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Editorial

Réflexions sur les élections malgaches de 2013

Des messies pour des lanternes ?

samedi 24 novembre 2012 | Lalatiana Pitchboule

Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule)

Nonobstant les contraintes techniques, logistiques, administratives et financières qui vont conditionner la réalisation ou non, à la date prévue, des élections malgaches de 2013, peut-on véritablement espérer quelque chose de ces scrutins qui, s’ils ont lieu, sont sensés caractériser la fin de la transition ?

Cette fin de transition risque pourtant de n’être qu’un énoncé sémantique. Evoluer vers un régime légitimé par des élections – avec à la clé l’apaisement politique - devrait, parait-il, permettre au pays de rentrer dans un processus vertueux de sortie de crise. On pourrait rêver en voir découler la solution susceptible de résoudre d’un coup de bulletin tous les problèmes politiques, de gommer toutes les tensions et rivalités, de lisser toutes les inconséquences et incompétences, de laver le pays de toute la corruption, de résoudre les vices de l’armée et le délitement des institutions et de relancer la machine à progrès… Pensée magique.

On n’a là pourtant qu’un emplâtre sur une jambe de bois, sans aucun autre agenda pour tracer la dite sortie de crise. Ces élections, on le sait, veulent avant tout satisfaire la communauté internationale en lui permettant de tourner provisoirement la page : « Il sera bien temps de revenir réfléchir à la prochaine crise »… La C.I n’est pas dupe mais elle est prête à faire semblant. Show must go on ! On aura donné à l’étranger les gages indispensables à la reprise momentanée de l’aide internationale dont l’économie exsangue du pays ne peut aujourd’hui se passer. Et les choses reprendront leur cours.

Certains pourtant croient à l’émergence d’une nouvelle élite politique à travers ces futurs scrutins. Au nombre de ceux-là, rêvant d’un renouveau démocratique qui ne ferait plus référence à un leader « messianique », les tenants du NI-NI espèrent sincèrement tourner ici la page HAT, la page Marc Ravalomanana et la page des prédécesseurs de ce dernier.

Mais peut-on être sûr que le sire à la Très Grande Vacuité renoncera à l’investiture suprême. Peut-on véritablement espérer que la clique au pouvoir, aussi peu soucieuse de l’intérêt du pays et de la démocratie que jalouse de ses avantages acquis, n’est pas en train d’assurer le maillage le plus solide pour conforter sa prise de pouvoir de 2009. Dans ce sens, le NI-NI ne se sera-t-il pas transformé en OUI-OUI ?

« Je n’organise pas les élections pour les perdre » déclarait Pascal Lissouba, ancien président congolais. On peut largement craindre que ce soit l’état d’esprit de ceux qui, au pouvoir actuellement, prétendent souhaiter et organiser cette consultation. Au lieu d’être cette expression finale d’un État de droit, ces scrutins risquent de n’être qu’un outil au service d’un État de non droit.

L’opinion publique ne s’y trompera pourtant pas. Et les choses ne font là que se répéter. L’histoire moderne de Madagascar a vu une succession de hold-up établis au détriment de la voix populaire. Que les détenteurs successifs du pouvoir n’aient pas voulu reconnaitre ces hold-up successifs dont ils ont été les auteurs (en a-t-on vu un seul qui ait été capable de dire un jour « je me suis trompé » ?) est la cause essentielle des fractures actuelles que vit le pays.

Fractures dit-on… Ici pourtant, la reconnaissance et l’acceptation de l’altérité est essentielle à la construction d’une histoire commune et à l’adhésion à un projet collectif. Dans la « guerre civile » entre les deux factions « anti-Ra8-pro-TGV » et « pro-Ra8-anti-TGV » focalisées sur la question du retour de « l’ancien », prétendre que le parti des pro-ra8 n’existe pas, parce qu’il est impossible que des gens autrement qu’abrutis puissent encore avoir foi dans l’ancien dirigeant au regard de ses dérives, est une aberration intellectuelle. À l’inverse, énoncer que les pro-TGVs ne peuvent avoir de réalité au vu de ce qui a été détruit, est aussi une autre aberration intellectuelle. Hold-up des uns et des autres qui s’approprient de manière égocentrée et autiste la légitimité populaire. Et les NINIstes devraient eux aussi se garder de nier l’existence de ces deux groupes.

Des élections libres et honnêtes qui auraient mesuré la réalité des rapports entre toutes les parties auraient « peut-être » pu faire avancer la construction de cette indispensable histoire commune et son adoption. Ne pas tout faire pour que désormais TOUTES les sensibilités puissent faire entendre leur voix, c’est repousser encore une fois aux calendes malgaches l’établissement de cette vision commune.

Au-delà de ces principes généraux maintes et maintes fois rabâchés, le problème est ici crucial parce que la crise que vit Madagascar n’est pas qu’une crise cyclique. Elle s’inscrit dans une spirale mortifère qui rend chaque crise plus violente, plus longue et plus destructrice que la précédente. L’empilement des frustrations populaires et politiques d’un régime à l’autre, la défiance de plus en plus installée vis-à-vis de l’État, aggravés par la descente aux enfers de l’économie, fabriquent une machine infernale à la dangerosité extrême.

Cette défiance est d’autant plus forte que l’impunité et l’arrogance des gens successivement au pouvoir ont établi des bases délétères et effacé les références indispensables à l’assise de la légitimité d’État : « à quelles règles veut-on qu’on obéisse, quand à la tête de l’État, avec le plus grand cynisme, il en est qui violent allègrement la loi et la morale, et perdurent… et reviennent ». Le délitement de l’État n’est pas à chercher ailleurs.

De fait, la logique de toutes les opposition depuis 1991 est : « Les gugusses au pouvoir, ils sont encore plus retors qu’avant, forgés par des années de magouilles, de tripatouillages électoraux et de combines politiciennes … les gugusses au pouvoir sont de plus en plus installés de manière indéboulonnable … les gugusses au pouvoir on ne peut les déboulonner qu’à travers l’action de rue violente. »

La mainmise autocratique de Ratsiraka sur le pouvoir a allumé le 1er étage de cette fusée malgache à destination de nulle part. Des processus électoraux biaisés forgeant la conviction qu’avait l’opposition de l’époque que rien ne pourrait lui garantir une alternance du pouvoir de manière démocratique, ont poussé Ravalomanana à l’auto-proclamation au 1er tour de 2002 … 1 an de crise. Qu’a-t-on capitalisé ?

Les opposants de Ravalomanana se sont forgés la même conviction de manière encore plus forte - normal, ils avaient encore en tête l’expérience précédente - que la voie des urnes ne pouvait pas leur assurer le changement. Cette idée les a poussés à mener ce calamiteux coup d’État de 2009. Leur argument était encore « de toutes façons, on n’aurait jamais pu chasser Ra8 ; il nous aurait volé notre voix »… 4 ans de crise.

Et là, on espèrerait que la future opposition aux prochains « vainqueurs » de 2013 s’avèrerait, d’un coup de baguette magique (en bois de rose), responsable et respectueuse du jeu démocratique. En vertu de quel miracle pourrait-elle être convaincue de la légitimité d’une victoire de ses adversaires quand elle ne l’a jamais été depuis 40 ans ? Elle aura beau jeu de se réfugier derrière l’argument d’un processus électoral entaché par l’exclusion forcée de l’un ou de plusieurs des protagonistes… On appelle ça bâtir sur du sable.

Qu’espèrent-ils donc ceux-là qui poussent la voiture de sa majesté à la Très Grande Vacuité ? Que la situation pourrisse doucement ? Que les zanak’idada oublient et fassent un jour une croix sur le retour de leur champion ? Faut pas rêver… C’est mal connaître les malgaches et leur résistance à la résilience…

Si sa majesté à la Très Grande Vacuité confirme, comme on peut le craindre, sa candidature aux élections de 2013, les partisans de Marc Ravalomanana n’accepteront jamais au grand jamais l’éviction de leur champion, qu’ils jugent seul capable de contrecarrer immédiatement l’ambition du PHAT. Dans le cas de ce passage en force du PHAT, quelle que soit aujourd’hui l’audience réelle de Ravalomanana, le refus fait à ses partisans de pouvoir voter pour lui, aura de toutes façons, et dans le meilleur des cas, une calamiteuse conséquence : amplifier la défiance qu’ont les malgaches dans les institutions. Mais imposer aux victimes de toutes les crises le risque de voir les auteurs de tous ces crimes laisser dans l’ombre et l’oubli tout ce qu’ils leur ont fait subir aura la même conséquence tout aussi calamiteuse. Et rejettera aux extrêmes les plus épris de justice.

Dans l’hypothèse d’un retour de Ra8, la partie se jouera entre les deux adversaires absolus avec toutes les dérives potentielles que la déliquescence actuelle de l’État risque de transformer en un affrontement mortel. On aura, au mieux en termes de résultat, le rejet aux extrêmes des NInistes et des perdants. Même calamiteuse conséquence là encore.

On peut toujours rêver d’un retrait « spontané » de Andry Rajoelina, retrait qui calmerait le jeu et permettrait un repli de son antagoniste. Le corollaire en serait peut-être la mise en place d’un processus apaisé favorable aux NINIstes qui n’auraient « plus qu’à » faire la preuve de la légitimité et de l’efficience de leur option… On peut toujours rêver.

La prise du pouvoir, on le voit bien là, ne devrait pas être l’enjeu premier de ces futures élections. L’enjeu véritable devrait être de bâtir et valider un premier processus effectivement démocratique, soucieux de faire parler sincèrement et de manière apaisée toutes les sensibilités. Bien au contraire, au moment où il est essentiel que tous les citoyens assument pleinement leur appartenance à une nation malgache, c’est encore une fois un énorme bras d’honneur qu’on se prépare à leur faire… Quitte, malheureusement, à y obérer l’avenir. On va se réveiller avec une grosse gueule de bois et le bulleteint brouillé…

La question s’avère d’autant plus critique que parler ensuite de réconciliation nationale restera vain si ce premier pas vertueux vers la responsabilité des acteurs et l’honnêteté du scrutin n’est pas correctement caractérisé. La réconciliation nationale sera avant tout une opération de Vérité. Faute d’initiatives du pouvoir vers plus de sincérité et plus de transparence, comment ne pas laisser s’installer le sentiment d’une impunité qui serait consacrée, en particulier, par un futur acte d’amnistie ? Sans un échantillon immédiatement satisfaisant d’exercice de la démocratie, il sera difficile de faire confiance à la moindre institution qui se prétendrait responsable de la vérité et de l’amnistie.

Doit-on se résoudre à 20 ans de transition de plus ?

21 novembre 2012

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