. Le pays étant pauvre ne peut pas se permettre une gabegie. L’aide sera à la hauteur de ses moyens. Je suis aussi d’accord sur les préalables évoquées par l’auteur du papier.

      Je reviens donc au financement du quotidien des partis politiques et indirectement des politiciens. Il est de notorité publique que les postes au gouvernement à part ceux des ministres sont tres mal remunérés. Les collaborateurs directs du ministres gagnent l’équivalent de 120 euros par mois. Le dircab ou le SG. C’est vrai qu’ils ont les avantages de voiture de fonction. Je ne sais pas les indemnités d’un député ou d’un sénateur mais je ne pense pas que ce soit une somme mirobolante. La classe politique, à l’image du pays, ne nage pas dans l’or.

      D’ou les tentations de tout genre et l’inconstance et la sincérité de leur engagement. Ce n’est pas par hasard que l’opposition est réduite à chaque fois au nivau de la representation nationale à portion congrue. Etre politicien de l’opposition c’est être économiquent pauvre.

      Par conséquent, la politique n’attire pas les meilleurs fils ou filles de la nation. C’est un métier difficile et c’est toujours ingrat.

      En France, on a conçu des politiciens professionnels par l’intermédaire de la formation des hauts fonctionnaires qui peuvent cumuler leur travail avec leur activité politique. Ils sont ensuite complétés par les professions libérales, le pourcentage des avocats et de medecins dans la classe politique est sans rapport avec le nombre dans la population.

      A M/car les hauts fonctionnaires, les focntions libérales ne sont pas assez nombreux pour mailler le territoire. Classe priviligée dans un pays pauvre, elle ne s’embarasse pas à faire de la politique, surtout de l’opposition.

      La démocratie a besoin des partis politiques. Les partis politiques ont besoin de beaucoup de gens de talent. Les gens de talent ne veulent pas se sacrifier leur vie pour quatre sous.

      C’est une autre facette du financement des partis politiques.

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