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Editorial

L’idée simple de Lagy

lundi 27 avril 2015 | Soamiely Andriamananjara

Le lagy est-il le nouveau tsiny ? Exploration en mode ironique.

Le concept de « tsiny » a toujours joué un rôle clé dans l’orientation du comportement des Malgaches. Cependant, une notion relativement nouvelle mais étroitement liée - le « lagy » - a récemment émergé comme un facteur tout aussi important affectant les interactions entre membres de la société malgache. « Lagy est le nouveau tsiny », m’a dit l’autre jour un jeune ami. Il a ensuite affirmé que notre génération passe plus de temps à échanger (ou éviter) le lagy qu’à se préoccuper de prévenir le tsiny. Il pourrait avoir raison.

Lagy (Nom <argot malgache : Laginina <Français : La guigne) : Offense.
1. Manome lagy : Donner du lagy, offenser.
2. Maka lagy : Prendre du lagy, être offensé.
3. Mifanome lagy : Échanger du lagy, se quereller.

Mettons d’abord une chose au clair : une société sans lagy n’est ni possible ni souhaitable. Il y aura toujours certaines personnes, souvent de bonnes personnes, qui vont commettre ou dire des choses offensantes sans réfléchir pleinement sur ce que serait l’impact sur les autres. Et il y aura toujours des personnes susceptibles ou délicates qui s’offenseront facilement des erreurs les plus petites ou les plus insignifiantes. Les choses sont ainsi faites, que cela nous plaise ou non - le lagy est là pour rester.

Il n’y a rien de mal à avoir une dose raisonnable de lagy dans sa vie. « Nous ne devrions pas chercher à minimiser la quantité de lagy dans notre société », a fait valoir mon ami. En plus de mettre un peu d’excitation dans nos vies, un certain degré de lagy contribue à assurer la confiance mutuelle et le respect au sein d’une communauté. Ne seriez-vous pas davantage enclins à faire confiance et à respecter quelqu’un qui s’offense quand vous faites quelque chose d’inapproprié ? Un peu de tension peut aussi nous aider à démêler la variété de vues existantes et à déterminer quelles valeurs sont importantes pour nous, en tant que société. Prendre du lagy et se fâcher est une façon de montrer que nous nous préoccupons et de signaler à quel point nous accordons de l’importance à un sujet particulier.

La plupart du temps, le lagy est donné accidentellement et n’est pas destiné à créer un antagonisme ou à faire mal. Il peut provenir d’un simple malentendu ou d’une honnête divergence de points de vue entre personnes raisonnables. C’est le cas des lagy sains et constructifs - le récipiendaire est offensé pendant un temps, mais le problème est rapidement résolu. Le lagy est ni internalisé ni pris de manière personnelle. Tout le monde s’en éloigne un peu plus sage et la vie continue.

Le problème commence quand le lagy est produit de manière délibérée. Que ce soit par dépit, entraîné par un désir de blesser, ou motivé par un esprit de vengeance, une production intentionnelle de lagy est susceptible de conduire à des représailles du destinataire, et de générer un cycle problématique d’échange de lagy. Ce cycle peut consommer du temps, des ressources et de l’énergie de manière très significative , et peut devenir très destructeur car il tend à se transformer rapidement en affaire personnelle.

Trop de lagy donné et de lagy pris produit souvent des rancunes et des rancœurs entre ceux qui sont impliqués. Le lagy devient comme une pierre chaude (tolo-bato-mafana) : Une fois que vous le prenez, vous devez soit le rendre soit le transmettre à quelqu’un d’autre - vous ne pouvez pas le garder. Dans ce cas, le va-et-vient à échanger du lagy va soit exacerber la tension entre deux personnes, ou se propager à d’autres personnes. Ceci est ce qui alimente la plupart des conflits graves dans notre société - l’échange de lagy qui échappe à tout contrôle. Le processus en cours de réconciliation nationale, par exemple, semble être devenu un long cycle d’échange de lagy chez un petit nombre de politiciens sous emprise.

Selon mon jeune ami, plusieurs personnes ont adopté comme devise « Aza manome lagy, dia aza maka lagy » (Ne pas offenser, et ne vous offensez pas). Ils croient fermement qu’une société libre du lagy est une société pacifique et harmonieuse. Cela peut paraître bien en théorie, mais personnellement, je ne crois pas que renoncer à notre droit d’offenser et à notre capacité à être offensé est la solution. Au lieu de cela, nous devrions nous efforcer d’améliorer la façon dont nous « mifanome lagy », la façon dont nous nous disputons. Un échange adéquat de lagy tient plus de art que de la science. Il est relativement simple, mais exige de la patience et de la pratique.

Tout d’abord, nous devrions essayer de mieux « manome lagy ». Nous devrions éviter de donner du lagy par dépit ou par malice. Nous devons aussi être plus sensibles aux sentiments des autres et essayer de ne pas les blesser inutilement. Ceci, néanmoins, ne signifie pas que nous devons toujours nous restreindre ou nous auto-censurer juste dans le but de ne pas blesser les autres. S’abstenir de faire des choses par crainte d’offenser (ou pour éviter le retour de lagy) est non seulement lâche, c’est extrêmement improductif.

Nous devons aussi apprendre à mieux « maka lagy ». Nous devons éviter une attitude de rétorsion lagy-contre-lagy. Cela ne signifie pas que nous devons subir en silence toutes les bêtises offensantes que nous rencontrons. En aucun cas, ne devrions-nous renoncer à notre droit d’être indigné. Nous avons juste besoin d’être plus sélectif lors de la prise de lagy et calmement décider des sujets qui sont dignes de lagy et ceux qui ne le sont pas. Apprenons à maka lagy tsilem (s’offenser intelligemment et calmement).

8 commentaires

Vos commentaires

  • 27 avril 2015 à 09:19 | Metimety (#8753)

    Tsy dia fiteny loatra ilay hoe « maka lagy », « TSY maka lagy » no tena fiteny matetika (tsy miraharaha, tsy mivaky loha), miaraka amin’ilay fitenenana foana ny TSY.

  • 27 avril 2015 à 12:17 | Turping (#1235)

    - Le terme « lagy » est un terme péjoratif pour déprécier la vraie réconciliation ,la paupérisation du peuple malgache.

    - L’extrait du texte :.....Ceci est ce qui alimente la plupart des conflits graves dans notre société - l’échange de lagy qui échappe à tout contrôle. Le processus en cours de réconciliation nationale, par exemple, semble être devenu un long cycle d’échange de lagy chez un petit nombre de politiciens sous emprise.......

    - Le paradoxe ,c’est que derrière cette notion de réconciliation se cache le conflit d’intérêts au profit de quelques groupes d’individus sans résoudre le problème de fonds .
    - Logiquement ,ce n’est pas le fait de défendre l’intérêt des 4F ou 5F sera l’ultime solution de sortir de la pauvreté dans un pays qui baigne dans les richesses naturelles et humaines mais plutôt de trouver des moyens alternatifs ,efficaces à imposer la « culture de la productivité » ,de création de richesse humaine en changeant de mentalité car la politique de la terre brûlée est révolue et ça n’a pas marché .
    - La délégation de CEDS ,gouvernementale a visité l’Indonésie classé 15 ème mondial au niveau du PIB ,....comme les pays asiatiques qui montent en puissance . Une des leçon à tirer c’est de voir le modèle comment ça marche ailleurs sans renier les valeurs fondamentales ,ancestrales à la malgache ,le retour à la source comme base de toute refondation à la retrouvaille des repères tant perdus ?
    - La retrouvaille des repères ,de sagesse ne signifie renoncer à l’innovation ,la modernisation , au développement pérenne .Le vrai combat pour les malgaches c’est lutter contre la misère ,d’avoir les dirigeants dignes de leur nom(honnêteté ,droiture ,persévérance ,vision ambitieuse,...) ,ceux qui se soucient aux intérêts communs pour des valeurs communes avec des règles fondamentales strictes ,accepté par tout le monde se reposant sur la souveraineté nationale. .

  • 28 avril 2015 à 05:57 | takaka (#8449)

    Tsy ratsy. Le lagy ne reflète pas vraiment cette notion d’ironie intempestive chez les Gasy.
    Il y a les vazivazy zaritenany.
    En effet comme vous l’avez bien souligné, c’est un terme vazaha et qui reflète bien sûr cette attitude française de vouloir narguer et d’emmerder pour un rien une personne donnée.
    Mais vous avez bien décrit le phénomène actuel des lagy, surtout chez les jeunes. Faites une conférence à l’Accademie malgache pour publier officiellement vos thèses.
    Merci.

  • 28 avril 2015 à 07:48 | VELOBE (#8924)

    pour assimiler la notion de « Tsiny », je vous recommande de lire l’ouvrage de feu Andriamanjato Richard , Le Tsiny ne peut s’aligner à des notions comme « maka lagy » ou « manala azy » etc... dont l’utilisation est limitée spatio-temporellement

  • 30 avril 2015 à 12:30 | poiuyt (#584)

    Une tante douce et aimante, et une mère, l’humble mienne, disaient souvent « Mandaginona ». Bien sûr il n’y a jamais eu de consultation de dictionnaire. Voici donc une compréhension personnelle.

    Il n’y a pas d’offense dans ce mot. Il y a du dépit, de la déception, par rapport à un fait (ou un sort) plus souvent que par rapport à une personne. D’ailleurs, le sens du français « la guigne » parle bien de « malchance », donc de « fait », ou de "sort’. (Il n’y a semble-t-il pas de corrélation entre les 2 mots pour ces langues). Dans ces cas, on ne peut s’en prendre qu’à soi même souvent, quand une offense appelle colère puis réaction.

    Quand il est dit « Mandaginona ahy i Ely », on veut plutôt aux actes de Ely, mais pas à elle. La traduction serait « Ely me vénère » sous entendant « Je ne lui en veut pas, c’est son acte que je n’avale pas ». Ben ouais. Tout compte fait Ely a peut-être raison, les sens changent dans les langues vivantes.

    Alors Mademoiselle Soamiely, permettez qu’il vous soit proposé de reformuler.

  • 1er mai 2015 à 14:40 | Rahasimbery (#8396)

    « Laginina » provient du français « la guigne » qui veut dire malchance ou poisse. L’un des plus vieux dictionnaires malagasy-français, le Malzac dont la première édition date de l’année 1896, n’en fait nullement mention (latabatra y est). Ce qui emmène à conjecturer que ce mot s’est probablement intégré au malagasy durant la colonisation. Ce fut une période, rappelons-le, de domination politique et culturelle. Imaginons une situation où un colon et un indigène (admis exceptionnellement dans une salle de jeu) jouant au poker à la même table : le premier, mauvais bluffeur, à force d’avoir des mauvaises mains perd, se lève et crie violement à la face du second « j’ai la guigne » ou pire, « tu portes la guigne sale … ! ». Si le second n’en connaît pas la signification, il l’associera volontiers à l’état de colère dans lequel le premier se trouve et à la menace réelle qu’il encourt. Dans les deux cas, le Malagasy subit l’action, donc, il est doublement passif. La morphologie du mot, la terminaison –ina étant l’une des caractéristiques de la voix passive quand il est un suffixe, accentue encore le phénomène par un procédé d’assimilation. Roahina (dont le radical est roaka) et laginina par exemple diffèrent car ce dernier est un radical à lui tout seul. Cela explique probablement le fait que « laginina » introduit dans une phrase se présente souvent sous forme verbale et de surcroît, passive : laginina i Rija, la traduction serait « Rija est offensé (par) ». De la malchance initiale en passant par la colère, nous aboutissons à l’idée de l’offense, bref, un glissement sémantique s’y est opéré.
    Cependant, le verbe actif formé avec le radical « laginina » donne « mandaginina ». Mon grand-père, né dans les années 20, quand je l’interrompais dans ses occupations, me chassait par une formule « aza mandaginina ianao ». Je n’irais pas jusqu’à dire que je l’offensai ou qu’il prit ma simple présence, sans qu’un mot ne sortît de ma bouche, pour une offense. En fait, je l’irritais parce que je troublais sa quiétude ; je l’énervais parce qu’il n’allait pas bien dans sa tête ; je le troublais parce qu’il voulait être seul et cætera. C’est-à-dire qu’à l’actif, le degré d’intensité de laginina s’attenue et son sens s’altère. L’écart entre l’offense et l’irritation est important : une intention plus ou moins grande. L’offense n’est jamais gratuite, elle est motivée, orientée et intense. Quant à l’irritation, au passif (laginina, être irrité), elle est presque accidentelle, on n’est pas certain du motif de l’énervement de Rija quand il dit « laginina aho ». En revanche, « mandaginina i Rija » prononcé par sa mère est tout aussi intentionnelle mais le ton qu’elle arbore reflète souvent la douceur, l’affection voire l’enjouement. Le sens de ce mot donc dépend foncièrement du contexte socio-historique dans lequel évoluent les locuteurs. Plus le contexte est tendu (la réalité coloniale, l’échange entre deux rivaux, l’inégalité sociale), plus le sens est offensif et offensant. Soulignons juste que ce mot mandaginina, exception faite des personnes de plus de 50 ans, se raréfie dans les conversations. J’avance même qu’il tend à disparaître. En lieu et place, à l’heure actuelle, nous avons « maka lagy ». Cette locution a tout au plus quinze ans.
    Que s’est-il passé ? Laginina donne lagy par apocope, procédé de retranchement courant dans les pratiques orales, et mandaginina s’est décomposé en une locution adverbiale « maka lagy ». Le plus étrange, c’est que le verbe actif « mandagy » n’existe pas. Non seulement lagy demeure un verbe mais il est aussi devenu un adverbe (reste à vérifier s’il est aussi un nom) : maka lagy ianao. La forme la plus usitée est l’impérative aza maka lagy e ! Encore une fois, c’est la tension relative aux interlocuteurs et le contexte qui déterminent la charge plus ou moins violente de cette dernière phrase. Dans un environnement pacifique et pacifié, entre amis ou en famille par exemple, aza maka lagy e pourrait signifier « détendons l’atmosphère, ce n’est pas le moment de se prendre la tête ». Dès fois, on l’emploie sous une autre forme (négative et plus populaire) pour dissiper un malentendu ou conclure un marché mais dont le sens est quasiment le même tsy misy lagy e (il n’y a aucune source d’irritation entre nous, il n’y a pas de quoi). Cela va de soi que cette situation sociale, idéale pourrait dégénérer à tout moment mais généralement, elle se termine par une note positive tsy mifanome lagy e. Ce lagy-là n’a pas de distributeur à l’instar des préservatifs pour se prémunir du sida ou pour servir le planning familial. Il n’est pas la crainte d’une justice émanant des forces invisibles parce que l’ordre social (aînés-cadets, parents-enfants, rois et sujets) risque d’être déstabilisé : le tsiny. Il est un désir de « détente » en vue de maximiser l’entente, le plaisir ; pour l’instant, nous voulons faire la fête, discuter des sujets superficiels, médire des bonnes gens, rire de la politique, danser, manger, jouer, boire alors « aza mifanome lagy dia aza maka lagy ».
    Néanmoins, il arrive que les sujets parlants nourrissent une relation « perverse » de type dominé/dominant, aza maka lagy tena ou tena koa maka lagy ! Dans ce cas-ci, l’énoncé sonne comme une intimidation, un rappel à l’ordre dont l’écho a une portée ô combien sociale : ferme ta gueule ou le vocabulaire canin, Milou, reste à ta place et/ou pour reprendre les termes menaçants de notre joueur de poker, tu portes la poisse sale … ici, son sens se rapproche un peu plus de celui du laginina colonial, peut-on parler du retour du refoulé ou du revers de l’histoire ? Pour répondre à cette question, j’invite les jeunes Malagasy à se laisser embarquer par le lagy combatif : le lagy nécessaire après l’orgie, le lagy de la bonne vieille joute oratoire, le lagy réflexif, le lagy méditatif etc. De nos jours, Lagy ressemble d’avantage à un « sérieux exorcisé », on le maintient loin des préoccupations et on l’érige en bouc émissaire : nous sommes trop fatigués pour penser la politique, l’Histoire, l’économie, les rapports de forces et nous sommes trop fatigués pour agir dans ces domaines. Pourquoi ? Parce que sous prétexte de « développement durable, de démocratie, de mondialisation, de féminisme (Rabenoro) et de réconciliation nationale », ici, tout est permis, tout se répète et la solution est « ailleurs », quelque part entre Washington et Paris. Lagy serait-il le signe d’une impuissance généralisée, d’une désespérance sociale aigue ? De toute évidence, lagy est un bon thermomètre pour mesurer la température sociale mais il ne peut aucunement être une médecine préventive, un programme politique. Même sous le mode ironique, confondre l’instrument et la mesure est une faute professionnelle. Ajanony Io lagilaginareo io e !

    .

    • 2 mai 2015 à 10:04 | poiuyt (#584) répond à Rahasimbery

      c’est profond ; ça c’est de l’élaboré ; faire plus ? : difficile. Que HasimBery soit un Professeur n’étonnerait pas, c’est mérité. Le message lui-même mérite d’être archivé.

      Le nom « hasimbery » laisse à penser. Le dijéi, de son coup d’état, a mis à terre beaucoup beaucoup de nos valeurs ; il est de ces choses qui ne se rélèvent plus ; ils les ont tuées ; des insensés, des ignares, des minables, des animaux bêtes difficiles à oublier, qui n’ont pas de vision, qui ne voient pas les valeurs un tant soit peu virtuelles. Pardon, comment ne pas être laginona ? Des ruines, c’est ce que le dijéi a laissé : la population en ruines.

      Quand à la tv, vous voyez le président malgache répéter mot pour mot un discours de sarko, quel hasina il a encore ; ça s’est passé avant hier dans une émission titrée « plagiat » ; mot pour mot ; quel nul ! mais quel nul ! On se souvient du joël à l’ONU ; quel nul !

      Mais alors : « laginona » est plagiat de « la guigne » : alors de là à constater que la pratique du calque est séculaire, il n’y aurait qu’un pas.

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