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Editorial

Autonomie du pouvoir judiciaire : possible ?

vendredi 4 juin 2010 | Patrick A.

Même si les conditions ne sont pas les meilleures (quand le seront-elles ?), il faut profiter des circonstances pour débattre de la Constitution. Car les antécédents du Niger de Mamadou Tandja et des Comores d’Ahmed Abdallah Sambi sont là pour nous prouver qu’il vaut mieux avoir une Cour constitutionnelle pouvant s’appuyer sur un texte fondamental que rien du tout.

L’idée d’Anthony Ramarolahihaingonirainy de sélectionner certaines réflexions sur les aménagements à apporter à notre future Constitution a donc entraîné d’intéressants échanges au sein de la rédaction.

Indépendance et légitimité

En tant que vulgaire spectateur de séries télévisées américaines, lorsque la tentation taquine de relativiser les éloges faits par Anthony des systèmes judiciaires d’inspiration anglo-saxonne me prend, j’ai envie de crier : Objection votre Honneur ! Du moins, objection sur un petit point, car il est possible qu’il y ait eu malentendu dans nos échanges épistolaires concernant le mode de nomination des magistrats.

Anthony qualifie non sans raison de « débat stérile » celui sur le caractère d’élu ou de non élu des juges. Et il est en effet extrêmement regrettable que des personnalités politiques élues aient tendance à utiliser le fait qu’elles ont reçu l’onction populaire pour regarder de haut « ces petits juges » et se moquer des lois qu’elles-mêmes ont pourtant parfois adoptées.

On peut ne pas être pour l’élection des juges et estimer cependant que les magistrats devraient être les premiers à rechercher une légitimité plus affirmée vis-à-vis des autres institutions que celle qui existe dans le système actuel. Et de penser que la meilleure manière d’atteindre cette légitimité n’est peut-être pas de laisser les juges se coopter entre eux sur des bases qui paraîtraient mystérieuses au public.

Certes, de la même manière qu’être élu ne donne pas légitimité à faire n’importe quoi, il n’est pas forcément indispensable d’être élu pour avoir une légitimité. Et il est tout à fait exact que dans toute activité, l’on peut tirer sa légitimité aussi bien d’un mandat électoral que de compétences reconnues. Mais, dans une société qui se veut démocratique, un pouvoir peut-il être purement technocratique ?

Les juges n’ont sans doute pas l’intention de se constituer en caste qui se reproduirait en cercle clos. Mais il n’en reste pas moins qu’ils peuvent donner cette impression, car les magistrats qui se succèdent aux postes du siège et du parquet constituent une population particulièrement homogène, ne serait-ce que par leurs formations et leurs parcours professionnels, sans même soulever le sujet épineux de leurs origines familiales, sociales et ethniques. Cette quasi-uniformité peut susciter chez le simple citoyen une sensation d’uniformité et donner crédit aux rumeurs selon lesquelles il y aurait trop de connivences entre les responsables du Ministère de la Justice, les magistrats du siège et ceux du parquet et que cela peut déboucher sur des arrangements sur l’issue de certains procès, arrangements pouvant se faire au détriment de certains justiciables.

Pour une implication réelle du Président de la République

Le besoin de légitimité démocratique se pose alors, moins au niveau du mode de nomination des juges (élection ou nomination) qu’au niveau du choix des personnes situées à des instances supérieures et ayant la capacité de nommer, déplacer ou sanctionner les magistrats. Et se pose donc la question de la composition du Conseil supérieur de la magistrature.

Cette instance est théoriquement présidée par le Président de la République. Dans la réalité, celui-ci n’assiste pratiquement jamais aux séances, déléguant la conduite des réunions au Ministre de la Justice. Et il y avait jusqu’ici une certaine logique à cela. Car il y a clairement une contradiction entre le principe de séparation des pouvoirs et celui d’un Président de la République à la fois chef de l’Exécutif et « garant de l’indépendance de la Justice ».

Si le véritable chef de l’Exécutif devient le Premier ministre, le Président de la République retrouvera une véritable légitimité pour être le « Premier Magistrat » de la Nation. Et à mes yeux, il n’y a donc pas forcément contradiction entre un régime parlementaire et un Président de la République élu au suffrage universel. Au contraire. Au Premier ministre la politique générale du gouvernement, au Président le rôle de raiamandreny garant de l’ordre et de la morale.

À ce titre, il pourrait s’impliquer davantage qu’aujourd’hui dans le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et avoir une certaine liberté pour nommer les procureurs généraux. Les procureurs généraux ne sont pas des magistrats neutres mais une partie au procès : ils représentent la collectivité. À ce titre, il est juste que ce soit un représentant du peuple qui puisse les choisir, pour orienter la politique pénale. Ce type de débat politique (au sens noble du terme, du moins espérons le) n’est par contre pas possible, ni même souhaitable, au niveau du reste de la magistrature.

Un Président élu par le peuple aurait également toute légitimité pour défendre directement le budget des institutions judiciaires devant le Parlement tout en arrivant à s’affranchir de la tutelle de celui-ci. Parce que parmi les problèmes au quotidien auxquels la Justice malgache est confrontée, il y a aussi des photocopieuses inopérantes, des ordinateurs insuffisants, des recueils de jurisprudence introuvables tant sur papier que sur le moindre internet.

Caressez un cercle, et il risque de devenir vicieux. Quel que soit les structures mises en place, les tentatives de politisation ne manqueront pas. Mais une stricte séparation des fonctions permet de limiter au strict minimum les risques, et le mécanisme proposé en amont pourrait être une manière de concilier légitimité technique et légitimité politique.

9 commentaires

Vos commentaires

  • 4 juin 2010 à 08:00 | Noue (#2427)

    En attendant de trouver une réponse à la question « possible » ? MADAGASCAR est devenu une nation au bout du rouleau !!!

    Bonne lecture

    http://www.courrierinternational.com/article/2010/05/27/une-nation-au-bout-du-rouleau

    • 4 juin 2010 à 09:07 | bema (#828) répond à Noue

      Mr Noue, donnez des solutions s.v.p ! Misaotra Tompoko !

    • 4 juin 2010 à 09:41 | Noue (#2427) répond à bema

      « Bema »

      Une solution vous dites ? mais volontiers !!!!

      - Que chacun se respecte

      - Que chacun respecte sa signature zay tsy nysy nifanerena

      - La solution pour sortir Madagascar de ce trou noir était à la portée de tous , malheureusement , il y en a qui ne pense qu’à leur place et il parait que c’est pour l’intérêt supérieur de la nation que je doute fort bien mais plutôt pour l’intérêt supérieur de leur place , même si on est traité de sans qualité dans le monde , rien à faire !! ma place avant tout !!!

  • 4 juin 2010 à 09:19 | Rabila (#1379)

    Le fonctionnement des institutions selon le texte dépend aussi des hommes qui l’exercent, des hommes qui peuvent peser sur la vie publique. En effet, c’est la pression de la conscience collective constituée par les partis politiques et l’opinion publique relayée par les médias qui borde l’exercice de chaque parcelle du pouvoir.

    Et je me demande si tout cela n’est pas vain et que le vrai progrés à mettre en place n’est pas de l’ordre culturel et philosophique. Et que finalement, la mise en orbite d’un état moderne dépend de la bonne volonté des prochains locataires du pouvoir.

  • 4 juin 2010 à 10:59 | râleur (#3702)

    ’’Si le véritable chef de l’Exécutif devient le Premier ministre, le Président de la République retrouvera une véritable légitimité pour être le « Premier Magistrat » de la Nation. Et à mes yeux, il n’y a donc pas forcément contradiction entre un régime parlementaire et un Président de la République élu au suffrage universel. Au contraire. Au Premier ministre la politique générale du gouvernement, au Président le rôle de raiamandreny garant de l’ordre et de la morale’’

    D’accord à 100%

    Il faut un vrai Président de tous les Malgaches, élu au suffrage universel (et non autoproclamé comme actuellement)tout de suite. Après on passe aux élections législatives. Le parti qui aura le plus de voix sera chargé par le Président de nommer un PM qui lui, proposera une politique générale à faire valider par l’Assemblée Nationale

    La Défense et les Affaires Etrangères seront soumis à la tutelle du Pdt et du PM. Les Hautes Juridictions judiciaires seront indépendants.

    Tout y est déjà mais tout a été dévoyé par les tenants du pouvoir successifs.

  • 4 juin 2010 à 11:26 | SOLOBAKA (#3937)

    BONJOUR PATRICK,

    Je réponds clairement et sans ambiguité à cette question que tu poses :

    C’est possible, et même suhaitable pour une véritable DEMOCRATIE et ETAT REGIS PAR LE DROIT.

    Il y a défférentes sortes de conditions à mettre en place avec ( à côté de l’inamovibilité des juges du siège, la protection matérielle, salaire et indémnité, et la sécurité physique), je prends deux CONDITIONS SINE QUA NON POUR LA MISE EN PLACE DE CETTE AUTONOMIE VOIRE INDEPENDANCE DE LA JUSTICE :

    1-La suppression de la subordination hihérarchique du parquet à l’Exécutif.Le parquet doit être subordonné au Procureur Général de la Cour Suprême et non pas au Ministre de la Justice ou au Président de la République.Donc, celui-ci n’aura plus peur de « mettre en examen » toutes les personnes qui ont fait des infractions, quelque soit leur position.

    2-Le concours doit être le seul critère admis pour être magistrat (et que le meilleur gagne) car le metier de juger nécessite un savoir-faire induscutable (à l’instar l’ingenieur qui contrôle la résistance des matériaux pour construire un pont, les magistrats doivent connaître et « dire » le droit selon les règles de l’art, celui de juger leurs contemporains).Mais ceux qui occupent des postes clés et prestigieux, comme Procureurs Généraux, Président de Cour et de Juridiction et Doyens de Juge d’Intruction doivent être « ELUS PAR LEURS PAIRS », mais pas laissés au bon soin de l’Exéxutif qui choisit toujours, en général, ceux qui acceptent de passer un « deal » avec lui, et qui de ce fait, leur sont complètement soumis, pour occuper ces postes.Il faudrait mettre en place un critère de choix objectif (par exemple : les candidats doivent être tous des magistrats de premier grade, et disposant un doctorat en droit) et on procéde aux éléctions, et ce sont tous les magistrats du pays qui seront élécteurs.

    Car tous les magistrats se connaissent entre eux, ils savent bien qui sont ceux les plus compétents, les plus sages ou bien ceux qui sont les plus corrompus et les plus voyous d’entre eux.Et moi je suis sûr qu’ils vont choisir les meilleurs (the best) pour être leurs chefs, mais pas les pourris et les lèches-bottes qui veulent avoir une promotion rapide en se faire parachutter à un poste qu’ils ne meritent même pas.

  • 4 juin 2010 à 11:44 | racynt (#1557)

    Objection rejetée Patrick ;) en même temps dans les séries ils ne justifient ni les rejets ni les retenues des objections.

  • 4 juin 2010 à 12:11 | lalatiana (#1016)

    Merci Patrick A.

  • 4 juin 2010 à 13:23 | maminah (#2788)

    Merci de continuer à lever le voile sur ce corps qui reste assez nébuleux aux yeux du public, mais dont il pressent bien le poids sur la destinée du justiciable comme de la Nation elle-même. Il y a un véritable hiatus entre le pouvoir qu’il censé détenir et les infrastructures, dérisoires, dont il est doté, que c’en est tragique, voire absurde. L’autonomie de la justice ne passe-t-elle pas aussi par un budget à la mesure de la rigueur de la tâche qu’on attend d’elle ? C’est là un autre déterminisme.

    Par ailleurs, cette nomination par cooptation, si elle « balise » les risques d’une intrusion directe d’une volonté extérieure dans sa pratique quotidienne, suscite en revanche quelques craintes au vu de ce que vous appelez « uniformité » dans sa composition. L’endogamie (le népotisme qui caractérise certains corps de métiers) et son corollaire, « l’unicité de vues », sont des menaces qui guettent les corps fermés. Quant à savoir si ces vues n’ont pas été pour certaines inspirées par des intérêts extérieurs...

    Comme le dit à juste titre Rabila, la pression de la conscience collective peut être aussi un garde-fou aux dérives diverses. A condition que cette conscience collective ait elle-même atteint un degré d’objectivité et de rigueur que permet l’éducation.

    Comme vous dites, à force, on risque de tourner en rond.

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