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Antananarivo | 20h44
 

Communiqué

De la nécessaire réforme des Forces armées

lundi 24 septembre 2012

Le 26 juin dernier, l’armée malgache a célébré sa 52ème année d’existence. En cette période trouble où l’opinion publique s’interroge, une fois de plus, sur la probité et l’efficacité, voire même l’utilité, de forces armées censées travailler Ho an’ny Tanindrazana (pour la Patrie), le SeFaFi estime qu’un bilan s’impose. Car il ne se passe pas de jour sans que la question de l’armée n’alimente la une des quotidiens, rarement en termes flatteurs : la « grande muette » fait souvent jaser. Dans le sud du pays, le nombre impressionnant, l’équipement performant et l’audace des voleurs de bœufs montrent que nos forces armées sont totalement dépassées. Sont-elles seulement capables de venir à bout de ces bandes organisées de malaso, et de sécuriser toute cette partie du territoire national ? En dépit des déclarations martiales des responsables, la question reste posée.

L’utilité d’une armée mérite toujours discussion, même si elle semble évidente dans des pays comme la République démocratique du Congo ou la Palestine, avec des types de menaces différents mais bien réels. Une chronique de l’histoire de l’armée malgache révèle qu’à la veille du retour à l’indépendance, Philibert Tsiranana et ses conseillers avaient décidé de créer une armée copiée sur le modèle français pour « sauvegarder la souveraineté et l’identité nationales sur le plan militaire, politique, social, économique, culturel… » [1]. L’intention était compréhensible : ne voulant plus retomber sous le joug d’une quelconque puissance étrangère, le pays devait se doter d’une armée digne de ce nom ; l’intention était louable surtout, selon cette même source, parce que, « à l’instar des forces armées des pays occidentaux, notamment de celles de la France, les Forces armées malagasy ont été tenues à l’écart de la politique : c’était un domaine tabou pour elles  ». Une neutralité qui ne durera pas longtemps, constate la même chronique : « à partir de mai 1972 cependant, à la suite de la défaillance du pouvoir politique conduit par les civils, des éléments des Forces Armées avaient été appelés au pouvoir. Et même ceux qui étaient restés à la caserne s’étaient retrouvés plus ou moins mêlés à la politique par la force des choses. »

Par la force des choses, peut-être. Mais l’armée a pris goût au pouvoir, depuis lors, jusqu’à devenir un acteur politique d’envergure. A l’origine, son omniprésence est due à l’idéologie socialiste du président Didier Ratsiraka, pour qui « tout militaire est un militant en uniforme ». Le recrutement non planifié et sans vision à long terme d’officiers supérieurs pratiqué depuis lors et toujours poursuivi en dépit du bon sens, ne fait qu’aggraver le problème : « Le pays a un nombre étonnant de dirigeants de haut rang, assez pour une armée d’environ 400.000 soldats – au lieu des 12.000 hommes qui en font réellement partie », précise le rapport 2010 du CCDP [2]. Il en résulte que les ministères, les administrations, les sociétés d’État, voire les ambassades, sont encombrés de militaires en surnombre dont l’armée ne sait que faire et qui, parfois, ne sont pas formés à la technicité des tâches civiles qu’on leur confie…

Cette armée a joué un rôle significatif, voire décisif, dans chacune des crises politiques qui ont secoué le pays depuis 1972. Le fait que le président de la République soit le chef suprême des armées y est également pour quelque chose. Les forces armées en général, et les militaires en particulier, sont devenus au fil du temps les marionnettes des politiciens – qu’ils soient au pouvoir où qu’ils ambitionnent d’y accéder. Comment expliquer autrement la démission extraconstitutionnelle du président Marc Ravalomanana en faveur d’un directoire militaire en 2009, et l’attitude des sous-officiers du Capsat pour que ce pouvoir soit transféré à Andry Rajoelina ? À l’évidence, les Présidents successifs ont toujours pris un soin particulier à ne jamais contrarier l’armée.

C’est un secret de Polichinelle : la corruption gangrène les rangs des forces armées, à l’instar de presque tous les grands corps de l’État. Concours d’entrée truqués (ACMIL et autres), promotions arbitraires ou limogeages injustifiés, avantages faramineux, pots-de-vin de toute sorte [3], les pratiques politiciennes pour tenir les forces armées en laisse sont légion et d’une efficacité redoutable. La contradiction est d’autant plus forte que l’armée est censée être le protecteur du peuple, le garde-fou de la République, le dernier bastion de la souveraineté. Mais si le dernier bastion est pourri, à quoi la population malgache pourra-t-elle se raccrocher ? Miantehitra amin’ny hazo boboka [4] ?

Il est peu probable que la relation incestueuse qui existe entre l’exécutif et la sphère politique en général d’une part et l’armée de l’autre, change un jour, à moins de réformes drastiques. En attendant, l’armée dans sa forme actuelle est désuète, budgétivore et source de problèmes constants. Chaque défilé du 26 juin coûte une fortune au contribuable qui se demande pourquoi les fonds alloués à ces festivités ne le sont pas plutôt à l’amélioration de sa sécurité personnelle et à celle de ses biens. L’arrogance des forces de l’ordre lors des manifestations populaires, leur empressement à défendre la cause des nantis et la vétusté de leurs équipements constituent autant de raisons qui justifieraient leur suppression. Et pourtant, force est de constater que Madagascar a besoin de forces armées pour assurer sa sécurité intérieure, que ce soit contre les dahalo (cf. les incidents de Befotaka et l’inénarrable traque de Ramenabila) ou contre la multitude de malfrats en col blanc qui arpentent les allées du pouvoir.

D’accord, mais pour cela il faut remettre les cartes à plat et conclure un nouveau pacte entre forces armées et population. Les forces armées devront être profondément restructurées, mais sur quelles bases ? En d’autres termes, quelle peut être la raison d’être d’une armée dont la raison d’être est la défense du territoire contre un ennemi extérieur ? Tout le monde s’accorde pour reconnaitre que Madagascar n’est pas menacé d’une invasion militaire étrangère. Par contre, il lui faut impérativement sécuriser ses côtes qui figurent parmi les plus poreuses du monde, et surveiller sa vaste ZEE (zone économique exclusive) que pillent en toute quiétude des flottes étrangères, voire pirates, de pêche industrielle. À cette fin, la Grande Île devra principalement s’équiper d’avions de surveillance et de bateaux rapides pour intercepter et sanctionner les contrevenants. Dans la même logique, mieux vaudrait renoncer à « une armée de développement » qui cultive du riz et élève du bétail ; il serait plus rentable de former les paysans et les éleveurs actuels, qui constituent déjà les trois quarts de la population, plutôt que d’en augmenter le nombre. Quant au génie militaire, il pourra participer à la construction de routes et de ponts, à condition de ne pas se limiter à l’installation des ponts Bailey provisoires qui deviennent définitifs, et de ne pas concurrencer les petites entreprises de travaux publics qui, dans les provinces, ont besoin de contrats pour se professionnaliser et se développer.

La sécurité du territoire quant à elle incombe à la gendarmerie qui devra lutter contre le grand banditisme dans les campagnes pour permettre le développement sécurisé des communautés rurales, la police se chargeant de la sécurité dans les villes. Ce qui exige de redéfinir les objectifs stratégiques, d’arrêter pendant quelques années d’abord puis de limiter drastiquement ensuite le recrutement des officiers ainsi que la promotion des officiers supérieurs et généraux, et de revoir toute l’organisation sécuritaire de manière réaliste et efficiente. Bref, préférer la qualité à la quantité, et disséminer les jeunes recrues sur le terrain où le travail ne manque pas. Autant de chantiers qui gagneraient à être exploités avec plus d’entrain et de moyens, même s’ils ne sont pas aussi rémunérateurs que certaines alliances politiques.

Plus que tout, l’armée doit arrêter de s’immiscer dans la politique. Ce serait le plus beau cadeau qu’elle puisse se faire à elle-même pour ses 52 ans ; ce serait un présent d’une valeur inestimable qu’elle offrirait à la population à l’occasion d’une sortie de crise impatiemment attendue par tous les citoyens. Rappelons que Madagascar a connu trois mutineries armées en trois ans : celle du FIGN (Forces d’intervention de la Gendarmerie nationale) du Fort Duchesne le 20 mai 2010, celle de la BANI (Base aéronavale d’Ivalo) le 17 novembre 2010, et celle du 1er RFI (Régiment des forces d’intervention) le 22 juillet 2012. Pendant tout ce temps, les diverses unités spécialisées d’intervention, au statut incertain, se sont signalées par leur incompétence et leurs actions brouillonnes. Et l’ensemble des forces armées, tous corps confondus, continue à se singulariser par sa vénalité, son mépris de la loi et, finalement, sa nocivité…

Il convient de rappeler enfin qu’une armée républicaine est la gardienne des institutions de la République, et non pas celle de gouvernants peu respectueux des valeurs républicaines. Pour ce faire, il conviendra d’instituer une incompatibilité légale entre la carrière militaire et tout autre engagement politique ou professionnel. Un militaire qui voudra entrer en politique ou prendre une responsabilité civile sera tenu de démissionner des forces armées sans possibilité d’y revenir, et renoncer à tous les avantages (avancement, indemnités, etc.) liés à la carrière militaire. À cette condition seulement, les forces armées retrouveront le sens du service de la Patrie, et la crédibilité auprès de la population.

Antananarivo, 17 septembre 2012

Sehatra fanaraha-maso ny fiainam-pirenena

SeFaFi

Observatoire de la Vie Publique

Lot III R 45 tar Tsarafaritra, Tsimbazaza, Antananarivo 101

Tél/fax : 22 548 88 Email : sefafi@gmail.com Site Web : www.sefafi.mg

Notes

[2Centre d’études sur les Conflits, le Développement et la Paix, Genèse, 2010, page 64.

[3Ainsi de la mutinerie du FIGN (Force d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) de Fort-Duchesne, le 20 mai 2010 , et des 500 millions d’Ariary qui auraient été donnés par l’ancien Président à l’actuel Commandant de la Gendarmerie nationale, alors colonel. Si l’affaire a été jugée, les questions d’argent n’ont pas été élucidées.

[4Littéralement, se raccrocher à du bois mort.

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