Le 2 avril, à quelques jours des révélations du scandale des Panama Papers [1], la Commission économique pour l’Afrique (CEA), basée à Addis Abeba (Ethiopie), publiait un rapport pour le moins inédit.
Intitulé « Mesurer la corruption en Afrique : prendre en compte la dimension internationale », ce travail rompt avec l’approche en vigueur jusque-là chez certains organismes (Transparency International [2], Banque Mondiale) qui tiraient leurs conclusions à partir des perceptions établies à partir de sondages d’entreprises, d’ONG et de bailleurs et des chiffres qui reviennent en ritournelle depuis les années 90. « Les enquêtès appartiennent à un petit cercle d’individus, notamment des hommes d’affaires, des hommes des médias et des personnalités non étatiques », indique le rapport de la CEA.
Sans remettre en cause les travaux de Transparency International qui font de l’Afrique l’une des régions les plus corrompues du monde dans le dernier rapport paru fin 2015, la commission appelle à la prise en compte de plusieurs paramètres pour mieux saisir ce phénomène dans sa dimension internationale et transfrontalière.
Quatre thèmes sont abordés dans le rapport : renforcer l’appropriation et la participation dans la planification du développement ; améliorer la transparence et la responsabilité ; créer des institutions de gouvernance crédibles et améliorer l’architecture de la gouvernance régionale et mondiale.
Les économistes africains qui ont participé à ce rapport appellent au croisement de la perception avec les critères objectifs et les faits, invitant les acteurs à étendre leur champ d’investigation au delà des individus et des personnalités politiques (terrains favori des « perceptionnistes ») pour aussi zoomer sur le rôle des multinationales.
« Il est impérieux de s’attaquer au problème de la corruption en Afrique dans sa totalité, sans occulter les aspects de rapatriement des avoirs et de blanchiment d’argent » lit-on dans le préambule du rapport d’autant plus original qu’il fait partie des rares initiatives de mesure de la corruption qui ne viennent pas des pays du Nord. Le caractère flottant de la perception explique sans doute le classement de l’Afrique du Sud [3], très different d’un indice à l’autre et renvoyant des réalités différentes.
Une définition trop étroite
Le travail de la CEA remet en cause la définition traditionnelle et étroite de la corruption comme « abus d’une charge publique à des fins privés ». Cette définition mettait trop d’accent sur la fonction publique et sur la légalité apparente de l’acte, négligeant les tendances à la corruption qui prévalent dans les secteurs privés et non étatiques. Les organismes qui avaient autorité en la matière excluaient de leur champ de travail de nombreuses entreprises privées, nationales et étrangères qui exercent une influence indue de nature à amener l’Etat à prendre des lois et des règlements à leurs avantages. Parfois, ces entités privées, lors des campagnes électorales, apportent des contributions financières qui peuvent paraître légales mais sapent indûment les fondements de la démocratie.
L’approche néolibérale battue en brèche
L’approche néolibérale de la corruption met l’accent sur les tares du secteur public tout en ignorant le rôle du secteur privé dans la survivance du phénomène (voir encadré). Des organismes comme Global Integrity qui estiment entre 1 200 et 1 400 milliards de dollars, les flux financiers illicites perdus par l’Afrique entre 1980 et 2009 considèrent que la corruption sous forme de pots-de-vin ou de malversation ne représente que 3 % environ des flux illicites, les activités criminelles telles que le trafic de drogue et la contrebande, 30 % à 35 % et les transactions commerciales des multinationales, pas moins de 60 % à 65 %.
Déjà dans les années 90, l’Union Africaine estimait que 148 milliards de dollars étaient soustraits annuellement au continent par ses dirigeants, soit 25% de son PIB.
Plus qu’une approche culturelle sous-entendue dans certains rapports, la corruption s’explique surtout par des procédures administratives inedequates et l’absence de transparence. Par exemple, la mise en place des systèmes de paiement d’impôt en ligne au Kenya, au Maroc et au Rwanda a permis d’obtenir de bons résultats là où, en 2010, quelque 43% des sociétés versaient des pots de vin aux agents du fisc burundais.
Pas de fatalisme, la corruption peut être vaincue, soulignent les auteurs du rapport qui mettent en exergue les cas de Singapour et de Hong Kong. Ce dernier pays gangréné par la corruption dans les années 60 et 70 est devenu l’une des contrées les moins corrompues dans le monde grâce à un ensemble de stratégies mises en place comme la commission indépendante de lutte contre la corruption.
Le rapport appelle à prendre en compte la dimension extérieure et transnationale de la corruption. En plein scandale des Panama Papers, cette approche trouvera certainement beaucoup de supporters en donnant une dimension stratégique d’un phénomène que l’Indice de la perception de la corruption (IPC) de Transparency International, de l’Economist Unit, ou encore De Freedom House, effleurent en divers aspects sans jamais toucher à la substance.
Le rapport qui ne fournit pas de classement pays émet des recommandations fortes dont le renforcement de la transparence et l’obligation de rendre compte, la promulgation des lois sur la liberté de l’information, le renforcement de la participation de la population dans les programmes de planification économique et le renforcement de l’architecture régionale et mondiale sur la gouvernance.
La grande corruption met en scène les rapports entre le public et le privé.
Des exemples de grande corruption sont signalés dans le rapport comme le projet de gisement de minerai de fer de Simandou dans la Guinée des années 90. Le projet comprenait la construction d’un chemin de fer et l’exploitation de quatre blocs miniers. Le contrat pour les quatre blocs a été attribué à l’origine à Rio Tinto, mais par la suite deux blocs ont été retirés à la compagnie et attribués sans appel d’offres et par le biais d’un prétendu contrat verbal, à l’entreprise BSG Resources dont le fondateur est d’ailleurs cité dans les Panama Papers.
Au Kenya, en 2005, ce que l’on appelle le scandale de l’Anglo Leasing impliquant plusieurs membres du gouvernement a trait à l’abus de crédit-bail pour financer des projets relatifs à la sécurité. Plus précisément le scandale révèle l’attribution frauduleuse de contrats de 100 millions de dollars à des sociétés fictives pour un nouveau système d’impression de passeports.
En Ouganda, en 2010, La société Muhlbauer Technology Co. Ltd a obtenu un contrat de 100 millions de dollars pour imprimer des cartes d’identité par le biais d’un processus contractuel douteux à fournisseur unique, alors que l’autorité responsable des marchés publics avait rendu un avis défavorable. Seulement 500 cartes ont été délivrées en 2012.
Au Malawi, des malfaiteurs ont réussi en 2012 à transférer des fonds des comptes bancaires du gouvernement au profit de comptes fournisseurs pour des biens et services qui n’ont jamais été livrés, et ont ensuite effacé les transactions du système de gestion. Au 20 février 2014, la Cour des Comptes du Malawi a confirmé que pas moins de 6 096 490 705 kwachas (15,5 millions de dollars) auraient été détournés et qu’une action en justice était possible.
Par Adama WADE
dans Financial Afrik du 17 avril, 2016
Vos commentaires
20 avril 2016 à 09:30 | Noue (#2427)
« Il est impérieux de s’attaquer au problème de la corruption en Afrique dans sa totalité, sans occulter les aspects de rapatriement des avoirs et de blanchiment d’argent »
Malheureusement , corruption , blanchissement d’argent etc , on en voit partout dans le monde !
Il y a du boulot énorme à faire et arriverait-on à stopper ça ?
20 avril 2016 à 09:59 | betoko (#413)
A lire dans le journal Midi-Madaagscar paru ce jour Les entreprises choisissent Dell chez Smarteo pour la fiabilité
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20 avril 2016 4 Commentaires
Certains ont payé pour devenir ministres dans le nouveau gouvernement. Des langues se délient et tendent à confirmer que certains ministres ont payé une grosse somme d’argent pour pouvoir entrer dans le nouveau gouvernement. Nos investigations ont permis de savoir qu’un nouveau ministre a payé 1,5 milliard fmg. La conclusion est vite faite : ce membre…
20 avril 2016 à 11:17 | Daniel (#8947)
Et pendant ce temps la, notre cher Hery se fait construire une villa a 2.000.000 d’Euros dans le sud de la France... Quant au DJ, ne parlons pas de ses hotels a Dubai....
Au fait, sont-ils dans les Panama Papers ?????
20 avril 2016 à 11:26 | Dadabe (#9116) répond à Daniel
Peux-t-on en savoir un peu plus ? Quelle localité dans le sud de la France ? Quel architecte ? Et Dubaï, quels hôtels ? Sont-ils confortables ? Avec vue sur la mer ? Je n’ose y croire...
20 avril 2016 à 11:51 | betoko (#413) répond à Daniel
Nous aimerions bien vous croire Daniel , mais apportez nous des preuves , surtout concernant une villa à 2 000 000 d’Euros , mais un prince saoudien n’a pas le moyen d’en construire et de + si cela est avéré , tous les journaux français et surtout les ONG tel que Transparency International l’aurait publié
20 avril 2016 à 18:22 | Cylab (#9448) répond à Daniel
Il y a risque de construire ou investir en France. Si plus tard il y a un dossier sur un détournements de fonds publics , corruption, blanchiment... Les.biens pourrait être saisis.
Il faudrait en dire plus sur cette construction et non pas lancer des rumeurs malsaines...