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Plaidoyer pour un renouveau de la Commission de l’océan Indien

vendredi 24 février 2017

À la veille du prochain et très important Conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien (COI) programmé le 1er mars 2017 à Saint-Denis de La Réunion, des observations critiques sur une institution trentenaire s’imposent ainsi que des suggestions pour la rendre plus dynamique. Les voici.

I.- Les observations critiques

Certes, la COI a connu une évolution qui lui a permis d’acquérir une réelle maturité. Après une longue période de tâtonnement, elle est entrée en 2012 dans une phase de consolidation sous l’impulsion de son dynamique Secrétaire général, le Mauricien Jean Claude de l’Estrac. Néanmoins, l’institution régionale qui regroupe cinq États depuis 1986 – représentant 26 millions de personnes réparties sur 595 000 kilomètres carrés de terres émergées – souffre toujours d’un manque de visibilité : pour le grand public, elle demeure encore un concept flou et lointain. Comme beaucoup d’organisations internationales à vocation régionale, la COI engendre l’indifférence, quand ce n’est pas le scepticisme. De fait, elle est loin d’avoir comblé tous les espoirs que ses créateurs avaient placés en elle en signant à Victoria, le 10 janvier 1984, l’Accord général de coopération entre les États membres. La structure indianocéanique demeure encore trop souvent empêtrée dans des difficultés récurrentes – des difficultés imputables pour la plupart aux Comores, à la France et à Madagascar – et qui sont davantage d’ordre politique, diplomatique et juridique qu’économique, social et culturel. En outre, la COI manque de perspectives globales au niveau de ses objectifs trop cloisonnés, dispersés et, pour la plupart, éphémères.

De fait, les chantiers structurants les plus ambitieux comme le Programme régional intégré de développement des échanges (PRIDE) et l’Université de l’océan Indien (UOI) ne sont plus que de lointains souvenirs. Quant aux résultats concrets et durables de la COI, ils sont encore rares et le plus souvent modestes : les flux commerciaux intra-COI restent marginaux dans la mesure où la part du commerce intra-zonal représente – aujourd’hui comme hier – moins de 5 % du commerce total de la région avec les pays tiers. Un constat d’échec avait déjà été établi, en ce sens, par l’un des Secrétaires généraux de la COI. Dans une de ses rares interviews à la presse, le Comorien Caabi Elyachroutu Mohamed avouait : « Notre principal échec est de n’avoir pu créer un espace économique. Il n’y a pas eu d’intensification des échanges. C’est là le maillon le plus faible de la coopération inter-régionale ». Formulée le 23 novembre 1999, cette courageuse autocritique pourrait fort bien être reprise en 2017, en des termes voisins, par l’actuel Secrétaire général de la COI : le Comorien Hamada Madi Boléro.

Faut-il alors douter de l’avenir de la solidarité dans l’Indianocéanie ? Une communauté de destin est-elle concevable entre des États qui ont en commun le poids de l’insularité, l’étroitesse des marchés intérieurs, une vulnérabilité environnementale croissante et des niveaux de développement économique disparates ? La COI est-elle par ailleurs un cadre de référence approprié ? Existe-t-il surtout une réelle volonté d’agir ensemble chez les responsables des États membres ? En résumé, faut-il déjà sonner le tocsin ? Mais sur un autre versant, le moment est-il opportun de faire le bilan de la COI alors même que des travaux de soubassement sont en cours ? Dans la mesure où cette organisation régionale est entrée depuis 2012 dans une phase de restructuration, une réponse négative s’impose. Pour relever le défi de la mondialisation des échanges, les dirigeants des pays de l’Indianocéanie n’ont pas d’autre choix que de parler d’une seule voix pour espérer se faire entendre. Ils doivent tout mettre en œuvre pour sortir de leur splendide isolement et surmonter ensemble leurs handicaps. Faut-il au besoin ajouter que, pour y parvenir, la COI n’est ici en concurrence avec aucune autre organisation internationale ?

Que faire alors, selon la judicieuse et lancinante question posée en 2013 par l’ancien Secrétaire général, pour « rendre la COI plus visible, plus audible et plus crédible » ? Certes, il est bon que siège régulièrement le Conseil de la COI qui regroupe les ministres des États membres parce qu’il s’agit-là d’un organe de prise de décision sur des projets d’intérêt commun. À ce titre, l’institution régionale a déjà le mérite d’exister et d’être une plateforme de dialogue politique et diplomatique incontournable entre les États du sud-ouest de l’océan Indien. Sous cet angle, Jean Claude de l’Estrac a tenu à souligner, à plusieurs reprises, le rôle « actif, constructif et reconnu de la COI » – malgré « des moyens limités » – dans le processus de « sortie de crise » qui a sévi à Madagascar entre 2009 et 2013. Encre convient-il d’aller plus loin : au plan institutionnel, l’affermissement de la COI demeure une ardente obligation.

II.- Les suggestions pour l’avenir immédiat.

La COI doit davantage associer à ses projets l’île de La Réunion qui est la porte d’accès naturelle à l’Union européenne pour les produits de l’Indianocéanie. Il serait également nécessaire de rendre plus réguliers les sommets de la COI dans la mesure où cette instance est seule capable de provoquer un électrochoc salutaire dans les domaines les plus sensibles et aboutir à des décisions qui s’imposent ensuite aux administrations nationales, souvent paralysées par les lenteurs bureaucratiques. À cet égard, la décision adoptée le 3 décembre 1999 par le IIe Sommet visant à réunir les chefs d’État et de Gouvernement de l’Indianocéanie « tous les quatre ans » est appropriée même si, dans les faits, elle n’a pas, à ce jour, été respectée. Lors de sa session tenue à Moroni les 27 et 28 août 2013, le Comité des OPL a ainsi demandé au Secrétaire général d’envisager « avec les États membres la possibilité d’un Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement de la COI », un sommet qui a pu enfin siéger à Moroni le 23 août 2014. Ce Comité a aussi prôné une meilleure définition des responsabilités des organes de la COI et notamment une réorganisation des rapports entre l’institution régionale et son Secrétaire général.

Dans un autre domaine, il n’est pas acceptable que certains États retardent le paiement de leurs modestes contributions annuelles obligatoires ou que la COI ait toujours pour principal partenaire et bailleur de fonds l’Union européenne. C’est dire qu’il importe de diversifier les sources de financement de l’institution régionale afin de la rendre plus autonome. La COI aurait ainsi intérêt à impulser un nouveau type de gouvernance dans l’Indianocéanie par une implication plus grande du secteur privé dans ses projets, afin de rendre ces derniers plus performants. De même, il est impératif d’assurer la pérennisation des programmes de la COI financés par les bailleurs internationaux traditionnels avec toutefois un concours financier plus important des pays membres afin de contribuer au renforcement de l’autosuffisance de la région dans un respect toujours plus grand de l’environnement terrestre et marin. Il est enfin hautement souhaitable que les efforts communs aboutissent à rendre les échanges commerciaux plus conséquents entre les États membres de la structure indianocéanique.

Parallèlement, la COI doit cesser d’entreprendre des actions trop diversifiées qui restent souvent sans lendemain. Il faut ici rappeler que son IIe Sommet, réuni à Saint-Denis en 1999, avait pu se féliciter de « l’engagement des États à apporter les soutiens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique régionale en matière de développement durable ». Dans cette optique, ne serait-il pas cohérent pour les responsables de l’Indianocéanie d’envisager la constitution d’une Association du tourisme des îles de l’océan Indien (ATIOI) ainsi que la renaissance et la pérennisation d’une véritable Université de l’océan Indien (UOI) ? En outre, la région indianocéanique n’est pas a priori assez vaste pour être viable. La critique est flagrante lorsque l’on compare la COI aux autres organisations régionales qui existent dans l’océan Afro-asiatique. Dès lors, l’élargissement de la COI à certains États d’Afrique orientale et à des États insulaires de l’océan Indien devrait être envisagé pour éviter sa marginalisation. Enfin, une concertation plus grande devrait s’instaurer entre la COI et les autres blocs économiques de cette partie du monde, composés de pays à fort potentiel de développement, conformément à l’Accord de partenariat conclu à Cotonou le 23 juin 2000 par l’Union européenne et les États ACP.

Plus encore, un pas décisif doit être franchi pour que la COI devienne le cadre privilégié d’un développement économique effectif et pérenne dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien. Au plan psychologique, il est indispensable que les responsables des États membres croient en l’avenir de la COI et ne lui ménagent pas leurs concours. Il leur appartient de résister à la tentation parfois forte de faire cavalier seul, tout en revendiquant l’appartenance à l’institution régionale. En d’autres termes, ils doivent faire preuve de persévérance en se persuadant, comme le souligne Frédérique Cadet – dès 1996 – que si « la voie du développement est longue, celle du développement concerté l’est plus encore ».

Pour permettre enfin l’émergence d’une authentique et durable identité indianocéanienne – une indianocéanité humaniste et solidaire aux plans économique, écologique et culturel – évoquée à Moroni dans la Déclaration finale du IVe Sommet de la COI, les États membres seraient certainement inspirés en prenant en considération le point de vue visionnaire de Reynolds Michel, ainsi exprimé, le 20 juin 2014 : « Après 30 ans d’existence, la COI a besoin d’un nouveau souffle, d’une nouvelle étape, d’un passage de la coopération à une certaine intégration. Pourquoi pas la création d’une citoyenneté indianocéanique, une citoyenneté commune aux ressortissants de nos États insulaires, comme premier pas dans ce processus d’intégration communautaire ?  ». Pour renforcer les liens inter-îles, il serait également approprié de réfléchir à la création d’une chaîne de radio et de télévision permanente et commune aux cinq États membres de la COI et à l’émergence d’une association des parlementaires de l’Indianocéanie dotée d’un pouvoir consultatif officiel au sein de l’institution régionale, ce qui implique à l’évidence une modification de ses statuts.

Réflexions terminales

Dans cette conception ambitieuse, mobilisatrice, régénérée et seule en fait susceptible de créer une véritable dynamique indianocéanienne, l’expression « Commission de l’océan Indien  » mériterait alors d’être amendée ou remplacée, tant il est vrai que cette plateforme de coopération régionale ne saurait demeurer, ad vitam æternam, un simple organisme administratif, technique et gestionnaire de projets épars et éphémères. Pour Jean Claude de l’Estrac, l’un des plus fervents partisans de cette mutation, une nouvelle dénomination s’impose « pour incarner une communauté de destin qui unit nos peuples et nos pays ». Dès lors, pourquoi ne pas retenir l’expression plus appropriée de « Communauté de l’océan Indien » ou celle assurément plus originale et poétique d’« Indianocéanie  » ?

Dotée d’un hymne intitulé « Ensemble », interprété pour la première fois le 23 août 2014 lors de son IVe Sommet, la COI est en vérité à un tournant historique. Convient-il enfin d’ajouter – pour conclure – que son déclin et, a fortiori, sa disparition serait préjudiciable à tous les pays qui appartiennent à la famille indianocéanienne et d’abord à La Réunion, en sa double qualité de région monodépartementale française des Mascareignes et de région ultrapériphérique de l’Union européenne ?

André ORAISON, Professeur des Universités, Juriste et Politologue

3 commentaires

Vos commentaires

  • 24 février 2017 à 12:34 | zorrolevengeurmasqué (#9826)

    Y a pas de « famille indianocéanienne » !

    Y a les Malgaches qui appliquent ad nauseam la stratégie ancestrale du « donne-moi le vola vazaha...donne ! » et ses postures y afférentes...

    et

    ... y a les Français, bonnes poires, qui continuent de gaspiller des ressources/du volabe dans le tonneau béant des danaïdes gasy !

    Les Mauriciens sont plus malins que les Français : ils ont compris depuis longtemps ce que veulent les gasy !

  • 27 février 2017 à 07:26 | râleur (#3702)

    La COI est une coquille vide et qui ne sert que les intérêts des Reunionnais, dans le sens où il sert à verrouiller leur marché et leur territoire via des barrières douanières, sanitaires et autres

    Il est impossible pour Madagascar de vendre des tomates ou des pommes de terres là bas, et je ne parle mm pas de humiliations des visas

    N’importe quel réunionnais qui vit du RMI peut venir à Madagascar sans visa alors qu’un malgache ordinaire n’aura jamais son visa pour faire un tour voir l’île qui à une heure de vol, si jamais il avait les moyens d’y aller

    Madagascar devrait quitter ces institutions néocoloniales (comme la francophonie) qui ne servent nullement ses intérêts

  • 28 février 2017 à 17:37 | GADSDEN_FLAGIVANDRY (#8661)

    Les Réunionnais ne nous servent à rien, ils ne peuvent même pas s’auto suffire eux-mêmes sans la métropole, Les comoriens espèrent qu’ont les développe alors qu’on est incapables se développer nous mêmes, les Mauriciens sont meilleurs que nous que ce soit en tourisme ,en business, pour résumer ils n’ont pas besoin de nous la seule raison pour laquelle ils participent à cette mascarade c’est qu’il auront besoin de surfaces cultivables dans le futur.
    Considérant tout ça pourquoi ne pas aller au plus simple et faire de vrais accords bilatéraux avec l’Ile Maurice avec transfert technologique à la clé et on jarte les colonisés et les comoriens et on arrête,ces bêtises avec la COI, vu que ça ne sert à rien et qu’on n’est même pas capable d’autofinancer notre participation à ces évènements, à chaque fois faut toujours aller mendier !

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